Pour sa première sortie publique, Slim Riahi, président de l’Union patriotique libre (Upl), a mis certes le paquet, mais pas l’étincelle qui accroche et marque les esprits. Reportage…

Par Zohra Abid


Pour rivaliser avec la centaine de partis en lice, l’Upl a cherché par tous les moyens à se démarquer en misant surtout sur le matraquage publicitaire. En un temps record, il a réussi à imposer sa marque sur l’échiquier politique par son slogan «Tawa» (maintenant). Pour son premier meeting, très attendu, l’organisation et la communication ont été confiées à trois agences de communication et d’évènementiel, dont une libanaise et une autre française. Ceci pour la forme. Quant au contenu, là, c’est une autre histoire… à raconter.

Un après-midi de fête

La Coupole d’El Menzah, de l’extérieur comme de l’intérieur, a incarné, vendredi dernier, les couleurs du jeune parti (fondé il y a même pas trois mois). La pelouse était investie dès 14 heures par des dizaines de bus venus de toutes les régions. Les sympathisants venus de Sfax, à eux seuls, ont été ramenés par 17 bus. Pour déplacer tout ce beau monde, l’Upl a dû déjà casquer une petite fortune en location de cars tout confort. Sans compter les boissons, les casse-croûtes à offrir sur la route... Sans compter aussi les milliers de casquettes, de tee-shirts et de petits drapeaux rouge sang frappés du logo de l’Upl et distribués à tout le monde (enfin presque !). Une ambiance de déjà vu...


Des dizaines de bus venus de tout le pays

Alors que les membres du parti préparaient leur show à l’intérieur de la Coupole, des milliers de jeunes sont restés dehors. Que réclament-ils ? «Ils nous ont promis quelques billets, ils doivent nous payer avant, sinon on leur sabote l’événement», crient des adolescents agités. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Sont-ils vraiment des sympathisants de l’Upl ? «Y aura-t-il demain un meeting chez les Nahdhaouis ou les Pdpistes ? J’y serai volontiers», lance en se marrant un jeune à ses copains. D’autres ados ont pris leur place sur les gradins. Une ambiance colo et place aux troubles.

Prévu à 15 heures, le meeting ne commencera qu’une heure plus tard. La salle est déjà bondée. Aux premiers rangs, les amis et les amis des amis et autres curieux. Mais très peu de personnalités connues. Quelques universitaires et hommes d’affaires, quelques anciennes figures du Rcd fondues dans la foule, deux ou trois artistes et... c’est tout ! Le reste, des jeunes, beaucoup de jeunes...

Le fond musical, emprunté à Michael Jackson, ne parvient pas à canaliser les énergies et à calmer l’ambiance de stade. Les bruits de quelques tambours ont vite été noyés dans l’ambiance bruyante. Il a fallu que le service d’ordre intervienne pour faire taire les «intrus». Pas évident !

Demandez le programme !

Un peu après 16 heures, comme un avant-goût, la série de clips Tawa a été projetée en boucle sur le grand écran tout rouge. Puis place à l’hymne national avant qu’une présentatrice enceinte (et presque à terme) – faut-il y lire le message d’une miraculeuse naissance, le messie s’appelant cette fois Slim Riahi ? – annonce le discours de deux jeunes militants : une avocate et un cadre. Tous deux ont expliqué les raisons de leur adhésion à l’Upl. Suivra Mohsen Hassen, porte-parole de l’Upl. Sur un ton de politicien averti, il annonce les 14 points du programme électoral du parti. Puis, le moment si attendu est arrivé...

A part deux apparitions télévisées, le milliardaire Slim Riahi (39 ans) est jusque-là inconnu du grand public. Ce qui lui a valu de fortes critiques de la part de plusieurs chefs de partis. «Pour voter peut-être l’Upl, il est nécessaire de connaître au moins le visage de son président», a ainsi lancé, sur Shems Fm, au lendemain de sa conférence de presse, mi-septembre, Lotfi Mraïhi, chef de l’Union populaire républicaine (Upr). Voir en chair et en os Slim Riahi était donc déjà un événement. Du moins pour les curieux. A quoi ressemble ce fortuné ?

