L’une de ses tantes, Amel El Materi, en a eu l’idée. Le gendre préféré de Zine Ben Ali et Leïla Trabelsi se livrerait à la justice et rembourserait ce qu’il a pris. Sa jeunesse serait, pour lui, une circonstance atténuante.


Dans une ‘‘Lettre ouverte à Sakher El Materi’’, publiée vendredi par les quotidiens de la place, Amel El Materi, une parente de l’ex-Pdg d’Ennakl et de Banque Zitouna, époux de Nesrine Ben Ali, appelle ce dernier d’«agir en homme d’honneur». «Rentre, rembourse et justifie-toi. Le peuple tunisien sera clément envers toi», lui dit-elle.

 

Un plaidoyer pro domo
Amel El Materi, qui se soucie de préserver la réputation de sa famille portant «un nom glorieux», celui du Dr Mahmoud El Materi, grand-oncle de l’homme d’affaires en fuite, fondateur du Néo-Destour avec Habib Bourguiba en 1934 et vice-président de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), «homme courageux, digne, intègre, généreux et d’une honnêteté légendaire», écrit Amel. C’est ce même Dr El Materi qui a sauvé de la potence Moncef El Materi, le père de Sakher, ancien officier de l’armée qui a trempé, en 1962, dans un complot contre l’ex-président Bourguiba, rappelle Amel à son neveu.
La lettre développe, comme dans un plaidoyer pro domo, les principaux arguments d’une hypothétique défense de Sakher El Materi:
- le jeune homme «a toujours vécu dans l’aisance, dans l’honnêteté et la religion». Traduire : la soif d’enrichissement rapide et par tous les moyens, qu’on lui reproche, il ne la tient pas de son ascendance ni de sa situation familiale aisée, mais de l’influence néfaste d’un clan d’arrivistes voraces ;
- Sakher est «tellement jeune». Traduire : il n’était pas totalement maître de ses actes ni conscient de leurs conséquences ni capable de résister à une trop forte influence ;
- le jeune homme de bonne famille «a été obligé à [se] marier à l’âge de vingt-deux ans», il «a été ébloui», il «est entré dans une bulle infernale» et «il est devenu incontrôlable », bref, on a fait de lui «l’enjeu d’une alliance pour asseoir un pouvoir vacillant». En d’autres termes: le jeune homme d’affaires a été pris dans l’enchevêtrement de trop fortes sollicitations que sa noble ascendance lui a attiré de la part du clan Ben Ali-Trabelsi, composé de roturiers médiocres, opportunistes et ambitieux, assoiffé de pouvoir mais en manque de légitimité, ici nationale et historique, que représenterait, au yeux d’Amel, le legs de la famille El Materi.

L’homme qui court à sa perte
Sans douter de la sincérité d’Amel El Materi, ni lui renier le droit de défendre l’un des siens – c’est tout à son honneur –, on peut estimer cependant que les circonstances atténuantes évoquées à la décharge de son neveu peuvent attendrir de simples citoyens, que la mémoire du Dr Mahmoud El Materi et le prestige de sa famille rendent réceptifs de l’idée de pardon, mais ils ne sauraient convaincre des juges dont la mission est de rendre justice. Car les faits sont têtus et les malversations reprochées à Sakher, tout jeune et influençable qu’il eut pu être, sont assez graves et les preuves accablantes. Le jeune homme a d’ailleurs commis une ultime erreur en restant jusqu’au bout fidèle à (et même aux côtés de) l’homme et de la femme qui ont causé sa perte. Son silence, plus d’un mois après son départ du pays, est assourdissant.
On comprend la peine que peuvent ressentir aujourd’hui les parents de Sakher et ses proches, et on compatit même pour la situation difficile dans laquelle s’est mis le «jeune homme d’affaires» – pour emprunter l’expression consacrée par des confrères qui furent, en d’autres temps, ses flagorneurs et serviteurs attitrés*, par ignorance, manque de discernement ou cupidité, mais on ne saurait invoquer les circonstances atténuantes avant même qu’il ne se résout à demander pardon aux Tunisiens, à se livrer à la justice de son pays et accepter son verdict.

Ridha Kéfi

*- L’un de ces journalistes corrompus, que l’on ne nommera pas par charité musulmane, s’est même vu offrir par Sakher El Materi, pas plus tard que la fin de l’année dernière, une BMW flambant neuve.