rcd tunisie
Dans cette contribution publiée sur le site de ‘‘00216 Mag’’*, Samir Bouzidi analyse la mainmise du Rcd, l’ex-parti au pouvoir, sur les institutions représentatives des Tunisiens en France.


A tous ceux qui ont un jour franchi le perron des locaux du Rassemblement des Tunisiens de France (Rtf) à Paris («Botzaris» pour les familiers), le doute n’est plus permis. Dès le hall d’accueil, l’atmosphère mauve et rouge, les portraits et les banderoles à l’effigie de Ben Ali, les kits «7 Novembre» ou encore les articles du  ‘‘Renouveau’’  (journal officiel du parti), soigneusement disposés à la vue du visiteur… tout est ici à la gloire de l’artisan du «Changement». Première évidence, le Rtf et le Rcd ne forment qu’un!

Le Rtf émarge sur les fonds publics
L’instance dirigeante du Rtf est composée d’un président, actuellement Hédi Limam, et un adjoint, tous deux basés à Paris 19ème «Botzaris ». Basé à Marseille dans des locaux mitoyens (et payés) par le Consulat général de Marseille, un vice-président supervise la circonscription du  «Grand Sud» qui regroupe une trentaine de départements. L’actuel Consul général de Marseille a été le Président de cette structure pour les dix dernières années. Il est utile de préciser que ces 3 hauts responsables ont le statut de diplomates tunisiens (deux en tant que  conseillers diplomatiques et le dernier comme attaché social) et,  jouissent ainsi de tous les avantages liés à leur fonction et statut.
L’association Rtf n’est pas autonome financièrement en ce sens que son budget ne dépend nullement des cotisations de ses membres. En effet, la quasi-totalité de son budget annuel de fonctionnement (estimé à 600.000 euros) est couvert par une subvention émanant de l’Office des Tunisiens de l’étranger (Ote), alors  que le concours public aux associations indépendantes ne dépasse pas quelques petits milliers d’euros par an.
A cet appui de l’Ote, le Rtf peut également compter sur les dons de mécènes ou le déblocage de fonds spéciaux destinés à couvrir les commémorations diverses (fêtes nationales, visites d’officiels…) et/ou grandes échéances électorales.

Jeu d’influence politique, lobbying et renseignement
D’après ses statuts, le Rtf a une mission d’encadrement culturel et social de la communauté tunisienne à l’étranger. A ce titre, certaines réalisations sont louables et méritent d’être saluées. Citons les activités du «Rtf sport» qui proposent  aux enfants des initiations au football ou certaines campagnes de l’Association tunisienne des mères (Atm).
Pour les œuvres sociales, le bilan est clairement mitigé. L’efficacité des actions étant largement annihilée par le népotisme et le clientélisme des membres qui s’accaparent l’essentiel des aides (exemple des billets d’avion à tarif réduit pour les familles tunisiennes très modestes).
Activité non avouée, le quotidien des dirigeants du Rtf est surtout ponctué d’engagements visant très clairement à exercer un jeu d’influence politique, du lobbying et autres missions de renseignement.
Pour mener à bien ses missions, le Rtf dispose seulement de dix salariés à temps plein. Le rétrécissement du budget et le management sclérosé et dogmatique ont  eu raison des militants de la dernière heure.
Aujourd’hui, «Botzaris» ne fait plus le plein et les dirigeants doivent souvent se résoudre à convoquer les membres pour  faire bonne figure à l’occasion de la visite d’officiels et hiérarchiques tunisiens.

