C’est le titre qu’a choisi notre ami, l’écrivain tuniso-suisse Faouzi Mellah, juriste et politologue, pour intituler cet article où il analyse, sans concession, les erreurs commises par la première responsable du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) suisse dans la gestion d’une série d’affaires qui ont largement écorné l’image de la Suisse dans le monde arabe. Par Faouzi Mellah
Jamais la Suisse n’aura exhibé devant le monde une politique étrangère aussi étrange, décousue et défaillante que celle que mène Madame Calmy-Rey.
Il est vrai que, depuis la fin de la Guerre froide, les relations internationales sont devenues plus complexes, plus instables et plus explosives que jamais. Il est vrai aussi que la montée de nouveaux périls et l’apparition de nouvelles menaces ont transformé notre Planète en une poudrière imprévisible. Il est vrai enfin que Madame Calmy-Rey – par ailleurs aimable et avenante – n’était pas préparée à occuper une si haute charge. Mais tout de même !
Une politique étrange…
L’incapacité – l’incompétence – de la direction du DFAE (ndlr : département fédéral des Affaires étrangères) à analyser les périls et les subtilités du monde de l’après-guerre froide commence à coûter très cher à la Suisse. Ses amis naturels – les Européens – n’ont plus aucune confiance en elle et se mettent même à la tancer et à la sermonner publiquement. Ses adversaires la regardent s’agiter d’un air goguenard en se réjouissant d’avance de ses maladresses. Quant à ceux qui pourraient l’aider, ils ont du mal à cacher leur agacement, car ils ne la comprennent plus. Bref, de plus en plus isolée, de moins en moins respectée, la diplomatie Suisse – ce qu’il en reste – tient à présent du bateau ivre. Sans gouvernail. Sans capitaine.
Face à un échec aussi cuisant, n’importe quel ministre aurait tiré de lui-même les leçons et… sa révérence… Pas Madame Calmy-Rey… Elle continue de sourire en nous susurrant que tout va bien…
Pourtant, il faudra bien penser à sauver le peu de crédibilité qu’il reste encore à ce malheureux DFAE. C’est même une urgence, car les dossiers s’accumulent, les imbroglios se multiplient, les pressions se font de plus en plus brutales et les incompréhensions de plus en plus dangereuses. Sur tous les fronts, et face à tous ses interlocuteurs, la diplomatie suisse est dans l’impasse. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les nouvelles provenant de Bruxelles, Berlin, Washington ou Tripoli.
Jugeons-en…
Le malaise du fameux voyage en Iran…
Ignorant que le nom même de la Suisse évoquait (à l’époque du moins) une certaine idée de la tolérance et de la liberté, notre gentille ministre se rend donc à Téhéran en arborant sur le visage un joli sourire et sur la tête… un beau foulard…
Le hic, c’est que le foulard n’est pas en Iran un signe d’élégance et de féminité. Ce n’est pas un accessoire anodin. C’est un symbole lourd de sens et d’arrière-pensées politiques. Des centaines de femmes n’ont-elles pas payé de leur liberté – certaines de leur vie – leur refus de le porter ?
En mettant innocemment son joli Hermès sur la tête, notre chère ministre n’a-t-elle donc pas un peu désavoué toutes ces Iraniennes qui s’obstinaient alors – et s’obstinent encore – à affirmer leur autonomie et leur libre choix face à un régime théocratique et répressif ? On eût souhaité, de la part d’une responsable suisse et, paraît-il, socialiste, une attitude plus subtile ou, du moins, plus «neutre»…
Le fiasco libyen
Dès l’aube de la fameuse nuit où la Police genevoise avait cru utile d’extirper Hannibal Kadhafi de sa suite de l’hôtel Président pour l’emmener au commissariat de Carl-Vogt, tout le monde avait compris que l’on aurait affaire là, non à une simple mésaventure cantonale du ressort de la Justice genevoise, mais à un incident diplomatique sérieux du ressort de Berne. Tout le monde l’avait compris… Sauf Madame Calmy-Rey…
Ainsi, des mois durant, avait-elle laissé l’affaire pourrir sur le bureau du pauvre Laurent Moutinot sans soupçonner que Tripoli était en train de fourbir ses armes pour lancer une véritable offensive non contre Genève… mais contre Berne…
Kadhafi et ses conseillers auraient-ils donc mieux compris les arcanes de la politique suisse que Calmy-Rey et ses diplomates ? C’est possible ! En tout cas, pour l’instant, force est de constater que, dans cet imbroglio indigne de la Suisse, Tripoli a une meilleure lecture de la géopolitique (y compris celle de la Suisse) que Berne !
