D’anciens ministres de Ben Ali et dirigeants du Rcd battent campagne, comme si de rien n’était. C’est le cas de Mohamed Jegham, qui postule à un avenir politique dans la Tunisie post-Ben Ali.


Samedi dernier, le secrétaire général du tout nouveau parti El-Watan, présidait à Sousse, son fief – il est natif de Hammam-Sousse en 1943–, un meeting populaire, «en présence d’un grand nombre de partisans et de citoyens de la région», rapporte l’agence officielle Tap.

Recalé par l’article 15
Or, on sait que l’article 15 du projet de décret-loi relatif à l’élection de l’Assemblée nationale constituante, approuvé par le Conseil des ministres du gouvernement provisoire, prive d’élection toute personne ayant assumé des responsabilités au sein du gouvernement de Ben Ali, tout en étant membre de son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd, dissous). Ce qui est, sauf affirmation du contraire, le cas de M. Jegham.
Ce dernier a en effet occupé sous Ben Ali les postes de ministre du Tourisme (1988-1995), de l’Intérieur (1995-1997), ministre-directeur du cabinet présidentiel (1997-1999), ministre de la Défense nationale (1999-2001). Il a également été un haut dirigeant du Rcd, membre de son comité central (1988-2003) et de son bureau politique (1995-2001).
Après la fuite de Ben Ali, M. Jegham a occupé pendant dix jours le poste de ministre du Commerce et du Tourisme au sein du premier gouvernement provisoire dirigé par Mohamed Ghannouchi, avant d’être remplacé, sous la pression de la rue qui ne voulait plus des anciens collaborateurs de Ben Ali.


Mohamed Jegham (à droite)

M. Jegham a certes quitté le gouvernement de Ben Ali en 2001 et le Rcd en 2003. Il était l’un des rares proches collaborateurs du dictateur à avoir une réputation d’honnêteté et d’intégrité, ce qui lui a d’ailleurs valu sa disgrâce et sa longue traversée du désert. S’il était respecté des Tunisiens, il n’était pas particulièrement apprécié par Leïla Trabelsi, l’épouse de l’ex-chef d’Etat, qui a exigé et obtenu son départ du gouvernement. Par sa droiture et sa rectitude morale, l’homme était, il est vrai, un «mauvais conseil» pour l’ex-dictateur. N’a-t-il pas d’ailleurs poussé l’outrecuidance jusqu’à attirer l’attention de Ben Ali sur les dépassements et abus des membres de sa famille? Mal lui en pris. L’homme se fit gronder par le dictateur, qui n’a pas tardé à le remercier.

Laisser le temps au temps
Le fameux article 15 prive M. Jegham de la possibilité de présenter sa candidature à l’élection de l’Assemblée nationale constituante. Il ne l’empêche pas cependant de créer un parti ou de postuler à relancer sa carrière politique. Avec El Watan, qu’il a créé avec un autre ministre de Ben Ali, Ahmed Friaâ, ce commis de l’Etat a toujours la possibilité de mettre sur orbite, momentanément, de jeunes cadres, en espérant pouvoir passer un jour lui-même à l’avant-plan, à la faveur d’une réconciliation nationale qui ouvrirait la porte à des hommes comme lui de servir encore leur pays.
Mais d’ici là, le rejet du Rcd et de l’ancien régime est encore tellement vivace parmi les Tunisiens que M. Jegham devra continuer de faire face à l’hostilité de nombre de ses compatriotes, dont certains l’ont empêché de tenir des meetings populaires dans les régions intérieures, notamment dans le centre-ouest et le sud. L’homme a même été chassé violemment avec ses partisans.  
En politique, il ne sert à rien de nager à contre-courant. Il faut laisser le temps au temps, même si, à 68 ans, M. Jegham n’a pas encore beaucoup de temps à perdre en préliminaires. Mais à vouloir y aller avec force, ne court-il pas le risque d’un rejet encore plus fort? La forte affluence des habitants de Sousse et l’accueil chaleureux qui lui a été réservé ne devrait pas le tromper sur les dispositions réelles des Tunisiens à son égard.

Imed Bahri

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