Associations partisanes et militants zélés
Vitrines du Rtf, les associations organiquement liées au mouvement comptent  l’Association des mères tunisiennes (Amt), le Rtf sports, les scouts tunisiens… Ces associations sont  assez actives dans leurs domaines respectifs car bénéficiant directement des infrastructures, ressources et réseaux du siège.
Réseau historique et épine dorsale du mouvement, les fameuses «Amicales de Tunisiens» ont été créées à l’époque de Bourguiba (début années 70), pour servir de bras sécuritaire au gouvernement. Les amicales ont connu leur âge d’or dans les années 80. Aujourd’hui, elles seraient autour de 150 en France mais leur influence est déclinante. Vieillissantes, ces structures sont menacées par le sous-financement, la désaffection des jeunes (absence de relèves) et la démobilisation des membres fondateurs refroidis par le manque de considération des dirigeants du Rtf et les orientations du Rcd.
Dans les années 90, le mouvement Rtf a favorisé l’émergence de nouvelles associations créées à l’initiative d’universitaires venus étudier en France et  proches du Rcd. L’objectif était clairement de compléter le dispositif des  amicales en  recrutant de nouveaux membres parmi les groupes peu pénétrés jusqu’alors: 2ème génération, scientifiques, juifs tunisiens…
Ces structures sont localisées principalement dans les grandes métropoles (Paris et en banlieue, Lyon…). En règle générale, ces associations ont peu de membres actifs et leurs activités «tournent» autour de la promotion politique des membres fondateurs.
Dans les années 2000, avec l’afflux important d’étudiants tunisiens en France et à l’international, des associations d’étudiants proches du Rcd voient le jour dans les importants pôles universitaires (Paris, Lyon, Marseille, Toulouse, Québec, Düsseldorf, Hambourg, Genève…).
En dehors de ces structures globalement peu opérantes, le Rtf peut compter régulièrement sur des individus zélés et opportunistes  (hommes d’affaires, universitaires…), désireux implicitement de fructifier leur dévouement aussi spontané que temporaire. Un des exemples récents est M. X., docteur et ingénieur-chercheur, expert international en management des stocks. Ce dernier, féru d’informatique, propose de s’occuper bénévolement de la promotion via internet des idées et programme du parti. La contrepartie espérée: un coup de pouce pour un poste de professeur universitaire en Tunisie, des tribunes régulières lors des colloques organisés par le parti destinés aux compétences tunisiennes à l’étranger…

Collusion avec les services de l’Etat
La relation avec les consulats est plus ambivalente qu’il n’y paraît. Il est vrai que la plupart des consuls apportent sans grandes réserves leur collaboration au Rtf car ils sont souvent issus de la même famille politique. Ce soutien est moins abouti chez les consuls issus des Affaires étrangères, plus ouverts à la société civile. Quel que soit leur cursus, les consuls et le personnel consulaire savent que leur nomination (ou promotion) peut-être facilitée ou bloquée par la force politique. A moins d’avoir des appuis en haut lieu, il vaut mieux collaborer et ne pas risquer une mauvaise annotation d’un représentant du Rtf. De cette situation, il résulte une collusion malsaine du Rtf avec les consulats. Principales victimes: les opposants politiques (ainsi que leurs familles) ou de simples rivaux qui se voient ainsi privés ou amputés de leurs droits au service public (passeports, carte d’identité nationale…)
Autre domaine qui illustre la collusion du Rtf avec les services de l’Etat: le financement des associations. En théorie, c’est le domaine réservé de l’Ote sur recommandation du consul ou de l’ambassadeur. Dans la pratique, ces derniers n’ont que rarement leur mot à dire, abandonnant tous les pouvoirs au Rtf/Rcd. Les consuls interviewés sur ce point peinent à dissimuler leur désarroi de ne pouvoir soutenir telle association indépendante qui œuvre positivement  au rayonnement de la communauté et/ou de la Tunisie.
En définitive, l’assise du Rtf dans la communauté des Tunisiens de l’étranger est marginale mais demeure mystifiée. Ses territoires d’influence s’exercent principalement au sein (et par) les services de l’Etat (ambassades, consulats, missions universitaires, Ote…).
À l’exception de quelques variantes locales, ce système du Rcd est d’actualité dans la plupart des principaux pays d’accueil de notre diaspora. Seules les amicales sont une particularité française.

Des réformes porteuses d’espoir
En démocrate convaincu, nous pensons que le Rtf a droit d’existence au même titre que tout parti républicain. Néanmoins, il doit désormais apprendre à compter strictement sur ses propres ressources (cotisations des membres, dons des mécènes…).
Prioritairement, il faut engager une campagne d’assainissement visant à dissocier le Rcd des services de l’État tunisien à l’étranger (ambassades, consulats, Ote…).
Dans l’intérêt de la communauté et du pays, il serait  particulièrement salutaire d’apurer puis redynamiser le réseau des amicales, en encourageant l’adhésion  de profils nouveaux (jeunes et apolitiques…). Ce réseau fort de plus de 150 cellules est un actif puissant qu’il faut savoir préserver.
Puisse cette nouvelle donne réconcilier nos concitoyens avec leurs administrations et le tissu associatif. Signe des temps, depuis la révolution consacrée au pays, il s’est lancé en France, plus d’associations tunisiennes  indépendantes que pendant les cinq dernières années…

* - ‘‘00216 Mag’’ est le magazine des Tunisiens à l’étranger.