On savait que les «bénalistes» n’allaient pas lâcher le morceau facilement. Mais ces derniers croient-ils vraiment pouvoir manipuler les Tunisiens pour créer les conditions de leur retour? Ridha Kéfi
«No pasarán» (Ils ne passeront pas), serions-nous tentés de répondre à ces nostalgiques de la dictature, en empruntant le slogan des partisans de la seconde république espagnole.
Qui sont d’abord ces «benalistes» qui refusent d’admettre la chute de leur ancien protecteur (et parrain) et l’avènement en gestation (et au forceps) d’une deuxième république tunisienne, libre et démocratique?
Les «Fedayins de Ben Ali»
Au premier rang de ces irréductibles du «benalisme», on trouve les anciens membres de la garde personnelle de l’ex-président, ces «Fedayins de Ben Ali», un corps spécial voué à sa protection et à celle des membres de sa famille. Parmi les quelques milliers de membres de cette milice, dirigée par le général Ali Sériati, aujourd’hui en état d’arrestation et poursuivi, ainsi que cinq autres de ses collaborateurs (Mohamed Ali Smaâli, Marwan Bennour, Nacer Cheniti, Mohamed Mongi BelhajChedly, Mohamed Ben Mohsen Dridi), pour «conspiration contre la sûreté de l’Etat et incitation à la violence armée». D’autres membres de cette milice ont déposé les armes et se sont évanouis dans la nature. D’autres enfin continuent de mener des actes violents visant à terroriser la population et à créer une atmosphère de tension permanente, espérant ainsi créer les conditions d’un hypothétique retour du dictateur déchu.
Les «Rcdistes» récalcitrants
Les «benalistes» post-Ben Ali ce sont aussi les membres récalcitrants du Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), qui n’admettent la fin de leur parti, vomi par les Tunisiens et suspendu par le gouvernement de transition. Nombre d’anciens Rcdistes alimentent aujourd’hui les agitations dans certaines villes de l’intérieur. Craignant de perdre les privilèges exorbitants dont ils bénéficiaient sous l’ancien régime et de devoir rendre des comptes de leurs crimes et malversations passés devant une justice enfin indépendante, ils payent de jeunes chômeurs et les poussent à commettre des actes de vandalisme contre des bâtiments publics et des biens privés. On constatera, en passant, que lors de ces attaques orchestrées, des piles de documents administratifs sont souvent détruits. Ce qui traduit une volonté évidente d’effacer les traces de leurs crimes et malversations.
Les propagandistes recyclés
Autres «benalistes», encore plus dangereux: les confrères (et consœurs), qui étaient hier encore les propagandistes zélés de Ben Ali et les piliers médiatiques de son régime dictatorial et qui, aujourd’hui, en deux temps trois mouvements, se sont transformés en révolutionnaires de la 25ème heure. On les voit pérorer dans les talk-shows télévisés, étrennant leur nouvelle posture de militant de la liberté retrouvée. Affectionnant le jeu de rôle et le double langage, ils essaient d’occuper la scène, en criant plus fort que les autres, croyant pouvoir ainsi se refaire une virginité politique. Calculateurs et pernicieux, leur stratégie de reprise du pouvoir se décline en deux types de manœuvres ou de manipulations.
D’abord, ils s’en prennent au gouvernement de transition – aujourd’hui très facile et peu coûteux – et multiplient les attaques contre ses membres, dans une évidente volonté de les déstabiliser et, espèrent-ils, les faire tomber. Ce qui créerait un vide politique et un désordre social qui faciliteraient le retour aux affaires de ces nostalgiques d’un temps révolu.
La deuxième manœuvre, cousue de fil blanc, consiste à multiplier les entretiens avec les anciens symboles des régimes de Bourguiba (Mohamed Sayah, Tahar Belkhodja, Mustapha Filali…) et de Zine El Abidine Ben Ali (Hedi Baccouche, Habib Ammar, Iyadh Ouerdreni, Mohamed Ghariani, Moncer Rouissi…). Il ne manquerait plus qu'ils nous sortent maintenant les Ben Ali, Trabelsi, Chiboub et les autres.
Usurpations, récupérations et mensonges
En mettant ainsi en avant ces anciennes figures du système dictatorial mis en place par le parti Néo-Destour, dans ses deux incarnations historiques: le Parti socialiste destourien (Psd) et Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd), ces anciens propagandistes de Ben Ali cherchent à faire diversion, à noyer la légitimité populaire – incarnée aujourd’hui par la révolution – dans la cacophonie des usurpations et des récupérations.
Il est vrai que la Tunisie souffre aujourd’hui des conséquences du vide créé par l’ex-dictateur qui, par une politique systématique de musellement des vocations et de nivellement par le bas, n’a laissé émerger aucune formation politique, aucun leader charismatique et aucune autorité intellectuelle ou morale susceptible de peser sur l’opinion publique.
A ce vide a succédé, après la révolution, un trop plein de prétentions, d’ambitions et de mensonges. Les retournements de vestes, les reconversions et les usurpations de toutes sortes nous valent aujourd’hui des scènes pour le moins cocasses où l’on voit les anciens thuriféraires de Ben Ali et ses propagandistes attirés se transformer en révolutionnaires dont on est censé admettre, après coup et sans aucune preuve, les valeureux sacrifices et les atroces souffrances sous l’ancien régime.
Reconversions, diversions et opportunisme
Parmi les dernières reconversions spectaculaires enregistrées, on citera celle de Ridha Mellouli, hier porte-voix de Ben Ali et pourfendeur déchaîné de ses opposants, qui s’en prend à la tribune de la Chambre des conseillers – où il a été parachuté par le même Ben Ali – au Premier ministre Mohamed Ghannouchi et aux membres de son gouvernement, tournés en dérision et raillés comme des bons-à-rien.
Quel culot? M. Mellouli prend-t-il les Tunisiens pour des idiots? Croit-il vraiment pouvoir les tromper de nouveau? Ou compte-t-il seulement sur leur amnésie?
On citera aussi l’exemple de Fatma Karray, journaliste à ‘‘Echourouq’’, révolutionnaire qui n’a pas honte de mettre sa plume aux services des dictateurs, de Saddam Husseïn, son héros de toujours, à Zine El Abidine Ben Ali, qu’elle a longtemps servi avec zèle. Mme Karray, qui se découvre aujourd’hui des élans démocratiques et libéraux, a été l’un des membres actifs du soi-disant Observatoire des élections qui a avalisé l’élection de Ben Ali, en 2004 et 2009, à près de 99% des voix. Est-ce par un retour de conscience, un retournement de veste ou pour faire diversion que Mme Karray a interviewé, cette semaine, le militant d’extrême-gauche Hamma Hammami, l’un des opposants qui ont le plus souffert de la répression de Ben Ali?
Le feuilleton des reconversions des «benalistes» en révolutionnaires de la 25ème heure ne va pas s’arrêter là. Kapitalis se fera un devoir d’en faire la chronique.