Depuis le début de Ramadan, l’audience des chaînes de télévision marque une nouvelle tendance: la chaîne privée Hannibal TV grignote des points à sa concurrente publique Tunis 7. S’agit-il d’un mouvement de fond ou d’un phénomène passager?
Sigma Conseil, bureau spécialisé dans le calcul d’audience des médias, diffuse quotidiennement par Sms les statistiques de l’audience télévision de la veille, avec un taux d’erreur estimé à 2,4%. Ce qui permet aux annonceurs d’y voir plus clair dans le taux de pénétration réel des chaînes.
Fils de pub
Ces statistiques, réalisées auprès d’une population de 1.250 individus, âgés de 12 ans et plus et basés dans tout le territoire de la république, laissent apparaître un changement de tendance. C’est désormais Hannibal TV qui fait la course en tête, devant Tunis 7, puis Nessma TV. Autre tendance constatée: la petite dernière est en train d’améliorer ses scores, à la faveur d’une production ramadanesque appropriée. Selon les dernières statistiques en date, celles relatives au 7e jour de Ramadan, les taux de pénétration de ces chaînes se sont établis à, respectivement, 54,4%, 50,6% et 40,6%.
Autre tendance contatée: c’est la série ‘‘Njoum Ellil’’, sur Hannibal TV, qui réalise de meilleur taux d’audience (passant de 30,5% le premier jour de Ramadan à 44,4% le 7e jour), devant ‘‘Casting’’ sur Tunis 7, dont l’audience est passée, durant la même période, de 23,2% à 38,5%, et ‘‘Nsibti Laâziza’’ sur Nessma TV, accréditée de 13,7% à 24,5%.
Cette série humoristique semble avoir profité de la polémique autour du parler sfaxien de l’actrice Mouna Noureddine, ayant visisblement irrité beaucoup de Sfaxiens, pour doper son audience. Fils de pub, les frères Karoui sont habitués à ce genre de coups médiatiques. On ne peut pas les en blâmer: on dope son audience avec ce qu’on peut, les mêmes ficelles produisant souvent les mêmes effets.
D’un flop l’autre
Le grand flop de Ramadan 2010, la série humoristique ‘‘Dar Elkhleâ’’ de Hatem Belhaj sur Tunis 7, a disparu complètement, dès le 2e jour, du Top 5 des émissions les plus regardées par les téléspectateurs tunisiens. Privé de Mouna Noureddine et Soufiène Chaâri, le comédien Kamel Touati, seul rescapé de ‘‘Choufli hal’’, la série qui a fait la notoriété de Hatem Belhaj, semble avoir perdu tous ses effets. De là à penser que ce sont surtout les rondeurs de Soufiène Chaâri qui faisaient le succès de ‘‘Choufli hal’’… Le succès, comme le «génie», tient souvent à peu de chose.
Autre flop retentissant, mais dont on parle moins, la série ‘‘Tunis 2050’’, annoncée à cor et à cri, et qui n’arrive même pas à figurer dans le Top 5. Trop d’effets tuent les effets, fussent-ils en 3D. Avec un scénario aussi faiblard, porté par un humour très téléphoné et au ras des pâquerettes, on ne peut pas espérer mieux. L’indulgence du public a des limites: il ne faut pas être gourmand.
La grande affaire de ‘‘Njoum Ellil’’
Outre donc la course en tête de Hannibal TV, qui dame le pion à sa concurrente de toujours, la chaîne publique Tunis 7, la grande affaire de ce début de Ramadan est sans conteste le succès, du reste assez attendu, de ‘‘Njoum Ellil’’, et le début relativement timide de ‘‘Casting’’.
Comment expliquer les parcours contrastés de ces deux séries? Nous pensons que ‘‘Njoum Ellil’’ tire sa force du fait que les intrigues et les personnages sont, dès le départ, connus des téléspectateurs. Et pour cause: il s’agit de la saison 2 d’une série qui fut la découverte de Ramadan 2009. Les téléspectateurs n’ont pas eu besoin de trois ou quatre épisodes pour s’installer dans la fiction. Ils étaient d’emblée dedans.
La série brille aussi par son écriture et sa réalisation: pas de fioritures, de recherche d’effets, de bavardage filmique... Le réalisateur ne joue pas au Steven Spielberg, ne se regarder pas filmer, s’efface derrière son travail. Bref, il va à l’essentiel, aidé en cela par un casting où l’on reconnaît un Hichem Rostom des grands jours, entouré d’une pléiade de jeunes comédiens et comédiennes qui apprennent vite.
En présentant la société tunisienne, dans sa diversité et sous toutes ses coutures, des bas-fonds à la high-society, en passant par une classe moyenne en perte de repères, ‘‘Njoum Ellil’’ réussit la gageure de réconcilier les Tunisiens avec eux-mêmes: une société en mutation qui s’interroge, bégaie et se cherche une âme. Les bons ne le sont pas totalement, ni les méchants ne restent pour toujours. Des amours contrariés et un zeste de suspense ajoutent les ingrédients nécessaires à un feuilleton qui se laisse voir avec plaisir.
‘‘Casting’’ pousse le bouchon trop loin
Avec ‘‘Casting’’, les téléspectateurs se sentent peut-être un peu déroutés. Le monde présenté, celui du cinéma et de la télévision, n’est pas pour ainsi dire très populaire. Ses codes ne sont pas évidents pour le commun des téléspectateurs. On apprécie la qualité de jeu de Fathi Haddaoui, toujours égal à lui-même dans un rôle qui lui va comme un gant, mais pas au point de mordre à l’hameçon. Il y a comme un hiatus entre les intentions artistiques du réalisateur et sa copie finale. On se perd un peu entre intrigues de cœur et histoires de cul. L’art est un mauvais prétexte pour de vaines dragues et des coucheries puériles. Les téléspectateurs ont du mal à s’identifier à des personnages de roman-photo: Hollywood sur les Berges du Lac de Tunis ne prend pas. Et puis, les libéralités – voire le libertinage – que se plaît à étaler M. Fehri, cherchant visiblement à faire plus vrai que vrai, sont un peu déroutants, s’ils ne choquent pas le téléspectateur lambda, le Tunisien moyen, qui n’aime pas voir «ça», surtout durant le mois saint de Ramadan.
Comme quoi, il ne faut pas pousser le bouchon trop loin! Même en Tunisie… Surtout en Tunisie.
Yüsra Mehiri
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