Soyons clairs : que la Police genevoise ait bien fait son boulot cette fameuse nuit de l’arrestation d’Hannibal Kadhafi, aucun doute là-dessus ! Que la Police soit là pour faire respecter et appliquer les lois, certainement ! Mais ce n’est pas – hélas – dans ces termes que le DFAE devait raisonner. Dès le départ, les seules questions que Madame Calmy-Rey avait à se poser étaient de savoir quelles conséquences l’affaire «genevoise» allait fatalement entraîner pour la Suisse, et quelle stratégie mettre en place pour anticiper et rétorquer d’avance aux doléances libyennes. S’informer, analyser, anticiper. N’est-ce pas le travail d’un ministère des affaires étrangères digne de ce nom ? N’est-ce pas précisément ce qu’avaient fait le Quai d’Orsay à Paris et le Foreign Office à Londres lorsqu’ils furent confrontés aux mêmes frasques du même Hannibal ? Or qu’a-t-on fait à Berne ? On a perdu un temps précieux à se demander si Hannibal avait vraiment un passeport diplomatique… et si le Conseil d’Etat genevois devait – oui ou non – présenter des excuses…
On a donc renvoyé la patate chaude au Canton en espérant secrètement que le soufflet allait retomber de lui-même. Le résultat ? On le voit ! Après des mois de tergiversations typiquement helvétiques, après moult sourires et déclarations fumeuses de notre gentille ministre, l’enlisement ! Deux innocents qui n’en pouvaient mais pris en otages à Tripoli. Des centaines de touristes libyens (parmi eux des malades fortunés habitués des hôpitaux romands) allant se faire soigner ailleurs. Des projets d’investissements suisses bloqués. Le Président de la Confédération lui-même se ridiculisant devant les caméras du monde entier dans un vague salon libyen. Un avion spécial affrété aux frais du contribuable pour un aller-retour Berne-Tripoli à vide… Le monde qui rigole… L’Europe qui se fâche… Les Arabes qui grimacent… Kadhafi qui surenchérit… Misère de l’amateurisme et de l’innocence !
Le désastre de l’affaire des minarets
Comme la plupart des militants de gauche (ces adeptes incorrigibles du politiquement correct), Madame Calmy-Rey s’est fiée aux sondages les plus approximatifs pour tenter de convaincre son petit monde que la fameuse initiative anti-minarets n’allait pas passer.
Notre Dame de Berne a donc des convictions ; elle veut les partager ; c’est son droit de citoyenne. Seulement, un ministre dirigeant un Département aussi sensible que celui des affaires étrangères n’est pas un citoyen comme les autres. Il est payé pour prévoir le pire et préparer le pays aux crises les plus imprévisibles. Or, nul besoin d’être un politologue chevronné pour «pressentir» quelques semaines avant la votation que l’initiative allait passer.
Pressentir le désastre. S’y préparer. Mobiliser d’avance tous les cadres du DFAE afin d’exposer aux ambassadeurs des pays musulmans accrédités à Berne la position officielle sur ce scrutin. Leur expliquer les finasseries du fédéralisme helvétique. Les préparer au pire. Les rassurer autant que possible. Voilà ce que devait faire le DFAE. Avant la survenue de la catastrophe ! Après, c’est de l’énergie perdue !
