Le gouvernement Hamadi Jebali, qui multiplie les bourdes, serait bien inspiré de revoir sa stratégie, ses méthodes et sa communication. Faute de quoi, il risque de jeter l’éponge avant la mise en place d’une nouvelle constitution !

Par Moez Ben Salem


Il est généralement admis que tout gouvernement nouvellement élu bénéficie d’une période de grâce de 100 jours durant laquelle les citoyens lui accordent leur préjugé favorable. Pour le gouvernement à forte prédominance «nahdhaouie» mis en place suite aux élections du 23 octobre 2011, la période de grâce tire à sa fin et il est temps d’établir un premier bilan. Disons-le d’emblée, ce bilan est négatif, pour ne pas dire désastreux !

Le manque de compétences au sein de ce gouvernement, les mauvais choix stratégiques, l’absence totale de visibilité, les déclarations intempestives inappropriées, la mauvaise gouvernance et la communication déficiente ont conduit à une très mauvaise situation économique, une accentuation du chômage et une situation d’insécurité inquiétante.

Chaque jour qui passe nous apporte son lot de scandales, de maladresses et de décisions inappropriées qui font que le citoyen tunisien perd confiance en ce gouvernement. Pire, l’image de la Tunisie est sérieusement écornée, ce qui n’est pas pour rassurer touristes et investisseurs potentiels.


Hamadi Jebali et son équipe

Plutôt que de se remettre en question, le gouvernement «nahdhaouie» tente d’imputer la responsabilité du désastre actuel «à certaines parties qui ne veulent pas du bien à la Tunisie» ! Pathétique !

Je ne vais pas pouvoir énumérer toutes les erreurs commises par ce gouvernement, tellement elles sont nombreuses ; on va se contenter de passer en revue celles qui semblent les plus graves ou qui ont suscité le plus de réactions négatives :

1) Le «6ème Califat» de Hamadi Jebali : moins d’une semaine après les élections, alors que les résultats définitifs n’étaient pas encore publiés, le Premier ministre autoproclamé a fait une déclaration incroyable aux sympathisants d’Ennahdha, affirmant qu’il avait reçu des «signaux divins» et qu’il allait instaurer le 6e califat !
Il y a lieu de signaler que même les talibans n’ont jamais osé faire une telle déclaration !

2) Souad Abderrahim et les mères célibataires : surnommée «Souad Palin», celle qui se présente comme l’égérie d’Ennahdha du fait qu’elle soit non voilée a déclaré sur les ondes d’une radio étrangère que «les mères célibataires sont une infamie en Tunisie ; éthiquement elles n’ont pas le droit d’exister» [en tant que telles, Ndlr] !
Propos fascistes que l’on pensait ne plus pouvoir entendre après la fin du nazisme !

3) Les salafistes et la Faculté des lettres de la Manouba : sans doute l’affaire qui reflète au mieux l’incompétence et la mauvaise foi de ce gouvernement !


Salafistes université

Un groupe d’une trentaine de salafistes entreprend d’investir l’administration de la Faculté des lettres de la Manouba menaçant le doyen, les enseignants et les étudiants et empêchant la tenue des cours et des examens dans cet établissement universitaire qui compte près de 10.000 étudiants ; incroyable mais vrai ! Devant la passivité du gouvernement de Béji Caïd Essebsi, puis de celui de Hamadi Jebali, qui laissent pourrir la situation pendant 5 semaines, enseignants et étudiants se rendent au ministère de l’Enseignement pour demander au ministre, Moncef Ben Salem, issu d’Ennahdha, de trouver une solution. Ce dernier ne trouve pas mieux que d’envoyer la police pour les tabasser. Pis, une journaliste présente sur place pour couvrir la manifestation se fait violenter à son tour ! Le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) organise une manifestation pacifique pour exprimer sa solidarité avec la journaliste en question. Ennahdha, pour sa part, envoie une «milice» (on ne trouve pas d’autres mot pour qualifier ces préposés à l’intimidation de ses opposants) pour intimider les manifestants.

Entre-temps, les salafistes continuent leur sit-in à la Manouba, sans être inquiétés outre mesure !

