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Mme Clinton n’a pas mâché ses mots en s’adressant hier à M. Abdessalem: «il est inadmissible que les progrès réalisés par le peuple tunisien soient pris en otage ou dévoyés par des extrémistes qui n’ont en tête que leur seul agenda». Vidéo.

Par Moncef Dhambri

Hier à Washington, Hillary Clinton a rencontré Rafik Abdessalem, une semaine jour pour jour – et peut-être à la minute près – du saccage inqualifiable de l’ambassade des Etats-Unis et l’Ecole américaine, par «les enfants» du Cheikh Rached Ghannouchi.

Le département d’Etat américain, dans un communiqué de presse, a publié les allocutions des deux chefs de la diplomatie avant leur entretien en tête-à-tête, dans le secret du bureau de la secrétaire d’Etat américaine où les quatre vérités allaient être dites.

L’expérience opposée à l’incompétence

Devant les caméras, qui ont filmé les courts speeches de mise en train, 6 minutes et 45 secondes au total (4 minutes pour Mme. Clinton et 2 minutes pour M. Abdessalem), nous avons eu la confirmation, la énième confirmation, que les affaires du pays entre les mains d’Ennahdha et nos affaires étrangères entre les mains du gendre de Rached Ghannouchi ne sont pas les choses les plus heureuses qui sont arrivées à la Tunisie depuis le 14 janvier 2011.

Pareille affirmation catégorique peut paraître gratuite. Elle mérite donc quelques explications.

Je m’en vais le faire sur la forme et sur le contenu.

Je rassure mes lecteurs que mon anti-nahdhaouisme n’est pas aussi primaire que mon analyse pourrait le laisser croire. Ma lecture est quasiment scientifique. Objective. J’ai passé et repassé l’enregistrement vidéo de cette première rencontre Clinton-Abdessalem une dizaine de fois, tout en suivant mot à mot les deux textes de cet échange: 501 mots pour Mme. Clinton et 302 mots pour M. Abdessalem, exactement.

Que de contrastes! Clinton-Abdessalem, c’est le jour et la nuit: la plus grosse pointure de la diplomatie mondiale et les petits souliers de l’apprenti nahdhaoui qui a hérité de ce poste de ministre des Affaires étrangères de la Tunisie révolutionnaire uniquement parce que son chemin a croisé celui de la fille de Sidi Cheikh. L’expérience opposée à l’incompétence. La maîtrise du sujet face à l’artisanat et au bricolage maquillés en professionnalisme qualifié.

Non, le costume et la cravate ne font pas le diplomate! Il faut bien plus que cela.

Je passe très vite sur la mauvaise prononciation de notre ministre, sur l’inélégance de ses bafouillages et sur son incontrôlable tic verbal «you know» (qui lui a échappé à trois reprises en un peu plus de deux minutes), en lisant ses trois cents mots. Par contre, je n’accepte pas les trois ou quatre fautes de grammaire de M. Abdessalem, ni la fâcheuse gaucherie de s’adresser à la secrétaire d’Etat américaine en l’appelant «Mrs. Hillary».

Les Etats-Unis «surveillent de près» la Tunisie

Le contenu de cet échange et les circonstances ne sauveront pas ce que l’on vient de dire sur la forme et la manière.

Mme. Clinton a expliqué que les Etats-Unis «surveillent de près» ce qui se passe en Tunisie et qu’il n’y a pas pour elle, «comme pour le Président Obama, de priorité plus importante que la sécurité de nos concitoyens».

Elle a également rappelé à son interlocuteur les règles élémentaires qui régissent les relations diplomatiques entre Etats: la Convention de Vienne de 1961 et les autres accords internationaux qui dictent «à tous les gouvernements le devoir, le devoir solennel, de défendre les missions diplomatiques pour qu’elles soient des lieux sûrs et protégés et que les gouvernements puissent échanger leurs vues et travailler sur un bon nombre de questions importantes».

Elle a rendu un vibrant hommage à «la bravoure du peuple tunisien, qui a choisi la voie de la démocratie et qui a travaillé si dur et consenti des sacrifices si grands qu’il est inadmissible que les progrès qu’il a réalisés soient pris en otage ou dévoyés par des extrémistes qui n’ont en tête que leur seul agenda».

Mme Clinton n’a pas hésité à appeler les choses par leur nom. Elle en appelle au gouvernement tunisien «de prendre les mesures qu’il faut pour renforcer la sécurité et protéger le peuple tunisien et l’économie du pays contre l’extrémisme… la menace terroriste, y compris celle venant de groupes comme Al-Qaïda et ses affiliés».

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Rafik Abdessalem et Hillary Clinton à Washington, le 21 septembre.

La très mauvaise copie d’Ennahdha

Oui, nous en sommes là. La secrétaire d’Etat américaine exige des explications, tape du poing sur la table et tente de comprendre comment et pourquoi la Tunisie sous la direction d’Ennahdha a pu remettre une si mauvaise copie.

Mme Clinton s’étonne, elle qui, il n’y a pas si longtemps, lors d’un déplacement dans notre pays, a modestement admis qu’elle est venue «apprendre en Tunisie» ce que c’est que la démocratie et que les Etats-Unis «veulent savoir ce que la Tunisie souhaite. Ils ne souhaitent pas débarquer chez vous et vous dire voici ce que les Etats-Unis croient».

C’était au lendemain de la Révolution, en mars 2011. Depuis cette date, des élections libres et transparentes ont porté les Nahdhaouis au pouvoir et le tsunami des «islamo-démocrates» a tout dévasté sur son passage, jusqu’à obliger les pays amis, proches et moins proches, à fermer leurs ambassades et leurs écoles.

Sur le fond, M. Abdessalem n’a fait que débiter des platitudes sur le «si nous réussissons, nous donnerons la preuve que la démocratie est chose possible dans notre partie du monde» ou sur son espoir «que nous prouverons que la démocratie est possible dans la monde arabe – être démocrate, arabe et musulman à la fois». Par le style, la construction et les idées, la prestation de notre ministre a laissé à désirer…

C’est à cela que notre révolution est réduite.

Aujourd’hui, avec un gouvernement Jebali aux commandes des affaires du pays depuis neuf mois, nous avons pu constater l’étendue des dégâts que l’inexpérience des Nahdhaouis et de leurs alliés de la «troïka» a causés. L’arrogance et la maladresse des uns comme des autres nous ont également coûté très cher.

Autre retombée diplomatique très probable des évènements du 14 septembre dernier: il y a fort à parier que l’Oncle Barack, s’il accepte de rencontrer notre président Marzouki, il ne l’inondera pas de gentillesses et d’amabilités…

Bref, la Tunisie, pour ceux qui l’aiment vraiment (et je pense sincèrement en faire partie), ne mérite pas cela.

Pour ma part, s’il y a toujours lieu de réparer l’irréparable, j’offre gratuitement mes modestes services à notre chef diplomate, en corrigeant l’anglais de ses discours et, gratuitement aussi, en les traduisant en français, s’il le souhaite.

Cette offre est mon autre manière d’exprimer mon patriotisme.

Je n’ai rien contre Ennahdha. Tout simplement, je la trouve tout le temps sur mon chemin.

 

Vidéo.

Lire la transcription de la conférence de presse (anglais).