altLe chercheur français (Institut français du Proche-Orient de Beyrouth), décrypte, dans un entretien avec Afrik.com, la position d’Ennahdha concernant le statut de la femme dans la nouvelle constitution. Extraits...


«Cette conception des inégalités homme/femme n’est pas seulement une conception des islamistes. Elle traverse l’ensemble de la société tunisienne. Dans les années 50, le pays a connu le féminisme d’Etat. La Tunisie est en effet le premier pays arabe à avoir instauré le code de la famille et aboli la polygamie. Durant cette période, toute une série de mesures avaient été entreprises concernant les femmes. Mais en réalité, les acquis des femmes ont toujours été ambigus. C’est le chef d’Etat qui imposait selon son bon vouloir quelles libertés accorder à ces dernières. Cette réalité du pays ne date pas d’aujourd’hui. Même sous Ben Ali, les jugements prononcés à l’encontre des femmes étaient souvent en leur défaveur. Ce sont les ambivalences de la société tunisienne qui reste avant tout patriarcale. Les islamistes jouent sur cette fibre identitaire. Ils savent qu’une partie de la population appréciera leurs propositions.

«Le choix du mot ‘‘complémentaire’’ (à la place d’‘‘égale’’ pour parler de la femme vis-à-vis de l’homme,Ndlr) est une stratégie politique pour tester la population, afin de voir comment elle va réagir. L’objectif pour Ennahdha est d’évaluer ce qu’elle est en mesure d’accepter ou non. En même temps, en proposant de telles mesures, les islamistes flattent les plus conservateurs. Il n’est pas impossible d’ailleurs qu’ils renoncent à ce projet. Ce sera l’occasion pour eux de montrer aux laïcs qu’ils sont aussi capables de négocier et qu’ils peuvent faire marche arrière en cas de désaccords. Ils jouent ainsi sur plusieurs tableaux pour satisfaire le maximum de monde. En surfant sur la fibre identitaire tunisienne avec l’annonce de telles mesures, ils tentent également de faire oublier à la population les problèmes économiques et sociaux du pays, dont ils ne trouvent pas la solution. D’autre part, Ennahdha a aussi des partenaires dans le gouvernement. Ces derniers ont mis en garde le parti qu’il y a une ligne rouge à ne pas dépasser, concernant notamment les droits des femmes. Cette ligne rouge, Ennahdha est conscient qu’il ne devra pas la dépasser au risque de créer des tensions au sein de la majorité.

«Bien sûr, il n’est pas impossible que les islamistes reculent. L’expérience a montré que la rue a toujours eu le dernier mot en Tunisie, prouvant que les mouvements sociaux ont un effet direct sur le gouvernement. Les islamistes veulent flatter l’égo de certaines couches de la population. Ils jouent aux  ‘‘politiques politiciens’’. C’est à dire qu’ils ne font rien au hasard. Ils font de la stratégie politique. Ils proposent en toute connaissance de cause des mesures qui, aux yeux de certains Tunisiens, restreignent les libertés individuelles. Ils surfent sur le sens populaire en développant certaines thématiques susceptibles de toucher l’opinion publique. Ennahdha est un parti politique avant tout.»

Source: Afrik.com.