Le 13 aout, la Tunisie a célébré la Fête Nationale de la Femme. Impossible de ne pas se faire rappeler l’événement par les journaux de la place, les partis politiques et autres organes de la société civile.
Par Hatem Nafti*


Cette date est d’autant plus importante qu’elle revêt cette année un caractère unique à un moment aussi crucial de l’histoire de la Tunisie. Ainsi, les mêmes marronniers titrés «Le rôle et les acquis de la femme dans la Tunisie du Changement» se verront rebaptisés «Le rôle de la femme dans la Tunisie postrévolutionnaire». Quelqu’un a-t-il vu un changement?
Chacun trouvera sa muse. D’aucuns rappelleront les femmes qui ont fait l’histoire du pays de la fondatrice de Carthage, Didon à la Régente de Carthage, Leila Ben Ali en passant par la Kahéna et Aziza Othmana. D’autres s’intéresseront aux actrices de la révolution comme Lyna Ben Mhenni ou les mères des martyrs. On ne manquera pas de remarquer ceux, nombreux, qui l’année dernière chantaient les louanges de Leila Trabelsi, Saida Agrebi et consorts, et qui, sans une once de dignité, rivalisent d’ingéniosité et de talent pour lapider ces dernières. Et les variations sur le thème ne manquent pas.

Deux femmes, deux choix, deux libertés
Pour ma part, je voudrais rendre hommage à deux femmes qui ont marqué l’histoire postrévolutionnaire du pays et qui, à mon humble avis, ont représenté, malgré elles, le malaise de la question de la femme dans la Tunisie d’aujourd’hui.
Il s’agit d’Ons Jabeur et de Mounira Hmani Aifa. Rappel des faits: le dimanche 5 juin 2011, Ons Jabeur devient la première Tunisienne à remporter le tournoi de Rolland Garros junior en battant la  Portoricaine Mónica Puig en deux sets. Une victoire d’autant plus importante qu’elle est riche de symboles: obtenue par une femme tunisienne l’année de la révolution de la liberté et de la dignité.
La même semaine, la chercheuse en génétique moléculaire humaine, Mounira Hmani Aifa annonce la découverte d’un gène à l’origine d’une maladie héréditaire qui affecte les yeux, la Microphtalmie postérieure. Il s’agit de la diminution de la taille d’un seul œil, entraînant des troubles visuels et autres complications comme l’hypertension intraoculaire et l’effusion uvéale. Cette découverte fera date dans le monde de la médecine en Tunisie et dans le monde, après sa publication dans une revue scientifique ‘‘Nature Genetics’’.
Ces deux événements dont chaque Tunisien devrait être fier ont été accueillis diversement et ce en fonction des convictions politiques et culturelles de chacun. Au lieu de fédérer les Tunisiens, ils n’ont fait que refléter nos divisions les plus profondes.
Dans le premier camp, on trouve des islamistes, autoproclamés porte-paroles du Tout-Puissant, gardiens de la morale et des mœurs publiques. Ce groupe  se disait outré et choqué par la tenue scandaleuse de la jeune tenniswoman.
Comment, dans ce pays musulman, on permet à une jeune fille d’exhiber ainsi ses formes en portant une jupe aussi courte? Comment ose-t-on être fier d’une gamine qui, loin d’honorer la patrie (ces gens-là préfèrent l’expression Oumma, excluant tous les non-musulmans, à savoir toute personne osant les contredire, dont votre serviteur), a jeté un voile de honte sur le pays avec une tenue aussi indécente? Je vous épargne les commentaires insultants et rétrogrades qui ont fleuri sur la toile et dans certains prêches extrémistes. Les procureurs de Dieu en ont également profité pour faire le procès de la laïcité en s’attaquant lâchement à l’honneur d’une enfant de 16 ans pour des desseins politiques douteux.

Une femme ne peut-elle pas porter le voile par conviction ?
Dans le camp adverse, celui des modernistes, féministes, progressistes, les réactions n’ont guère été meilleures concernant la découverte de Mme Hmani. La gêne était perceptible. La première réaction était d’occulter l’événement, de le tuer médiatiquement. Sauf erreur de ma part, je n’ai pas entendu les défenseuses officielles de la gent féminine se féliciter qu’une femme ait fait une découverte aussi importante. Et pour cause, il y a un détail qui les dérange. Cette femme porte un voile. Ce qui fait d’elle automatiquement une femme soumise, brimée, prisonnière de cet habit archaïque, voulant pousser le pays vers l’arrière. Cette réaction, bien qu’elle m’attriste, ne m’étonne pas du tout. Dans un article que j’ai publié il y a quelques mois, je posais la question de l’absence de femmes voilées dans le panel représentatif de la population venu sur le plateau de Nessma écouter Mme Clinton dans son infinie sagesse nous prodiguer des conseils sur la démocratie. Parmi les commentaires qui m’ont été adressés, la responsable d’une association de féministes s’indignait de ma réflexion. «Le voile n’est ni un critère de démocratie ni de liberté... C’est le linceul de la liberté des femmes...», disait-elle, refusant l’idée-même du libre arbitre, ne pouvant admettre qu’une femme puisse décider de porter ce voile par conviction, sans y avoir été contrainte, mais dans le même temps, défendant bec et ongles le libre choix vestimentaire quand celui-ci est identique au sien. Elle est belle la tolérance à sens-unique!!! Et les exemples ne manquent pas.
Une de mes enseignantes à l’Insat qui refusait d’encadrer des filles voilées et les humiliait en cours est devenue, post-révolution, une grande féministe, se battant pour toutes les femmes tunisiennes, à la condition expresse qu’elles ne soient pas affublées d’un voile.

La femme vaut mieux que le tissu qu’elle porte
De quel droit ces femmes peuvent-elles exclure de la féminité d’autres femmes parce qu’elles ne s’habillent pas comme elles? A l’image de certains islamistes qui déchoient de la qualité de musulmans ceux qui ont le moindre avis différent, ces pseudo-féministes décident de qui a ou n’a pas le droit de porter le qualificatif féminin.
On nous apprend, depuis notre plus tendre enfance, que notre Tunisie est plurielle, issue d’un important brassage culturel des plus grandes civilisations. L’ironie de l’histoire fait que les mêmes personnes qui entonnent ce refrain sont les premières à jouer la carte de l’exclusion. Les mêmes qui appellent à la tolérance se montrent d’une intolérance insupportable quand ça les arrange. Je n’en veux pas aux obscurantistes car je suis convaincu qu’il faut tirer vers le haut, j’en veux aux personnes qui se disent ouvertes et qui font plus que toute autre personne le jeu des intégristes faisant fi de tous leurs idéaux pour exister. Je préfère qu’on regarde tous les combats victorieux de la femme tunisienne, de l’antiquité à nos jours. Qu’elle porte un voile, une jupe, un sefsari (tristement souillé par l’ex-famille régente, tombée en disgrâce), une melia, la femme tunisienne mérite qu’on s’intéresse à elle, à son âme, à ses rêves et à ses espérances. Elle vaut beaucoup plus que le tissu qu’elle met sur le corps. Vive la femme tunisienne libre !!!

* Ingénieur, Paris.