L’Instance Ben Achour, à l’instar de tous les autres «machins» créés par la révolution, est de plus en plus critiquée. A-t-elle dévié de son objectif principal, qui est de veiller à la réalisation des objectifs de la révolution?
Les critiques, qui lui étaient adressés par certains partis, comme Ennahdha ou le Parti démocratique progressiste (Pdp), pour des raisons plutôt partisanes, sont désormais exprimées par la plupart des forces politiques, les représentants de la société civile et l’opinion publique. Que reproche-t-on à l’équipe hétéroclite managée, non sans difficulté, par le juriste et écrivain Yadh Ben Achour?
Absentéisme chronique
Entre autres griefs, on retient contre la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et la transition démocratique (Hirorrptd), l’absentéisme chronique de ses membres, dont beaucoup ne répondent présent que de manière intermittente. Ce n’est pas là, on l’imagine, un signe de sérieux. Et même si l’on comprend que tous les membres sont des bénévoles et qu’ils exercent des fonctions ailleurs, on pourrait exiger de ces «personnalités nationales» autoproclamées, un peu plus de sacrifice, de volontarisme ou de patriotisme en cette phase délicate par laquelle passe le pays.
On reproche aussi à l’Instance Ben Achour, dont les membres n’ont pas été élus mais cooptés de manière parfois discutable, d’usurper le rôle d’un parlement, en élaborant des projets de décrets-lois à promulguer par le gouvernement transitoire avant les élections du 23 octobre prochain, comme une tentative d’anticiper les décisions de la future Assemblée constituante. Ce qui est pour le moins surprenant, sachant que la prochaine Assemblée sera souveraine et qu’elle pourra mettre à plat toutes les juridictions transitoires. Pourquoi donc un tel empressement à légiférer?
Nuages sur la transition
Autre grief retenu contre la Haute instance: son indifférence à l’égard des derniers développements survenus sur la scène nationale aux plans politique, économique, social et, surtout, sécuritaire. Les dérapages sécuritaires dans certaines villes de l’intérieur (Sidi Bouzid, Metlaoui, Jendouba, Jebeniana, etc.) n’ont pas suscité l’intérêt de l’Instance, alors qu’ils auraient dû préoccuper ses membres, car ils lancent des signaux très négatifs quant aux perspectives de la transition politique dans le pays. Et ce n’est pas le communiqué, très tardif et très général, sur ces événements, qu’elle a publié jeudi, qui va changer cette image d’indifférence à l’égard du pays réel.
Idem pour les défaillances de l’appareil judiciaire illustrées par la fuite de quelques symboles de l’ancien régime et l’atermoiement dans le jugement de ceux qui ont commis des crimes contre le peuple tunisien. Au lieu de plancher sur des textes de lois engageant trop l’avenir, et qui ne sont pas de son ressort, la Haute instance aurait été mieux inspirée d’enquêter sur les raisons des retards constatés dans la poursuite des symboles de l’ancien régime et des criminels dont les mains sont entachées du sang des quelques 300 martyrs de la révolution.
Certains pensent qu’en déléguant la mission de l’organisation de la prochaine élection à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), dirigée par Kamel Jendoubi, l’Instance Ben Achour est restée pour ainsi dire sans mission claire. Ce qui explique sa propension à vouloir se transformer en instance législative ou, tout au moins, en comité d’experts juridiques chargé de concocter des lois transitoires.
Reprendre la main
Par ailleurs, les relations entre le Gouvernement provisoire et la Haute instance restent mal définies et surtout distantes, car comment expliquer que la Kasbah (siège du premier) ne consulte pas, ou très rarement, le Bardo (siège de la seconde) sur des questions importantes qui engagement la transition politique dans le pays, comme, par exemple, les nominations à des postes clés, d’autant que ces nominations sont souvent décriées, les personnes promues étant parfois liées à l’ancien régime.
Bref, à l’approche des élections, et alors que des phénomènes inquiétants se multiplient – dérapages sécuritaires «très contrôlés», financements douteux des partis, soudoiement des médias, ambiguïtés d’une justice à la traîne, reprise en main de l’appareil administrative par des éléments de la vieille garde, etc.) –, la Haute instance serait bien inspirée de reprendre la main et de se remettre de nouveau au centre de l’échiquier politique, à mois que les leviers de commande aient déjà changé de main. Auquel cas, re-bonjour la révolution!