Hélas, encore une fois, Madame Calmy-Rey et ses conseillers ont raté le coche ! L’initiative est donc passée. L’UDC a fêté sa victoire. Les bien-pensants ont hurlé que le peuple s’est trompé. Les Musulmans d’ici et d’ailleurs ont crié leur amertume. L’Onu s’est fâchée. Sa commission des droits de l’homme a grogné. Au DFAE, cependant, on n’avait rien vu venir ! Autisme ou méthode Coué ? Le fait est que l’on s’est fié aux approximations des sondages, on s’est convaincu que l’initiative n’avait aucune chance ; et on a négligé d’anticiper… Comme d’habitude…
Si gouverner c’est prévoir, alors disons qu’à Berne on ne gouverne pas…
La faillite du Forum humanitaire Mondial
Le dernier ratage que nous voulons évoquer n’est peut-être pas aussi important que les précédents, mais il est au moins aussi significatif de la manière dont on travaille au DFAE. Il s’agit de la faillite du Forum humanitaire Mondial. Hélas, prévisible ! Mais, encore une fois, le DFAE n’a rien vu venir. Pourtant, dès son lancement en 2007, cet objet non identifié a surpris plus d’un observateur.
Que venait donc faire, sur une scène déjà encombrée de forums et d’Ong, cette espèce de salon mondain où des personnalités, cooptées autant pour leurs carnets d’adresses que pour leur couverture médiatique, allaient causer réchauffement climatique, protection de l’environnement, aide au développement, coopération internationale? Qu’allait donc ajouter ce nouveau machin à tous ceux qui existent déjà ? L’Onu et ses dizaines d’agences, Davos, le Giec, le Cicr, les G 8, G 9, G 20, bref, tout ce beau monde aurait-il donc failli au point qu’il fallait dépenser d’urgence des millions de francs rien que pour réunir quelques personnes autour de Kofi Annan ? Allez savoir !
Le fait est que ce Forum est aujourd’hui en faillite. Son personnel licencié. Son président et son secrétaire général remerciés. Des indemnités de licenciement versées. Un banquier genevois est même sollicité pour régler des charges sociales impayées… Ce n’est plus une faillite ; c’est un naufrage! Kofi Annan est furieux. La Genève internationale fulmine. Les experts ricanent. Le contribuable suisse, lui, y a laissé quelques millions… Pour un rapport – un seul ! – remis à on ne sait qui, c’est cher payé…
Où va la crédibilité de la Suisse ?
Tous ces ratages, ces dossiers maltraités, ces occasions manquées, ces improvisations naïves et coûteuses, prêteraient à rire s’il ne s’agissait de la crédibilité d’un pays qui a fait précisément de la crédibilité sa véritable marque de fabrique. Un fonds de commerce au sens noble du terme.
En effet, minuscule, isolée, sans grandes ressources, la Suisse n’a tiré sa force et son rayonnement que d’une sorte de neutralité active et intelligente. Jouant – et réussissant souvent – un rôle de médiation et de bons offices dans le concert des nations, la diplomatie suisse était respectée et appréciée. Pour sa discrétion et son professionnalisme.
Or, aujourd’hui, la Suisse n’est plus en mesure de défendre sérieusement cette place chèrement acquise. Elle a dilapidé ce capital de crédibilité qui faisait sa force. Qui ferait confiance à un médiateur diplomatique dont la propre diplomatie est à la dérive ? Qui oserait confier une affaire délicate à des diplomates suisses incapables de défendre les vues, les valeurs et les intérêts de leur propre pays ?
Dans un pays où l’on répugne souvent à désigner clairement des responsables, le moment est venu de reconnaître que le département de Madame Calmy-Rey a échoué sur toute la ligne.
Il y a donc urgence à changer de cap, de vision et de ministre…