Un groupe de 25 avocats justiciers monte au créneau et accuse l’Etat de décider de tout au nom de la justice, comme au bon vieux temps de Ben Ali. Par Zohra Abid
Les avocats ont décidé de sortir de leur silence après avoir vu Saïda Agrebi, l’un des symboles féminins de l’ancien régime, quitter le pays en toute légalité, et l’ancien ministre de la Justice Béchir Tekkari libéré. S’achemine-t-on vers l’acquittement des figures emblématiques de l’ancien régime? La Tunisie risque-t-elle de manquer le virage de la transition et de se retrouver à la case départ?
L’impunité n’est pas dans le texte!
Sur cette question qui taraude la rue, quatre du groupe des 25 avocats ont organisé un point de presse, vendredi à El Teatro de Tunis, pour dénoncer ce qui est en train de se tramer dans les coulisses des tribunaux tunisiens et sensibiliser l’opinion publique. Ils ont voulu que les médias prennent aussi leur part de responsabilité pour dénoncer les dénis de justice.
Mais voilà, la salle était à moitié vide. Les chaînes nationales de télévision et de radios étaient aux abonnés absents. Rares les journalistes tunisiens qui ont répondu présent à l’invitation. Aux côtés de quelques médias étrangers, une poignée de militants, de victimes de l’ancien système et avocats.
Y a-t-il quelque part un relâchement? Le sujet serait-il sans intérêt? La boucle est-elle déjà bouclée? Préfère-t-on tirer un trait sur le passé et passer à autre chose?
«Nous voulons une vraie justice. Que la justice soit rendue. Nous ne cherchons que cela. S’il s’avère que ces personnes sont vraiment innocentes, nous acceptons les verdicts. Mais qu’ils nous expliquent déjà pourquoi la justice a-t-elle mis ces gens-là des mois en prison pour les relâcher après sans aucune raison, sans aucune explication», lance Me Anouar El Bassi.
Halima est-elle revenue à ses vieilles habitudes?
Son confrère Amor Safraoui a rappelé, de son côté, que les plaintes portées par le groupe des 25 contre une trentaine de hauts responsables corrompus ayant participé au pillage du pays risquent d’être reportées aux calendes grecques sans raison. Et de s’étonner de voir que ces plaintes ne seront pas examinées avant la prochaine rentrée judiciaire.
«Entre-temps, le juge a déjà été nommé ailleurs. Et son successeur aura besoin de temps pour examiner le dossier. Cette décision a été prise d’en haut pour faire traîner les affaires», a expliqué Me Mohamed Ennaceur Laouini. L’avocat se dit prêt à continuer le combat bon gré mal gré les décisions des juges et des décideurs qui ont accordé des promotions à certains juges corrompus. «Ce n’est pas possible aussi de ne pas entendre Mondher Zenaïdi, un ancien ministre très proche du clan Ben Ali/Trabelsi depuis 1987 et de laisser courir dans la nature plein d’autres hauts responsables de son envergure», s’est il étonnée.
Selon Me Laouini, l’ancien système fonctionne encore comme si de rien n’était. Selon lui, c’est même pire qu’avant. «Celui qui décide à la place du procureur de la République, c’est l’actuel ministre de la Justice. Ce dernier agit, bien sûr, sur décision du Premier ministre qui, à son tour, n’agit pas seul. Car, derrière M. Caïd Essebsi, le président par intérim...», accuse le jeune avocat qui, après l’avalanche de libérations des symboles de l’ancien régime, commence à avoir des doutes sérieux sur les agissements des uns et des autres.
Anguille sous roche
L’avocat se veut avant tout citoyen et militant des droits de l’homme et il dit non à ce qui se passe actuellement. Le cas de Saïda Agrebi le rend fou de rage. Il lance un cri d’alarme contre ceux qui continuent à faire le beau et le mauvais temps au ministère de la Justice. Il s’emporte: «Est-il possible de voir aujourd’hui Samir Feriani derrière les barreaux rien que pour avoir exprimé une opinion? Est-il possible de voir des manifestants pacifiques arrêtés et traînés dans la boue et conduits par la force dans les casernes de l’armée?».
«Le monde est vraiment à l’envers», déplore-t-il. Furieux, Me Laouini évoque les rapports du ministère des Finances sur les abus commis par Saïda Agrebi dans la gestion de l’Association tunisienne des mères (Atm), dont elle était présidente jusqu’au 14 janvier dernier. «Mais pourquoi l’a-t-on laissée partir cette femme alors qu’elle encourt, au vu des charges pouvant être retenues contre elle, de 50 à 60 ans de prison ? », se demande Me Laouini. Il ajoute: «Ce sont des instructions de l’Etat. Nous connaissons tous ceux qui ont fait le complot contre les journalistes, ceux qui ont arrêté des étudiants. Nous connaissons ces juges, un à un. Ce sont les juges qui étaient au service des Trabelsi, et qui agissent aujourd’hui selon les instructions du gouvernement».
Selon l’avocat, le gouvernement par intérim fait tout pour protéger les symboles de la corruption. «Il n’y pas même pas un parlement légitime auquel il rend des comptes. Il agit en toute liberté et se permet tout», dit-il. «Ce que je vous dis là, c’est la conclusion de 7 mois d’observation. Voilà ce que nous pensons, le 5 août 2011, de notre justice», ajoute-t-il. Que faire ?
L’observatoire des élections de 2004 e 2009 à la barre
Pour les quatre avocats, il est encore possible de réagir. Comment? Me Laouini, Me Safraoui, Me El Bassi et leur consoeur Soumaya Abderrahman ont déjà pris contact avec des personnalités, des militants de l’Ugtt et de la société civile pour faire des pressions afin que la ne justice soit rendue. «Si on ne réagit pas à temps, on risque de reconstruire le pays sur des piliers minés par la corruption. Il est vrai que le Rcd est dissous, mais aujourd’hui, 80 partis sont nés de ce parti», disent les 25, qui promettent de ne pas s’arrêter là. Bientôt, le groupe va porter plainte contre les membres de l’Observatoire des élections de 2004 et 2009.
«Ils sont des ministres, des gouverneurs et à leur tête un avocat, oui un avocat. Pour vous dire que dans notre structure, des avocats et des juges et autres collabos de l’ancien régime et à chacun ses propres intérêts. Le dossier des élections truquées sera bientôt dévoilé», lance Me laouini. Pour lui et ses confrères, il était temps pour dévoiler et poursuivre ces personnes grandement impliquées dans l’ancien système. «Ceci est un signal pour que le prochain parti qui va gouverner le pays et qui souhaite être dans la continuité de l’ancien système en cousant une ‘‘jebba’’ à sa mesure soit averti. Nous voulons mettre en garde les politiques», a-t-il conclu.