Les forces de l’ordre intérieures porteront, le mardi 19 avril, un brassard rouge. Ils entendent protester contre les prémices d’une campagne leur imputant des meurtres et des pillages pendant la révolution.


Cette réaction fait suite à la conférence de presse donnée mardi à Tunis par Me Taoufik Bouderbala, le président de la Commission nationale d’investigation sur les dépassements et les violations (Cidv).

Des «boucs émissaires» dites-vous?
Me Bouderbala avait parlé de «dizaines de crimes prémédités, de quelques bavures militaires et même d’agressions sexuelles sur des manifestants en détention…». Il avait affirmé que des documents trouvés dans des postes de police de certaines villes du sud-ouest, qui ont enregistré le plus grand nombre de morts par balles, livrent les noms, les numéros de téléphone et les tâches de chaque agent. Il avait même désigné le corps spécial de la Brigade de l’ordre public (Bop) comme étant le vivier où ont été recrutés les tireurs d’élites décrits par les manifestants. Me Bouderbala avait certes pris le soin de préciser que certains agents de l’ordre ont été accusés injustement par la population, mais cela ne semble pas avoir rassuré les forces de sécurité intérieure qui redoutent d’être désignées à la vindicte populaire.  
Ces affirmations ont fait réagir l’assemblée constitutive provisoire du Syndicat des forces de l’ordre intérieures, qui a affirmé, dans un communiqué rendu public mercredi, qu’il «commence à déceler les prémices d’une campagne ciblant les services de sécurité à travers la propagation d’informations dépourvues de toute crédibilité, avec des allusions accusatoires imputant les actes de violence, de meurtre, de terreur, de vol et de pillage aux forces de l’ordre».
Le syndicat indique, par ailleurs, que ces accusations se fondent «sur des arrestations qui ont englobé certains cadres et agents qui font l’objet d’une enquête, ainsi que sur des fuites qui ne sont que de simples constatations, qu’il convient de tenir secrètes jusqu’au parachèvement des procédures juridiques, la réunion des éléments constitutifs du crime et la présentation des preuves matérielles, dans le cadre de procès équitables et transparents».

Exécutants d’ordres émanant de supérieurs hiérarchiques?
Le syndicat, en cours de constitution, réaffirme, également, le rejet catégorique de voir certaines parties prendre les forces de la sécurité intérieure comme «un bouc émissaire» pour atteindre des objectifs politiques étroits, qui n’ont aucun rapport avec l’intérêt général du peuple tunisien. Il précise, également, que «les mesures d’assainissement sont nécessaires, dès lors qu’il s’agit d’une revendication populaire, soulignant que ces mesures doivent être généralisées aux autres secteurs affectés par la corruption».
Le syndicat appelle «la famille des magistrats à s’attacher aux principes de la justice et de l’équité, et à la primauté de la loi, à traiter, en toute objectivité et indépendance, les affaires dont font parties des cadres et des agents de sécurité, et à recourir aux législations nationales en vigueur, tout en tenant compte des spécificités de la profession de l’agent de sécurité qui font de lui un simple exécutant des ordres de son supérieur hiérarchique».
Dans le souci de faire face, avec tous les moyens juridiques disponibles, à «la campagne malintentionnée» fomentée à l’encontre des membres de l’appareil de sécurité, le syndicat a annoncé qu’il «entend engager un mouvement de protestation, en incitant tous les agents de sécurité intérieure à porter un brassard rouge, à partir du mardi 19 avril, avec possibilité d’une escalade de la protestation, à travers d’autres formes, qui seront déterminées ultérieurement, en cas de poursuite de la campagne diffamatoire et si le ministère de l’Intérieur ne prend pas les mesures qui s’imposent».
On comprend, bien sûr, que les forces de l’ordre vivent aujourd’hui un malaise. Parce qu’ils ont la lourde tâche d’assurer la sécurité publique, ils sont parfois engagés à leur insu dans des violences, surtout durant les périodes de troubles publiques.
C’est tout naturellement, si l’on peut dire, qu’ils se trouvent au premier rang des accusés quand les commanditaires des actes qu’on leur reproche se sont enfuis ou se sont défaussés sur leurs subalternes.

Ni impunité ni chasse aux sorcières
Reste qu’entre le simple soupçon, légitime en soi, et l’accusation fondée sur des preuves, il y a tout le travail d’investigation judiciaire qui doit être mené en toute sérénité et sans précipitation.
A cet égard, les agents de sécurité doivent être traités à pied d’égalité avec les simples citoyens, la présomption d’innocence devant primer jusqu’à la fin de l’instruction. Et là, tout en exigeant que tous les auteurs de crimes soient punis, fussent-ils des agents de sécurité, la loi étant au-dessus de tous et surtout de ceux qui sont censés la faire régner, on doit également se garder de désigner à la vindicte populaire tel ou tel corps de métier. Surtout quand il s’agit des forces de sécurité dont toute société a besoin pour faire régner l’ordre et le droit, particulièrement lors des périodes troubles, comme celle que traverse la Tunisie. La devise serait alors la suivante : ni impunité ni chasse aux sorcières.

Imed Bahri

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