Trois ministres et deux secrétaires d’Etat ont effectué, lundi, une visite à Bizerte. Ils ont rencontré la population de la région sympathisante mais indignée. Ambiance.

Par Thameur Mekki


Il est 8h40 à la Kasbah. C’est parti pour Bizerte, en ce lundi 4 juin. A bord du véhicule, Noureddine Bhiri, ministre de la Justice, Béchir Zaâfouri, ministre délégué chargé du Commerce et de l’Artisanat et Mohamed Salmane, ministre de l’Equipement. Ils sont accompagnés par deux conseillers du Premier ministre: Noureddine Kaâbi, chargé des Affaires économiques et Nejmeddine Hamrouni, chargé de la Veille stratégique et de la Prospective. Quelques journalistes ont été conviés à cette expédition.

Arrivée au gouvernorat de Bizerte à 9h35. Les membres du gouvernement sont accueillis par Nabil Nsiri, gouverneur de la région, son secrétaire général, des responsables du gouvernorat, les délégués ainsi que des cadres de l’armée et des services de sécurité.

«Les promesses, nous en avons marre»

Devant le siège du gouvernorat de Bizerte, 8 mères d’immigrés clandestins viennent avec l’espoir d’avoir une entrevue avec les ministres. Elles nous informent que leurs fils sont disparus depuis leurs départs entre le 9 septembre 2010 et le 28 avril 2011. «Nous représentons les mères de 89 Tunisiens de Bizerte, de Kasserine, de Sfax, de Tunis, de Gabès et de Nabeul. Nous avons déjà rencontré, à deux reprises, l’ambassadeur de l’Italie en Tunisie ainsi que M. Jebali, M. Marzouki et M. Napolitano, le président italien», raconte Mounira Ben Hassine, une des mères des jeunes disparus. «Ils nous ont dit qu’ils vont agir pour retrouver nos enfants. Nous leur sommes vraiment reconnaissantes. Mais les promesses, nous en avons marre. Nous attendons des actes», poursuit-elle, en ajoutant: «Nous étions aussi en contact avec Naceur Mestiri, ambassadeur de la Tunisie en Italie qui a fini par nous dire qu’il n’a pas que le problème de nos enfants».

Noureddine Bhiri (à droite) en meeting à Bizerte.

Vers 10h40, le gouverneur et ses hôtes sortent. Les dames les interpellent. «Nous avons envoyé les noms et les empruntes aux Italiens. Ils s’en occupent au niveau européen. Nous attendons», réagit M. Bhiri. Une petite foule s’est réunie autour des ministres. Une discussion s’engage. Le ministre se veut rassurant. «Nous voulons de l’emploi, de la sécurité et plus d’intérêt pour nos conditions sociales à Menzel Bourguiba. Pour l’instant, nous gardons le silence. Mais quand nous parlons… NOUS PARLONS», lance un citoyen quadragénaire sur un ton vaguement intimidant. Escortés par des agents de la garde nationale et des soldats, les ministres regagnent le bus. Direction Bizerta Resort Hotel, un établissement 4 étoiles où est programmée le… meeting populaire.

De l’infrastructure pour la croissance

Installé sur l’estrade dans une salle encombrée par environ 500 personnes, le gouverneur prononce une allocution de bienvenue. Il évoque les caractéristiques avantageuses de la région de Bizerte: une côte de 200 km, 341 unités industrielles dont chacune offre au moins 10 emplois, des sites archéologiques… etc. «Malgré tout ça, le taux de croissance est faible», remarque-t-il.

La pollution, le déséquilibre démographique, l’urbanisation au détriment des terres agricoles, le blocage de la circulation au niveau du pont mobile de Bizerte, la flambée du taux de chômage, des projets en suspens, autant de problèmes exposés par le gouverneur et entravant le développement de la région. Il cède la parole à M. Bhiri. 45 minutes de speech livré par le ministre de la Justice. Ensuite, la parole est à M. Zaâfouri, ministre délégué chargé du Commerce et de l’Artisanat. Sans perdre du temps, il fait l’état des lieux. «Nous voulons faire des investissements publics au niveau de l’infrastructure afin d’impulser les investissements privés», affirme-t-il. Il annonce des projets de construction de barrages d’eau, d’un port de plaisance ainsi que le renforcement de la flotte marine. Au bout de 20 minutes, M. Zaâfouri est interrompu par les cris de la foule. «Ecoutez nous! Vous êtes venus pour parler ou pour nous écouter», lancent quelques citoyens.

Une salle comble à l'hôtel Bizerta resort.

Les Rcdistes et la sécurité, casse-tête régional

Le chômage, la pauvreté et la marginalisation ressentie par les habitants de certaines délégations de Bizerte sont les principales problématiques soulevées lors des interventions des citoyens. Des classiques. Mais la colère des Bizertins explose surtout contres les serviteurs de l’ancien régime et la corruption qui persiste dans l’administration. «Tout le monde ici revendique la rupture avec l’impunité dont en profitent les Rcdistes corrompus. Il y a même, aujourd’hui parmi nous des habitués des cellules du Rcd qui le revendiquent. M. le Ministre a parlé de tolérance dans son discours. Je ne pense pas que ce qui se passe est synonyme de tolérance. C’est plutôt du laxisme», clame un citoyen hué par une bonne partie de la salle. Même Ali Ben Salem, illustre militant nationaliste et grande figure des droits de l’homme a été hué quand il a soulevé la question de la sécurité avec audace. «M. le Ministre, vous devez vous expliquer sur votre mutisme face aux violences perpétrées par des salafistes. Soit vous n’arrivez pas à gérer la situation, soit vous profitez de ces actes», lance M. Ben Salem. Il a fallu que M. Bhiri intervienne pour calmer la foule déchaînée en rappelant le passé militant du vieil homme. Ce dernier a répondu: «J’aurais aimé entendre ces voix sous la dictature».

La sécurité a été un sujet redondant lors de cette rencontre. Trois écoles saccagées et incendiées, des constructions anarchiques défendues par des bandits et autres dérives sécuritaires suscitant la grogne des Bizertins. Les interventions louant les efforts du gouvernement ont aussi été nombreuses. Un tonnerre d’applaudissement a secoué la salle quand un citoyen a rappelé le limogeage de 82 magistrats par le ministre de la Justice.

Une figure quasi-imposée: les plaintes des parents d'émigrés disparus.

La rencontre avec la population a duré jusqu’à 16h30, soit une durée de 5h30. Les ministres ont répondu brièvement au fleuve de questions et de revendications des citoyens présents. Après une pause pour le déjeuner à 17h, ils sont partis inspecter le dépôt d’ordures de Borj Chellouf au sud de Bizerte. Ils ont ensuite plié bagages vers Sejnane. En route, ils ont fait escale dans une mosquée pour faire la prière. A 22h, ils n’étaient pas encore arrivés à destination.