4) Un candidat ministre essuie le véto d’un pays étranger : le Premier ministre a d’abord présenté un gouvernement pléthorique comprenant 51 ministres avant de céder à la pression populaire et ramener ce nombre à 41 ! Plus grave, le portefeuille de ministre des Finances a d’abord été attribué à Khayam Turki (Ettakatol), un expert en finance internationale dont la compétence est reconnue (chose rare dans ce gouvernement), avant de lui être retiré sous la pression d’un petit pays du Golfe : les Emirats arabes unis !

La souveraineté de la Tunisie prend un sale coup !

5) Tentative de contrôler les médias : le gouvernement Jebali a commis une grossière erreur en essayant de mettre la main sur les médias publics à travers la nomination de directeurs et de rédacteurs en chef qui lui sont inféodés. Pire, certains de ses nominés sont des anciens Zabatistes. Cette décision malencontreuse, d’un amateurisme primaire, a eu pour effet de souder les rangs des journalistes tunisiens.

6) Tentative de contrôle de la Banque centrale de Tunisie (Bct) : Après une première tentative ratée de mettre la main sur la Bct à travers une loi que voulait faire passer Ennahdha à l’Assemblée constituante, le gouvernement revient à la charge, indirectement, en envoyant des éléments proches d’Ennahdha, organiser une manifestation à la Bct, pour réclamer le départ de son gouverneur. Un scandale dont ce gouvernement pouvait se passer.

Parenthèse : Ennanhdha a pris la fâcheuse habitude d’envoyer ses hommes pour tenter d’imposer sa loi. Elle l’a fait contre les journalistes, le gouverneur de la Bct, le gouverneur de Kebili, devant le ministère de l’Intérieur, des intellectuels... Bref, la méthode d’un Rcd-bis !

7) L’Emirat salafiste de Sejnane : cette affaire gravissime, qui paraît relever du surréalisme, a gravement terni l’image de la Tunisie à l’échelle internationale. Un journal de la place a révélé l’histoire incroyable de la création d’un véritable émirat salafiste dans la petite ville de Sejnane ; les habitants de cette ville se trouvant à la merci d’un groupe extrémiste qui fait régner la terreur, à travers des actes de torture sur de paisibles citoyens. Un Etat dans l’Etat ! L’affaire a été largement répercutée à travers les chaînes de télévision tunisiennes et étrangères.

8) Le chef du Hamas et les cris de haine à l’aéroport : le parti Ennahdha a commis l’énorme bourde d’inviter (en son nom ou bien en celui du gouvernement, on n’en sait rien) le chef du Hamas, prenant le risque de froisser les autorités palestiniennes légitimes. Pire, lors de l’accueil triomphal qui lui a été réservé à l’aéroport Tunis-Carthage, des cris de haine d’une extrême gravité ont été lancés par une horde d’énergumènes excités. C’en est fini de l’image d’une Tunisie tolérante !

9) La libération anticipée d’un pédophile : lors de la célébration du 1er anniversaire de la révolution du 14 janvier, un certain nombre de détenus ont bénéficié d’une amnistie, parmi eux se trouve un pédophile qui n’est autre que le frère du ministre de la Justice ! Pour un parti qui parle d’éthique et de morale, c’est vraiment la chose à ne pas faire !

10) Un appel au meurtre en direct : lors d’une séance de travail de l’Assemblée constituante, en présence du Premier ministre et retransmise en direct à la télévision, un des hauts responsables d’Ennahdha n’a pas trouvé mieux que de lancer un appel à la violence ! Evoquant les sit-inneurs et les manifestants qui réclament leurs droits, il n’a pas trouvé mieux que de citer un verset du Coran qui menace ces derniers, à travers un langage imagé, de couper leurs mains et leurs jambes et de les faire disparaitre de la surface de la terre. Le tyran Ben Ali paraît être un enfant de chœur.

En définitive, ce gouvernement est appelé à faire une révolution de palais et revoir de fond en comble sa stratégie, ses méthodes et sa communication. Faute de quoi il risque de devoir jeter l’éponge avant même la mise en place d’une nouvelle constitution !