Dans un rapport rendu public jeudi 8 juillet à Paris, l’Ong française d’aide aux migrants, Cimade, décrit l’arbitraire des procédures consulaires françaises des demandes de visa dans six différents pays, ainsi que les sentiments d’injustice et d’humiliation que ces pratiques provoquent chez les candidats à un visa Schengen.
Les pays de l’espace Schengen mettent en place un fichier contenant des renseignements concernant 100 millions de demandeurs de visas, «sans aucune garantie pour la confidentialité» des données recueillies, s’alarme la Cimade.
«Au nom de la lutte contre la fraude et de la sécurité, les gouvernements européens fabriquent une société policière dans laquelle les faits et gestes de tout un chacun peuvent être contrôlés, consignés et communiqués», dénonce l’Ong.
Dans le cadre de la mise en place de la biométrie, «le plus grand fichier au monde est en constitution par les pays de l’espace Schengen» qui vont y insérer dans cinq ans les données concernant 100 millions de demandeurs de visas «qu’ils aient ou non obtenu» le document, selon l’association qui présentait une enquête sur les «pratiques consulaires en matière de délivrance des visas».
Politique de maîtrise de l’immigration
La Cimade se dit également inquiète par la privatisation de procédures qui relevaient jusqu’ici du corps diplomatique. L’externalisation de ces services ôte toute garantie de sécurité, car ces «sociétés ne bénéficient pas de l’immunité diplomatique» et «on ne sait donc pas comment leurs patrons vont réagir aux demandes des autorités» locales, s’inquiète la Cimade.
Pour la France, 101 postes consulaires ou diplomatiques sont équipés pour délivrer des visas biométriques. Le système doit être généralisé au 1er janvier 2012.
Alors que l’Union européenne est engagée dans une politique de maîtrise de l’immigration marquée par l’adoption de la «directive retour» des migrants illégaux, «le visa est devenu un véritable outil de gestion des flux migratoires», analyse l’association.
La France a enregistré 2.333.779 demandes de visas en 2008 et 1.056.819 au premier semestre 2008. En 2009, les Russes ont été la première nationalité pour le nombre de visas de court séjour délivrés (253.112), suivis des Chinois (170.188), des Marocains (151.509) et des Algériens (130.013). Les Tunisiens arrivent loin derrière avec 90.000 visas.
Après avoir mené une mission dans six pays (Algérie, Mali, Maroc, Sénégal, Turquie, Ukraine), la Cimade dresse un constat «accablant» de la politique de délivrance des visas.
Des pratiques choquantes
«Qu’ils veuillent gérer les flux migratoires, c’est parfaitement compréhensible, mais rien ne les oblige à traiter les personnes de cette manière, il s’agit d’êtres humains», s’est exclamé un haut fonctionnaire malien, outré par l’attitude du consulat français de Bamako, devant lequel tous les matins ouvrés une foule se forme pour tenter d’obtenir un visa d’entrée en France.
Au Mali, il faut 220 euros pour avoir un visa à la France alors que le salaire moyen est de 61 euros mensuel. Un coût qui n’est pas remboursé si le visa est refusé. Ce qui donne l’impression à beaucoup de demandeurs de visas de «se faire arnaquer par la France», que «la France se fait de l’argent sur le dos des pauvres et des malheureux».
«Entre l’impossibilité d’accéder au consulat, le flou complet des documents à produire dont la liste inexistante ne cesse de changer selon l’interlocuteur, l’argent qu’il faut verser et qui n’est pas remboursée même si la demande est refusée, les délais d'instruction extrêmement variables, les refus oraux sans explications, ni motivation, les informations erronées sur les voies de recours quand le demandeur a la chance d’obtenir une information, on ne sait plus à la fin ce qui apparaît comme le plus choquant», constate la Cimade.
Cet état de fait laisse une impression de non droit aux demandeurs de visa et encourage la corruption et la fraude. A Bamako, tout un réseau d’intermédiaires fournit les services que ne rend pas le consulat: de l’aide à remplir un formulaire jusqu’au prêt de sommes d’argent pour prouver des revenus suffisants. Plus humiliant encore, c’est de n’avoir pas d’explication lorsque le visa est refusé. Un refus pas même notifié, qui se déduit par l’absence de visa sur le passeport.
Ces pratiques ont engendré, selon elle, des «dégâts» pour l’image de la France et favorisé la création de filières d’immigration illégale.
Synthèse Imed B.
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