Les Tunisiens n’ont pas mis trop de temps pour se rendre compte que le plus haut responsable du gouvernement manque visiblement de compétence et d’expérience pour le poste.

Par Béchir Turki*


 

Enigmatique, son CV est assez maigre pour un chef de gouvernement, M. Hamadi Jebali doit sa fulgurante promotion au nombre élevé d’années de prison qu’il a passées dont treize dans un isolement total. On est là en présence d’un paradoxe: un isolement aussi prolongé et une coupure aussi longue avec le monde, censés être un désavantage pour une candidature au poste de chef du gouvernement, sont devenus un avantage et un atout dont s’est prévalu M. Jebali – après Nelson Mandela et d’autres – pour s’imposer à la tête du premier gouvernement tunisien issu d’élections démocratiques.

Manque de compétence et d’expérience

Les Tunisiens n’ont pas mis trop de temps pour se rendre compte que le plus haut responsable du gouvernement manque visiblement de compétence et d’expérience pour le poste, d’autant que le pays passe par sa crise la plus grave depuis l’indépendance.

Dès sa nomination, M. Jebali a fait preuve d’un empressement étonnant à aligner les signes de ce manque d’expérience en commençant par former un gouvernement d’une cinquantaine de membres, le double pratiquement de la moyenne mondiale. Face au tollé provoqué par cette bourde, le nombre a été quelque peu réduit, mais il reste exagérément élevé.

Le manque d’expérience est lisible également dans le choix des membres du gouvernement. Si certains d’entre eux remplissent plus ou moins correctement leurs fonctions, d’autres en revanche sont pratiquement nuls. Prenons quelques exemples. Le ministre de la Jeunesse et du Sport, Tarak Dhiab, est doué pour le football, mais certainement pas pour un poste ministériel compte tenu de la pauvreté de son expérience en politique et du niveau très modeste de ses diplômes.

Plus grave encore est le choix du ministre des Affaires étrangères. L’importance de ce ministère est telle qu’il est choquant de le voir octroyé à un homme dont le principal mérite, si l’on peut dire, est d’être le gendre de Rached Ghannouchi, le président du parti au pouvoir. Visiblement, il n’a ni l’expérience, ni l’envergure de tenir un tel ministère à un moment où la Tunisie a besoin d’un gros calibre au poste de chef de la diplomatie avec une vision claire et des choix diplomatiques judicieux de nature à attirer le respect et l’aide des pays frères et amis, et à rassurer les Tunisiens sur la bonne marche de la politique étrangère de leur pays.

Le ministre des Affaires étrangères manque de… diplomatie

Or, le titulaire du poste a prouvé qu’il ne possède même pas le savoir diplomatique de base qui devrait lui permettre de respecter un vieillard qui a servi son pays pendant 60 ans. Les méchancetés déversées au cours d’une émission de télévision par le ministre des Affaires étrangères sur Béji Caid Essebsi suscitent le mépris et édifient les Tunisiens sur le personnage.

Sauf le respect du à sa fonction, Rafik Abdessalem est un guignol. Enfermé dans sa luxueuse tour d’ivoire, il est déconnecté de la réalité de la vie et de la trame des événements. Imbu de sa personne, nerveux, impulsif, impatient, il n’a rien du profil d’un diplomate. Un diplomate fait preuve de patience, de discrétion, d’une faculté d’écoute et d’un pouvoir de persuasion!

Décrit par certains comme l’homme des Qataris et des Saoudiens, lesquels sont les exécutants de stratégies échafaudées par des Israélo-américains, il ne semble pas comprendre l’enjeu et le péril des guet-apens tendus par ces lobbys pour semer le chaos, et créer des tensions inter-ethnies ou interreligieuses dans nos pays pour nous diviser et nous maintenir sous leur joug.

Ce qui est tragi-comique, c’est que Rafik Abdessalem, inconscient ses insuffisances et celles de ses collègues, verse dans la suffisance la plus béate en osant déclarer sans ciller que «le gouvernement actuel est le plus fort depuis la création de ce pays».

Laissons de côté ses collègues sans diplômes ni expérience, et parlons de M. Abdessalem. Si ce qu’il dit est vrai, cela veut dire que ce monsieur, dont l’expérience se limite à un poste de subalterne dans la chaîne d’information Al Jazira, est plus fort et plus doué pour le poste de ministre des Affaires étrangères que les Mongi Slim, Bourguiba junior, Béji Caid Essebsi ou encore Habib Ben Yahia et Mahmoud Mestiri.

Des bras John McCain à ceux d’Ismaïl Haniye

Toutefois, on serait heureux si les nominations douteuses du gouvernement provisoire issu des élections du 23 octobre étaient les seuls signes d’incompétence du chef du gouvernement. Juste quelques semaines après sa désignation (et peu de temps avant de prendre ses fonctions), M. Jebali étonne les Tunisiens et le monde par sa «sortie» sur le «sixième califat» au cours d’un meeting populaire dans la ville de Sousse. Mais ce n’était pas l’unique sottise. Grisé par la liesse d’un public acquis d’avance, le chef du gouvernement a promis «la libération de Jérusalem» qui sera entreprise, si on l’a bien compris, à partir de la perle du Sahel… Dérapage non contrôlé, qui n’a pas dû plaire à ses donneurs d’ordre.