Entouré d’une armada de garde-corps tout en noir et d’une escouade d’hôtesses en tailleur bleu marine et petit foulard rouge, l’homme en costume bleu foncé, chemise blanc immaculé et cravate rouge, fait son entrée de star à 17 heures pile sous un tonnerre d’applaudissements. Les chauffeurs de salle n’ont pas chômé ce jour-là et les vieux réflexes sont revenus en force. Merci Zaba ! Toute la salle se lève pour Slim Riahi. On s’agite et on se bouscule pour le voir ou le prendre en photo... Difficile de voir l’homme de taille moyenne au milieu de ses garde-corps, grands et costauds. Sous les projecteurs d’un panel de chaînes de télévision et de photographes, l’homme a préféré serrer la main à plusieurs de ses connaissances se trouvant dans les premiers rangs avant de monter à la tribune.


Dernière photo pour la route

Les ados sur les gradins, tout de rouge vêtus, de plus en plus agités, brandissant les couleurs du parti, ont à peine laissé leur star s’exprimer.

Un modèle propre à la Tunisie

Bien avant qu’il n’entre dans le vif de son meeting, Slim Riahi s’est présenté comme une victime de l’ancien régime qui a dû passer le plus clair de sa jeunesse loin de son pays natal. Il a dit qu’il en a souffert et qu’on n’a pas idée de l’amour du pays quand on en est loin. Dans son discours, écrit dans un arabe classique (encore du déjà vu !), le président de l’Upl a présenté un programme clair et éclair, qui prévoit des solutions rapides. «Le pays n’attend plus. Notre force est dans l’investissement, seule solution pour prendre le dessus sur le chômage», a-t-il plaidé.

Selon son fondateur, l’Upl qui se positionne dans le centre libéral, tout en préservant l’identité arabe et musulmane, veut se projeter dans la modernité. Bien sûr, à ses rivaux, Slim Riahi avait deux phrases à dire. Sur un ton de reproche, il s’en prend à Ennahdha. Surtout. Pour lui, la Tunisie qui a enfanté Habib Bourguiba, Kheireddine Pacha, Tahar Haddad et autres réformistes, n’a pas besoin d’adopter le modèle turc. «Nous sommes déjà un modèle, insiste-t-il. Nous n’avons pas besoin d’incarner des modèles préfabriqués et mis dans des boîtes à consommer. Nous sommes le modèle de l’avenir pour les Arabes. La révolution tunisienne a changé la région. Avons-nous honte de cela ? Nous n’avons pas besoin de suivre les Turcs que nous respectons pour s’inspirer de leur expérience et creuser notre voie. Nous dirons à ces gens-là que le peuple est le sultan de ses idées et nous refusons d’être comme auparavant sous l’aile de la dynastie ottomane», a-t-il lancé, après avoir félicité les sympathisants venus si nombreux l’écouter... Et de céder ensuite la scène à la musique et au rap pour le peu de gens restés jusqu’à la fin.

18 heures passées, tout le monde veut rentrer. Les bus se préparent pour le retour... les accompagnateurs ont du mal à rassembler les jeunes dispersés. Un peu après 19 heures, Slim Riahi n’a pas encore quitté le Palais des sports. Les fans l’attendent impatiemment à côté de sa Mercedes. Ils veulent une photo avec lui. A sa sortie, les jeunes ont eu leur plaisir : une photo souvenir avec «Si Slim» sous le regard des garde-corps.

20 heures, les derniers bus quittent les lieux. La place se vide. De tout le décor, il ne reste pratiquement plus rien sauf quelques affiches géantes ayant résisté à l’agitation du jour.

Pour sa première grande sortie publique, le chef de l’Upl a-t-il vraiment conquis des électeurs ? Dans trois semaines, les urnes nous le diront !