S’il est indécent de demander la censure d’une œuvre artistique, il est encore plus indécent de faire cette demande avant de visionner l’œuvre. C’est pourtant l’exercice auquel Kapitalis va se livrer à propos des séries ‘‘Aïssa Ibnou Mariam’’ et ‘‘Youssef Al Seddik’’ programmées respectivement par Nessma et Hannibal.


Il convient d’abord de préciser que toute censure est condamnable, par principe. Sauf dans les cas où l’œuvre concernée, en choquant délibérément ou en défendant des thèses extrémistes, risque de provoquer des réactions imprévisibles pouvant induire des agitations ou des violences parmi une population donnée.

Une question de perception
feuilleton Massih Hannibal TVOn ajoutera aussi qu’une même œuvre peut choquer d’un côté de la Méditerranée et être bien accueillie de l’autre, car, en matière de réception, tout est relatif et dépend de la capacité des gens à admettre un point de vue différent ou à mettre une distance critique entre leurs croyances et celles des autres.
Tout le monde n’a malheureusement pas cette faculté de distanciation, que développe généralement l’éducation, la culture et le sens critique, qui, admettons-le, ne sont pas les choses au monde les mieux partagées. Et, particulièrement, sous ces latitudes.
Pour revenir aux deux feuilletons en question (‘‘Jésus, fils de Marie’’ et ‘‘Youssef Al Seddik’’), le fait qu’ils traitent de l’histoire des religions et qu’ils mettent en scène des personnages bibliques est déjà en soi une bonne raison pour prendre des précautions.
Dans une région qui s’est enflammée, il y a peu, pour des caricatures danoises représentant le Prophète Mohamed sous des traits peu avenants, mieux vaut éviter de provoquer un accès de colère du même genre. Al Yasoû (Jésus) ou Youssef (Joseph) sont considérés, par l’Islam, comme des messagers de Dieu, donc comme des prophètes, au même titre que Mohamed, qui est venu clore le cycle de la prophétie. On ne peut donc pas dire n’importe quoi à leur sujet, au risque de choquer quelques croyants, qui plus est, en ce mois de piété où les Musulmans s’immergent dans l’ardeur d’une foi retrouvée.  
Sur un autre plan, quand des personnages bibliques sont présentés dans des fictions télévisées produites en Iran, pays musulman chiite et, surtout, dirigé par une oligarchie religieuse (ou une «mollarchie») relativement dogmatique (ce «relativement» serait même jugé de trop par certains), on a une raison supplémentaire pour être prudent.

Ne pas buzzer idiot
Mieux vaut donc visionner les séries en question, ou les faire visionner par des gens autorisés, avant de décider de les diffuser au large public. Pour les responsables de Hannibal et Nessma, cette précaution ne serait certainement pas de trop. Elle leur éviterait le risque de choquer les téléspectateurs, et pas seulement en Tunisie, en diffusant des séries religieuses pouvant susciter des réactions épidermiques. A moins que ces responsables, comme le chuchotent certains, à propos notamment de Nessma, ne cherchent à provoquer une polémique pour faire du buzz et accroître leurs audiences. Les mauvaises langues citent le précédent de la série ‘‘House of Saddam’’, produite par un Israélien et programmée par Nessma, qui a permis à la chaîne privée tunisienne de buzzer à fond après que des avocats aient demandé l’arrêt de la diffusion. Si c’est le cas, le risque d’un retour de manivelle n’est pas à négliger.
Les avocats tunisiens – seraient-ce les mêmes? –, qui ont adressé une pétition au mufti de la République, la plus haute autorité religieuse du pays, lui demandant d’intervenir pour arrêter la diffusion des deux séries en question, ne sont donc pas à blâmer. Car, par-delà la question doctrinaire de la représentation imagée des prophètes, très délicate en islam sunnite, en vigueur en Tunisie, c’est le risque d’interprétations erronées ou d’amalgames rapides, que certaines scènes ou images contenues dans ces feuilletons pourraient induire, qui est le plus à craindre.
On ne criera pas à la censure brutale, car ce serait facile et même bêtement méchant. On appellera seulement à un visionnage préalable des deux feuilletons, par un groupe d’islamologues et d’historiens – et pas seulement par le mufti de la République, car on ne devrait pas lui faire porter tout le poids d’une décision de cette nature – pour éviter d’éventuelles surenchères idéologiques ou politiques, à ce sujet.

Imed Bahri

Lire aussi
Tunisie. Entrisme chiite à Nessma et Hannibal TV ?