La question est d’autant plus légitime que le gouverneur de la Banque centrale vient de tirer la sonnette d’alarme: il ne reste plus que l’équivalent de 90 jours d’importation.

Par Malek Ben Salah*

Le ministère des Affaires religieuses n’essaie pas, cette année encore, d’attirer l’attention du peuple ni celle du gouvernement sur la différence entre les rites obligatoires (en arabe «faraedh») et les rites facultatifs («sounan»), surtout quand l’économie du pays court des risques sérieux? Cet oubli est-il volontaire ou pas?

Le rite est ses graves conséquences

On a déjà entendu, une fois, ce ministère se targuer d’avoir encadré le voyage de 50.000 personnes ayant effectué le rite de la «ômra» (petit pèlerinage), sans rappeler une seule fois que la «ômra» n’est pas une «faridha», ni que son coût est devenu faramineux (quelques 5.000 ou 6.000 dinars par personne).

S’agissant maintenant de l’Aïd El-Kébir, et alors que le mufti a tenu à rappeler que le sacrifice du mouton est «sunna» (rite non obligatoire) et que Chedli Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (Bct), a osé lever le doigt pour dire que les réserves en devises continuent de baisser dangereusement, le ministère des Affaires religieuses se drape de son mutisme habituel, au lieu d’appeler nos imams à claironner que – non seulement – le sacrifice du mouton n’est qu’une «sunna», non obligatoire, mais que la situation économique du pays ne le permet pas cette année, alors que le prix de la viande atteint 17 et 18 dinars/kg, et que celui du mouton varie entre 300 et 600 dinars.

Les préparatifs du marché vont bon train en perspective de l'Aid El Kebir.

N’est-ce pas un crime économique que, non seulement, les autorités religieuses se taisent, mais approuvent indirectement le gâchis qui s’annonce, en laissant importer quelque100.000 moutons pour faire plaisir à ceux-là même pour qui l’Aïd n’est qu’une fiesta, une occasion pour, simplement, faire les gros bras devant les voisins, alors que ce n’est nullement le but de la religion?

N’est-il pas, aujourd’hui, du devoir de Noureddine Khademi, ministre des Affaires religieuses, et de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha au pouvoir et, surtout, membre de l’Organisation internationale de ulémas musulmans, de dire au peuple: «Nous passons par une année très difficile. Par conséquent, l’islam interdit de faire le sacrifice du mouton; tout comme il interdit le jeûne aux malades… Le crime économique est aussi un crime religieux»!

Un Aid sans mouton est-il impensable.

Feu Hassan II, malgré (ou fort de) son titre officiel d’«Amir el-Mouminine» (émir des croyants), avait osé le dire et le faire, dans les années 1990, quand l’économie marocaine ne le permettait pas, et les Marocains ont dû se passer du mouton sans en mourir. Le temps de laisser se reconstituer le cheptel…

Espérons que les uns et les autres prendront enfin conscience de ce qu’il faut dire et faire, s’il est encore temps.

Le pain des Tunisiens est menacé

L’annonce de Chedli Ayari que nos réserves en devises ne couvrent plus que 90 jours d’importation voudrait dire aussi, si on ne l’a pas encore compris, qu’avec cette petite réserve, nous devrons couvrir les grosses importations de blé pour notre pain, les maïs, soja et orge pour nourrir notre cheptel, les engrais et les machines nécessaires pour la prochaine campagne agricole et, jusqu’à la récolte, et bien d’autres choses encore plus indispensables à notre économie! Et je ne parle pas des bananes qu’on voit encore dans nos rues!

Chedly Ayari a tiré lasonnette d'alarme, attention, les réserves s'amenuisent

M. Ayari, je pense qu’il faut encore dire, en corollaire à vos avertissements, qu’un soutien financier, très consistant et très urgent, est à apporter cette année à nos agriculteurs pour leur permettre de pourvoir à nos besoins primaires et à exporter en Libye. C’est un marché très important que notre laxisme risque de détruire, la contrebande ne peut être contrecarrée réellement que par une plus forte production, et ce sont ces agriculteurs qui peuvent l’assurer, or ils sont déjà à genou.

Car, en économie, on le sait, tout est lié…

* Ingénieur général d’agronomie, consultant international.