Il serait opportun de rappeler ici quelques faits. Le candidat malheureux à la présidence des Etats-Unis en novembre 2008, John McCain, est l’un des plus fervents défenseurs d’Israël et l’un des instigateurs les plus zélés de la guerre contre l’Irak. En décembre 2008 et janvier 2009, il soutenait Israël dans sa guerre destructrice contre Gaza. M. Jebali et ses conseillers ne pouvaient ignorer les positions férocement anti-arabes et antimusulmanes du personnage. Pourtant, lors de sa récente visite en Tunisie, il a eu droit à un accueil chaleureux de la part du chef du gouvernement qui l’a pris dans ses bras et lui a fait une accolade exagérément chaleureuse. Une attitude pour le moins étrange de la part de celui qui a promis la «libération de Jérusalem».

Cette promesse a sans doute été chuchotée au chef du Hamas, Ismaïl Haniye lors de sa visite en Tunisie, invité du gouvernement Jebali. Celui-ci est bien sûr libre d’inviter qui il veut quand il veut, mais encore faut-il prendre les dispositions nécessaires pour empêcher que de telles visites n’ouvrent la voie à des abus qui se répercutent très négativement sur la réputation du pays vis-à-vis de l’étranger.

Les centaines d’énergumènes, qui avaient envahi l’aéroport pour accueillir M. Haniye, n’avaient trouvé de meilleurs slogans pour manifester leur «soutien» à la cause palestinienne que «Mort aux Juifs!». M. Jebali et son gouvernement n’ont pas levé le petit doigt pour s’opposer à ce genre d’abus si dommageable à la réputation du pays.

Les courbettes aux Qataris et Saoudiens

Ce laxisme gouvernemental a été interprété par les groupuscules salafistes comme un encouragement. Et de fait, ils ont remis ça dimanche 25 mars à l’avenue Bourguiba où, après leurs attaques contre les hommes et les femmes de théâtre, on a assisté de nouveau à des appels enfiévrés de la part de prédicateurs fous incitant les «fidèles» à «s’entrainer pour tuer les Juifs et réserver une place au paradis». Toujours avec la même impunité pour ces incitateurs au meurtre et le même laxisme de la part du gouvernement.

Rappelons ici qu’avant les élections du 23 octobre, M. Jebali et ses amis d’Ennahdha défendaient bec et ongles l’idée d’introduire dans la Constitution à venir une disposition interdisant «toute normalisation avec l’ennemi sioniste». Maintenant, certains membres de son parti défendent tout aussi fermement l’idée contraire. Comprenne qui pourra…

Il est vrai qu’avant les élections du 23 octobre, M. Jebali et ses amis qui n’avaient jamais exercé le pouvoir, mais étaient plutôt ses victimes pendant trois décennies, n’avaient aucune idée de sa nature, ni de ses contraintes, ni des pressions intenses que font subir les grandes puissances aux petits pays. Il a suffi qu’ils exercent le pouvoir pendant quelques semaines pour qu’ils soient édifiés et qu’ils fassent profil bas et mettent de l’eau dans leur… vin.

A la limite, on peut comprendre que M. Jebali fasse profil bas vis-à-vis de la superpuissance américaine. Mais qu’il adopte la même attitude à l’égard d’un pays aussi minuscule que le Qatar ou aussi peu coopératif que l’Arabie Saoudite, cela laisse pantois en effet.

Il y a des criminels qui ont volé et pillé ce pays et qui se trouvent aujourd’hui accueillis et protégés par l’émir du Qatar et le roi d’Arabie. Au cours de ses visites à Doha et Riad, le chef du gouvernement n’a évoqué ni le cas de Sakhr El Matri ni celui de l’ancien dictateur dont l’extradition était pourtant réclamée à cor et à cri avant les élections du 23 octobre.

Ici, on comprend très mal pourquoi M. Jebali a fait profil bas quand il traite avec les Qataris et les Saoudiens. Pourquoi n’a-t-il pas exigé des uns et des autres l’extradition de Ben Ali et de ses proches ainsi que l’argent pillé et déposé dans les banques du Golfe? Sans doute pensait-il qu’en laissant tomber la demande d’extradition, il ramènerait les millions de pétrodollars que nécessitent les investissements dans nos régions déshéritées. L’échec est patent.

Il est vrai que nous avons eu droit aux visites hyper-médiatisées d’investisseurs saoudiens qui ont été extrêmement généreux… en bonnes intentions. Il est vrai aussi que nous avons un prêt du Qatar de 500 millions de dollars au taux de 3%, ce même Qatar qui sert les intérêts israéliens, et qui remplit les poches des mercenaires salafistes semant le désordre dans notre pays et ailleurs. Le Japon avec qui nous ne partageons ni langue, ni religion, ni culture, ni civilisation, nous a accordé un prêt à un taux très amical de 1% seulement. La comparaison est vite faite.

* - Officier de l’armée nationale à la retraite, auteur de ‘‘Ben Ali le ripou’’ et ‘‘Eclairages sur les recoins sombres de l’ère bourguibienne’’.

A suivre…

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