Imed Trabelsi est, parmi les membres du clan Ben Ali, celui que les Tunisiens aiment le plus détester. Ses faits d’armes ont occupé la justice française avant la Tunisienne. Retour sur une affaire qui aurait pu lui coûter quelques années de prison en France…
A en croire Me Olivier Metzner, avocat d’Imed Trabelsi, qui a assisté son client lors de sa deuxième comparution devant le juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis, le 14 février, le dossier d’accusation de l’enfant terrible des Trabelsi ne contient que «dix pages» relatives à «une infraction douanière»!
En attendant d’en savoir plus à propos des accusations qui seront finalement retenues contre l’ex-maire de La Goulette, une semaine seulement avant la chute de Ben Ali –, nous voudrions rappeler les démêlés de l’intéressé avec la justice internationale, en attendant que la justice tunisienne fasse enfin la lumière sur ses exactions et abus de pouvoir en Tunisie.
Un yacht volé à Bonifacio se retrouve Sidi Bou Saïd
Imed Trabelsi, l’homme que tous les Tunisiens aiment détester, a trempé dans une affaire de vol d’un yacht au Port de Bonifacio, en Corse-du-Sud, en France. Ce yacht, le Beru Ma, d’une valeur de 1,5 million d’euros, propriété de Bruno Roger, ancien patron de la banque d’affaires Lazard frères, ami intime de Jacques Chirac et proche de Nicolas Sarkozy, a été volé le 5 mai 2006, avant de se retrouver, par un mystérieux concours de circonstance, au port de Sidi Bou Saïd.
Jean-Baptiste Andreani, l’ancien policier devenu enquêteur des assurances Generali, qui assurent le yacht de M. Roger, se rend à Sidi Bou Saïd à la demande de Generali, dès le 15 mai 2006, en se faisant passer pour un touriste.
«A mon arrivée, se souvient Andreani, j’ai été pris en charge par notre correspondant, le commissaire d’avarie. Je ne le connaissais pas avant cette rencontre. Au cours de notre transport au port de Sidi Bou Saïd, ce dernier m’a mis en garde sur les dangers encourus car le bateau se trouvait dans un port protégé par la famille présidentielle», raconte l’enquêteur au cours de son audition, le 24 mai 2006, par le juge d’Ajaccio en tant que témoin. Il apparaît alors que le bateau est en train d’être maquillé et qu’Imed Trabelsi est son acquéreur.
L’Elysée et Carthage entrent en jeu
Après avoir authentifié le Beru Ma, le détective dit avoir informé par téléphone Generali ainsi que le propriétaire, Bruno Roger. «Le lundi soir 15 mai 2006, tard, vers 21 h 30-22 heures, j’ai reçu un appel sur mon portable du commandant de gendarmerie en poste à l’ambassade de France, à Tunis. Il m’a demandé où se trouvait le bateau et m’a sollicité pour le conduire sur le lieu d’accostage. Ce commandant avait été contacté par la direction de la gendarmerie qui elle-même avait été contactée par M. Sarkozy, et ce à la demande du propriétaire, M. Roger», assure Andreani.
«De ce que j’ai pu en savoir, M. Roger est une relation de M. Sarkozy. Sur ce vol de bateau, j’ai été contacté directement à deux ou trois reprises par M. Guéant, directeur de cabinet de M. Sarkozy [Claude Guéant deviendra secrétaire général de l’Elysée, ndla] ainsi que par le major général de gendarmerie Nauroy», ajoute le détective.
Quel que soit le niveau d’implication de l’Elysée et de Carthage dans les négociations, force est de constater que quelques semaines après sa découverte dans le port de Sidi Bou Saïd, le Beru Ma est rapatrié en France et rendu à son propriétaire. Cette efficacité n’a pas bénéficié aux propriétaires des deux autres bateaux volés par la même bande, le Sando, le Blue Dolphin IV, qui, pourtant étaient stationnés à côté du Beru Ma, à Sidi Bou Saïd.
Quoi qu’il en soit, lors de leur interrogatoire par la police, les neufs membres du réseau de voleurs des trois yachts désignent Imed et son frère Moez Trabelsi, comme étant les commanditaires des vols, précisant avoir reçu instruction de convoyer leur butin à Sidi Bou Saïd.
Après un long feuilleton juridico-judiciaire, dans lequel les dirigeants des deux pays, au plus haut sommet de l’Etat, se trouvent impliqués, tout sera mis en œuvre pour éviter un procès en France aux deux receleurs tunisiens.
Un «voyou de grande envergure» soustrait à la justice
Ainsi donc Imed et Moez Trabelsi n’ont jamais comparu devant une juridiction française. Pour sauver les apparences, ils ont été déférés devant une juridiction tunisienne, qui les a finalement acquittés. Réputée bien moins regardante que la justice française, la justice de Ben Ali a su donner un aspect purement formel à leur pseudo procès. Elle s’est arrangée pour trouver un bouc émissaire pour lui faire endosser les forfaits des deux enfants terribles des Trabelsi: un certain Naoufel Benabdelhafid, docteur en droit et ex-secrétaire général de la faculté de médecine de Tunis, qui a eu la mauvaise idée de traficoter avec les Trabelsi.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des membres de l’entourage de Ben Ali échappent à la justice. Imed Trabelsi n’est pas lui-même à son coup d’essai en matière de recel. Dans son rapport envoyé le 9 juin 2006 à l’assureur du Beru Ma, le détective privé Andréani, dépeint ce dernier comme un «voyou de grande envergure qui bénéficie d’une totale impunité». «Il utilise plusieurs véhicules volés: une Porsche Cayenne, un Hummer ainsi qu’une Mercedes 500 immatriculée 13, volée à Marseille en novembre 2005 (propriété d’un joueur de l’OM)», indique-t-il dans le même document. Le joueur en question est l’ex-défenseur international sénégalais de l’Olympique de Marseille, Habib Beye, victime d’un car-jacking en mars 2005. Imed Trabelsi avait alors été contraint de restituer la luxueuse limousine contre un abandon des poursuites.
En ce qui concerne le vol des yachts, les faits sont pourtant têtus et Imed et Moez Trabelsi, qui ont été acquittés par la justice tunisienne sur ordre de Leïla Trabelsi, ont été reconnus coupables de vol sinon de recel des yachts en France.
Kapitalis publiera demain le récit de cette abracadabrante affaire des yachts volés qui a occupé, pendant deux ans, la diplomatie et la justice de la France et de la Tunisie, avant d’être classée. Kapitalis rappellera les faits tels que rapportés en leur temps par les médias français, citant des enquêteurs et des magistrats de l’Hexagone. Une manière de rafraîchir certaines mémoires oublieuses et d’appeler nos chers magistrats, aujourd’hui libres et indépendants, à rouvrir et à instruire ces affaires trop vite classées, afin que la justice puisse enfin être faite et que les coupables d’abus et de crimes ne restent pas impunis.
Imed Bahri
Lire demain: Imed Trabelsi échappe à la justice française (2/2)