Les femmes et hommes qui s’élevaient contre Ben Ali portent des noms et une vie étincelante de courage et de dignité! Ils sont moins loquaces aujourd’hui que les collabos du 13 et révolos du 15...
Par Jamel Heni, Paris



Le cas du Rcd fut habilement tranché et c’est tant mieux! Cet appareil de contrôle politique et social sous Ben Ali devint, après sa fuite, la principale force de la contre-révolution! De par sa responsabilité, mais aussi de par ses intérêts contre-révolutionnaires par excellence, il menaçait sérieusement et d’emblée la transition démocratique! Personne n’avait le choix et sa dissolution fit plaisir à tous! Et même très plaisir...
Il n’en demeure pas moins que ce procès équitable (que l’on devrait voir s’étendre à tous les collaborateurs de Ben Ali!) se dévoya en une forme abjecte de tyrannie: la tyrannie du passé! L’on se trouve comme empêtré dans une réelle dictature de «curriculum vitae révolutionnaire» de chaque Tunisien!

 

Tes preuves le 13!
Il ne se passe pas un jour sans que des preuves d’opposition tragique à Ben Ali ne soient brandies sur tous les toits, sans que des pièces à charges n’accablent de «jolies têtes» émergeant de la marée des dix millions de Tunisiens silencieux, notre majorité  désormais «toutes sirènes hurlantes» mais qui avait drôlement peur de la prison et de la torture et qui avait perdu sa langue 23 ans durant! Pas seulement ça! Pauvre d’elle... Une majorité qui n’avait pas des yeux pour voir et des oreilles pour entendre lors même que Ben Ali torturait rubis sur l’ongle! Allez, on va dire dix millions moins mille! Le même mille militant de toujours qui n’avait pas pris le parti de se taire !
Mais pourquoi nos dix millions moins mille se rejettent un passé trop lâche?! Alors que seul le millier connu faisait preuve de courage, régulier et épique?! Bien que tout le reste était sans l’ombre d’une audace et pour certain à genoux, pour ne pas dire aplatis!

Les courageux du 14 au soir
Sans la moindre fausse modestie, j'avais été dans le mille qui eusse du courage quand il fallait et de la pudeur quand il a fallu! Je n’en tire aujourd’hui aucun motif de fierté, rassurez-vous! Aucun, croyez-moi! Mais je m’indigne des courageux du 14 au soir, qui ne furent même pas du matin! Des «zoros» de la fable qu’on n’a jamais vus et qui nous auraient offert la liberté!
Je m’indigne même des vrais militants qui n’ont pas laissé l’histoire en juger et se précipitèrent toutes griffes dehors sur les lauriers de la tribune! Oui, je suis très en colère contre cet appétit précoce aux honneurs de mes amis militants, ces «chevaliers de la liberté»!, qui font aujourd’hui tourner des vidéos, des textes et des photos de leur illustre combat contre la dictature! Ils s’autocélébrent, et s’autodétruisent en même temps... Ils ne sont plus à mes yeux les mêmes et ils n’ont plus rien à envier aux lugubres faux-nez de la révolution... Ils sont littéralement contre-révolutionnaires! Oui, voilà contre-révolutionnaires, parce qu’ils réclament non plus l’honneur pour la foule mais l’honneur de la foule! Un véritable marché aux souffrances qui les ravale en criards des puces: «Voici ce que j’ai enduré, je vous en fais un prix...»

Les révolos du 15
Nos 10 millions moins mille lancent aujourd’hui une guerre préventive, désignent des boucs émissaires, plaident non coupables en se constituant partie civile! Mais tout le monde sait ce que c’est à la fin: une projection, une belle projection! Mais une projection quand même. Les révolos du 15 attribuent aux autres les traits qu’ils ne peuvent supporter: leur propre lâcheté! Et plus ils se retrouvent complices et coupables, plus ils le dénient en en éclaboussant le premier venu...
Aussi assiste-t-on sur les réseaux sociaux et l’impoli journalisme mouillé jusqu’au titre, à une foire aux trahisons, des montages ingénieux, une véritable tyrannie du 13!, que les plus collabos et les moins audibles auparavant allongent depuis 5 mois!
Que nos héros du 15 veuillent inconsciemment supporter la culpabilité, cela s’entend! Mais qu’ils se défilent consciemment derrière des airs de vierge effarouchée, de procureur meurtrier, de pompier pyromane, cela devient scandaleux! L’on ne peut enfiler les perles des autres, par simple déclaration sur l’honneur!
Tout le monde sait à qui appartient la révolution et qui l'a faite… Le passé est là, têtu, très têtu. Il ne se résume pas au 13 ni au 14. Les femmes et hommes qui s'élevaient contre Ben Ali portent des noms et une vie étincelante de courage et de dignité! Ils sont les moins loquaces aujourd’hui...