Entretien avec Ghazi Mabrouk, président d’un «Comité d’Action» Tunisie, récemment créé à Bruxelles, avec pour mission de présenter, avant fin mars, des dispositifs pour un réajustement des accords Union européenne-Tunisie.

Propos recueillis par Wajdi Khalifa, correspondant à Bruxelles


Alors que la presse marocaine encense sa diplomatie et son lobbying efficients auprès des instances européennes, au lendemain de la nomination d’un autre Marocain au poste de secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM), il semble que les choses commencent, enfin, à évoluer pour les relations de la Tunisie avec les institutions européennes.

En effet l’Observatoire européen du Maghreb à Bruxelles, qui regroupe des réseaux de relations publiques dans la capitale européenne, avec pour Conseiller spécial le tunisien Ghazi Mabrouk, et l’European Economic Alliance ont décidé, vendredi 10 février, au cours d’une réunion à Strasbourg (siège du Parlement européen), de confier à Ghazi Mabrouk la présidence d’un «Comité d’Action» Tunisie. Composé d’experts européens indépendants, ce comité aura pour mission de présenter, avant fin mars, des dispositifs concrets, pour un réajustement des accords et des relations de l’Union européenne avec la Tunisie post-révolution.

Le lobbyiste tunisien qui a multiplié les rencontres auprès de personnalités officielles tunisiennes du ministère des Affaires étrangères, de la Présidence de la République, de la Présidence de l’Assemblée constituante et des institutionnels européens, a remis à ces derniers un mémorandum dont nous publions ici un résumé. Notons qu’une visite du président tunisien, Moncef Marzouki, à Bruxelles est annoncée très prochainement.

S’agissant du «Comité d’Action» européen, nous avons contacté Ghazi Mabrouk (par téléphone), qui en assurera la présidence, pour nous en préciser les objectifs.

Kapitalis : A la faveur de la mission européenne que vous présidez, quels sont les grands axes d’intervention qui seront explorés ?

Ghazi Mabrouk : En tout premier lieu, je voudrais vous préciser que cette mission fera l’objet de la publication d’un ‘‘Livre Blanc’’ des initiatives relatives aux relations nouvelles qui seraient dessinées entre l’Union européenne (UE) et la Tunisie. La mission qui nous est confiée, et dont j’ai l’honneur d’assurer la coordination, s’articulera autour de 5 sujets :

1 - Task force Tunisie (Tft) : le premier dossier de notre mission consistera à définir les conditions de la mise en place à Bruxelles d’une véritable task-force en faveur de la Tunisie, auprès des diverses institutions européennes, mais également des autres acteurs du «labyrinthe européen», souvent ignorés. Ceci permettrait de dépasser le cadre traditionnel des dossiers officiels, pour amener des «réseaux» européens – dont le rôle est majeur – à s’engager en faveur de la Tunisie et de drainer ainsi tout un courant financier et d’investissement inédit.

2 - Fonds stratégique européen d’investissement pour la Tunisie (Fseit) : le second dossier est un corollaire immédiat à une telle force de frappe. Il consistera à définir les conditions de la création à Bruxelles d’un Fonds stratégique européen d’investissement pour la Tunisie. Celui-ci devra constituer le passage obligé, regroupant des courants de financements et d’investissements européens en faveur de la Tunisie. Il concernera aussi bien des lignes institutionnelles européennes, que des apports internationaux émanant du G8 et d’autres types de financements, auxquels participe l’UE. Ce Fonds créera ainsi une plus grande confiance des Européens quant à leurs affectations financières et leur destination, telles qu’elles auront été librement décidées par la Tunisie. Ce Fonds permettra également aux Européens de mieux visualiser les retours sur investissements de ce courant financier potentiel, qui se trouvera ainsi démultiplié.

3 - Premiers états-généraux des régions d’Europe et de Tunisie (Pegret) : le troisième dossier consistera à définir les conditions d’organisation, avant la fin de l’année 2012, des Premiers états-généraux des régions d’Europe et de Tunisie. Les régions jouent en Europe un rôle majeur et autonome, en matières budgétaire et économique. La relation entre les régions d’Europe et les régions de Tunisie devra constituer une innovation institutionnalisée à terme, dans la mesure où le soubassement post révolution des urgences tunisiennes est celui de la région. Ceci également, dans la mesure où la région a constitué un facteur de développement majeur pour la construction européenne elle-même.

