La révolution du 14 janvier 2011 n’a pas été faite pour le plaisir des Occidentaux. Elle n’a pas été faite non plus par (ni pour) les Nahdhaouis et leurs «enfants salafistes». Ces derniers l’ont prise en marche et ils l’ont malmenée…
Par Moncef Dhambri
Oui, nous en sommes réduits à nous apitoyer sur le sort qu’Ennahdha a réservé à notre révolution. Oui, chaque matin, depuis ce vendredi noir du 14 septembre, l’on n’ose plus se regarder dans la glace parce que quelques illuminés qui portent la même nationalité que la nôtre, une barbe et un qamis, ont déclaré la guerre aux Etats Unis sans nous demander notre avis.
Le peuple tunisien a-t-il mal voté?
Abou Yadh, le chef salafiste djihadiste qui instille la peur dans le pays.
Oui, nous regrettons, aujourd’hui encore plus qu’hier, qu’en moins d’un an le gouvernement de Hamadi Jebali ait pu, de manière aussi inconsidérée, jeter par la fenêtre l’admiration et l’honneur que nous a valu notre 14 janvier 2011. Oui également, nous avons compris que le peuple tunisien a mal voté le 23 octobre dernier: nous avons compris qu’«être honnête et craindre Dieu» – ce qui reste encore à démontrer dans le cas de beaucoup de Nahdhaouis! – ne fait pas nécessairement d’un homme ou d’une femme un bon gouvernant. Il y a bien d’autres qualités qui sont requises, bien d’autres compétences, savoir-faire et intelligence…
Pour l’instant, contentons-nous de constater les dégâts, d’estimer nos pertes et d’apprécier le temps et l’argent qu’il nous faudra dépenser pour remonter la pente, retrouver confiance en nous-mêmes et rassurer nos amis proches et lointains.
La tâche paraît sisyphéenne tant l’inexpérience de la «troïka» au pouvoir et l’inhabileté de l’équipe nahdhaouie qui gouverne le pays ont été indescriptibles, encore plus étonnantes et plus désolantes que d’habitude.
Les gesticulations pitoyables de la «troïka»
Limitons-nous, dans ce commentaire, à faire une énumération rapide de leurs tentatives futiles de reprendre les choses en mains. Une réunion d’urgence des trois dirigeants de la «troïka» (Marzouki, Jebali et Ben Jaâfar) nous dira dans un communiqué sibyllin, vingt-quatre heures après le tremblement de terre des Berges du Lac, que «la Tunisie ne sera pas un refuge pour le terrorisme international». Dans la même soirée, le ministère des Affaires étrangères nous débitera des phrases aussi creuses que «les autorités tunisiennes s’engagent à protéger les ambassades et les missions diplomatiques en Tunisie et à prendre toutes les mesures nécessaires pour leur garantir/…/ la sécurité requise». La maladresse et la gêne imposeront à M. Ben Jaâfar de «mouiller la blouse» en se rendant au chevet des agents des forces de l’ordre…
Manifestation salafiste du 14 septembre devant l'ambassade américaine à Tunis.
Dimanche, un nouveau communiqué des Affaires étrangères nous a fait savoir que notre ministre Rafik Abdessalem a eu un entretien téléphonique avec Mme Clinton qui «s’est félicitée des efforts fournis par le président de la république tunisienne, le chef du gouvernement et le ministre des Affaires étrangères pour maîtriser la situation».
Et la litanie de toutes ces tentatives de sauvetage et de rafistolage pourrait se poursuivre indéfiniment… Nous n’avons égrené ici que quelques unes de ces perles.
Nous ne demandons qu’à croire la bonne foi et la bonne volonté du bricolage nahdhaoui. Cependant, ce qui est arrivé vendredi dernier est très grave et les gestes et les paroles du gouvernement Jebali et de ses alliés de la coalition tripartite ne suffiront pas à réparer l’irréparable.
Washington croit-il encore aux révolutions arabes?
Que l’on se rende bien compte: Obama, le chantre du Printemps arabe, a ordonné le retrait de «tout le personnel non-indispensable» de l’ambassade des Etats-Unis. Tirons nous-mêmes de cette déclaration laconique les conclusions qui s’imposent. Cela veut dire que les Etats-Unis d’Amérique, qui ont beaucoup misé sur la révolution du 14 janvier 2011, ont aujourd’hui des doutes sur ce qui pourra en sortir. Cela veut dire également que l’Oncle Barack, engagé comme il était, et de multiples manières, dans son soutien à notre transition démocratique, se ravise à présent. Il s’est peut-être souvenu qu’en 1979, une autre révolution –islamique en bonne et due forme, celle-là – a attaqué une ambassade américaine et l’incident a coûté au président américain sortant (un certain Jimmy Carter, lui aussi démocrate comme M. Obama) un deuxième mandat à la Maison Blanche…
Slogan anti-américain sur le mur d'enceinte de l'ambassade américaine à Tunis.
Bien sûr, l’attitude des autres chancelleries occidentales, pour des raisons internes différentes et variées, a été moins cassante. Les Français, les Allemands et les Britanniques préfèrent laisser passer l’orage. Ils y reviendront…
Et d’ici, de chez moi, je crois entendre les Nahdhaouis et leurs «enfants salafistes» me dire que la révolution du 14 janvier n’a pas été faite pour le plaisir des Occidentaux.
D’ici, de chez moi, je leur réponds qu’elle n’a pas été faite par eux ou pour eux. Ils l’ont prise en marche et ils l’ont malmenée…
Ici, dans les colonnes de Kapitalis, je leur dis également: «Terminus, tous les resquilleurs nahdhaouis descendent!»