Dans une «Lettre d’introduction officielle» datée du 21 septembre et signée par Maja Jeribi, le lobbyiste tunisien a été nommé Haut représentant du Parti démocratique progressiste (Pdp) auprès de l’Union Européenne (UE). Entretien…
Propos recueillis par Ridha Kéfi
Kapitalis : Peut-on en savoir plus sur cette «nomination» ?
Ghazi Mabrouk : Comme vous le savez, je n’avais pas été favorable à la fonction d’ambassadeur de Tunisie en France, pour laquelle j’avais été pressenti en mai dernier.
J’ai préféré m’engager pour la mise en œuvre d’une proposition qui serait plus concrètement utile à la Tunisie et qui correspondrait davantage à ma posture actuelle autour des institutions de l’UE à Bruxelles.
J’ai suggéré, à cet effet, que la Tunisie puisse prendre de l’avance, en procédant à la dissociation physique de la fonction d’ambassadeur de Tunisie auprès de l’UE spécifique et ad-hoc de celle d’ambassadeur de Tunisie auprès du Royaume de Belgique.
Je m’étais résolument engagé dans une série de consultations en Tunisie, notamment auprès de partis «major» de la sphère démocratique, et la réactivité du Pdp – de Néjib Chebbi a été la plus déterminée, en direction des institutions de l’UE, telle que je l’envisageais.
Pour cette raison, il a été convenu avec le Pdp que le positionnement futur de la Tunisie à Bruxelles devra être effectué sur ces bases nouvelles et dynamiques. Il conviendra de répondre, sans attendre, aux réorientations nouvellement manifestées par les dirigeants européens en direction du sud de la Méditerranée et – en particulier de la Tunisie – à la lumière de la constitution par Mme Ashton de la «Task force» européenne – spécifique à cette région – et qui vient de se rendre en Tunisie.
Qu’est-ce que cela signifie d’être le Haut représentant du Pdp auprès de l’UE ? En quoi consistera votre mission ? Vous représenterez un parti, mais pas la Tunisie ?
Ghazi mabrouk
En fait, cela constituerait un premier pas en vue de la création, après le 23 octobre 2011, d’une ambassade de Tunisie spécifique et séparée, pleine et entière, auprès de l’UE à Bruxelles.
La coalition née des résultats des prochaines élections aurait ainsi l’opportunité de s’engager dans cette voie, qui va être balisée immédiatement par mes soins, dans cette perspective qui deviendrait incontournable.
Peut-on vous demander (pour ainsi dire) votre «programme» pour cette mission anticipée ou cette fonction provisoire, en attendant son éventuelle confirmation après le 23 octobre ?
J’ai six objectifs immédiats que je me permets de livrer pour vos lecteurs. Il s’agit de procéder à :
- l’installation, d’ores et déjà, du «Haut-Représentant» dans les locaux qui abritent l’Observatoire Européen du Maghreb, dans l’immeuble sis avenue Froissart à Bruxelles, à proximité du siège du Conseil de l’Europe ;
- la création d’un «Pôle-relais de Publics Affairs-Tunisie» à Bruxelles ;
- la création, à notre tour, d’une «Task force» Tunisie auprès des Institutions de l’Union européenne, comme «pendant» à la «Task force» européenne. La «Task-force» Tunisie serait à constituer de manière mixte avec des spécialistes et experts tunisiens et européens, attachés à la future ambassade à Bruxelles, et en charge d’impulser et de gérer le dossier Tunisie ;
- des approches susceptibles de favoriser la mise en œuvre d’un véritable «Axe Tunis-Ankara», avec un trigone de coopération politique et économique, en liaison avec l’Europe ;
- la définition des nouveaux critères qui présideraient à la nouvelle donne des négociations futures entre la Tunisie et l’UE et notamment à l’évaluation de l’utilité – sur une base égalitaire – du «Statut de pays le plus avancé» pour la Tunisie, actuellement en attente.
- la réactivation concertée du 5+5, entre les pays des deux rives occidentales de la Méditerranée, dans la mesure où l’Union pour la Méditerranée (UpM) serait inopérante.
Avez-vous pesé votre choix en optant pour le Pdp ?
Maja Jeribi
J’ai entendu dire au sein du Pdp qu’avec ma nomination de Haut-représentant, «le Pdp aura fait une prise de taille». Peut-être pas à ce point, mais s’ils pensent cela, c’est flatteur pour moi… Je considère modestement qu’ils faisaient peut-être allusion à ma «grande taille», en parlant de «prise de taille». En tout état de cause mon engagement ainsi décidé aura un objectif majeur : celui de servir la nouvelle Tunisie démocratique là où je serai le plus utile.
Je reformule ma question : en vous liant ainsi ostensiblement au Pdp, ne craignez-vous pas de vous aliéner les autres grands partis ?
Je sais que je risque de m’aliéner les autres partis de l’échiquier politique tunisien en adoptant cette posture sous le label Pdp, pour laquelle il faut prendre de l’avance par rapport aux «réajustements» concoctés par les institutions européennes en direction de la Tunisie. Mais je sais aussi qu’ils auront tous assez d’intelligence pour comprendre que cette démarche auprès de l’UE est collective, qui a besoin de tous les partis tunisiens. C’est de l’intérêt supérieur de la Tunisie qu’il s’agit, sans exclusive partisane. Tous les partis tunisiens seront – de facto – partie-prenante d’une telle initiative : les affaires étrangères tunisiennes ne sont pas l’apanage d’un seul parti, mais celui de tous et notamment du gouvernement qui les représentera après le 23 octobre 2011.
Bio-express :
Ghazi Mabrouk est docteur en sciences politiques de l’Université de Paris, spécialiste des fonds souverains, délégué général auprès des Institutions Internationales, vice-président de l’Alliance économique européenne, ancien président exécutif de la Convention Euro Méditerranée sur le libre échange, ancien vice-président de la Commission Méditerranée au Conseil fédéral européen.
M. Mabrouk s’est engagé dans le secteur du lobbying au sein d’une Union européenne naissante, en pleine phase d’élargissement. Il se spécialise ensuite dans les relations euro méditerranéennes et entame dès 1990 des initiatives en faveur des entrepreneurs et grands groupes économiques de cette zone. Il engage également une politique de «lobbying d’affaires».
Il est Conseiller spécial de l’Observatoire européen du Maghreb, créé en 2010 à Bruxelles par le premier réseau leader européen de Public Affairs au sein des institutions européennes.