4 – Business council Tunisie en Europe (Bcte) : il s’agit de définir les conditions de mise en place d’un Business council Tunisie en Europe, à Bruxelles. Il devra regrouper les groupes d’affaires, les décideurs, les organisations socioprofessionnelles, les partenaires économiques et financiers européens de la Tunisie, aux côtés des entrepreneurs tunisiens. Ce Conseil permettra de proposer les orientations sectorielles prioritaires qui sont celles des entreprises européennes, au regard des potentialités qu’offrira la Tunisie nouvelle. Ce Conseil contribuera également à assurer le financement des opérations de communication, de marketing et toutes les actions d’intervention nécessaires à la task-force en faveur de la Tunisie en Europe.

5 – Le processus du 5+5 : il s’agit de définir les avantages que la Tunisie pourrait tirer de la réactivation du 5+5 nord-sud de la Méditerranée occidentale. Lors de l’audience qui m’avait été accordée l’an passé à l’Elysée – et dont Kapitalis s’était fait l’écho –, j’avais déjà suggéré à la cellule concernée et à l’ambassadeur en charge de l’UpM de réajuster celle-ci vers la Méditerranée occidentale, qui poserait moins de difficultés relationnelles. Il semblerait que cette approche soit désormais devenue une nécessité. Alors que l’on parle de réactiver l’Union du Maghreb arabe (Uma), son pendant rive-nord au sein du 5+5 constituera, à mon avis, un «sauvetage» pour un processus euro-méditerranéen recentré.

Vous avez toujours œuvré pour la dissociation du poste d’ambassadeur de Tunisie auprès de l’UE, de celui d’ambassadeur de Tunisie auprès du Royaume de Belgique. Pourquoi ?

Telle que fonctionne actuellement l’ambassade de Tunisie à Bruxelles, elle n’a ni les moyens humains, ni les moyens structurels pour encadrer une initiative spécifique, à tous les niveaux européens institutionnels et para-institutionnels. La dissociation d’une fonction d’ambassadeur de Tunisie auprès de l’UE de l’ambassade actuelle est recommandée. D’autant plus que l’UE est représentée par un ambassadeur de l’UE auprès de la Tunisie.

Une ambassade ad hoc pourra ainsi couvrir à la fois le volet des accords et documents officiels ainsi que le volet d’action auprès des différentes régions d’Europe, des fondations européennes sectorielles et des organisations financières et para-institutionnelles européennes qui foisonnent et dont on ne soupçonne parfois même pas l’existence.

En d’autres termes, créer l’encadrement pour aller chercher les investissements et les financements là où ils se trouvent. J’ai soumis un mémorandum aux autorités tunisiennes sur ce sujet.

Vous venez d’évoquer l’UpM qui a encore récemment décidé de désigner une personnalité marocaine en qualité de secrétaire général. Pourquoi la Tunisie s’est-elle, une nouvelle fois, laissée dépossédée de cette fonction qui lui était destinée au départ ?

Comme le secrétaire général sortant coopté par les pays membres de l’UpM était marocain, cette Organisation a voulu éviter de réitérer la démarche de désignation, alors que l’UpM est «flottante». Ils ont voulu s’épargner d’engager à nouveau le processus de désignation d’un remplaçant et ils ont voulu laisser cette fonction à un autre Marocain. De toute façon, il n’échappe à personne que l’UpM n’est plus désormais un concile opérationnel d’actualité.

Bio-express :
Ghazi Mabrouk est docteur en sciences politiques de l’Université de Paris, spécialiste des fonds souverains et Conseiller spécial de l’Observatoire européen du Maghreb. M. Mabrouk s’est engagé dans le secteur du Public Affairs au sein d’une Union européenne naissante, en pleine phase d’élargissement. Il se spécialise ensuite dans les relations euro-méditerranéennes.