Dans un entretien publié aujourd’hui par ‘‘Afrik’’, le patron d’hannibal TV raconte les circonstances de son arrestation avec son fils Mehdi, le 23 janvier, et de leur libération le lendemain. Très instructif…
«J’étais au lit chez moi, je venais de rentrer de Paris après une opération du dos. Je reçois l’appel d’un de mes employés qui me presse de regarder la chaîne nationale, et là c’est le choc. Je vois le déroulé annonçant mon arrestation ainsi que celle de mon fils. Je me suis levé et en descendant de chez moi, je me suis fait cueillir par de nombreux policiers en cagoule, l’un d’entre eux m’a tiré très violemment par le bras, j’en ai gardé un bleu durant 10 jours. On m’a mis une cagoule sur la tête, et on m’a emmené au ministère de l’Intérieur (…) On m’a emmené seul, mon fils je ne l’ai vu que plus tard dans la soirée dans les locaux de la police criminelle (…)
«Durant l’interrogatoire au ministère de l’Intérieur, et dès le départ en voiture, l’un [des agents] s’était approché de moi en me disant : ‘‘Ce n’est pas contre vous M. Nasra, c’est pour la confidentialité, le facebook et tout ça…’’ J’ai rien compris (…)
«C’était un dimanche, ils n’avaient pas le droit»
«C’était un dimanche, ils n’avaient pas le droit. Quel procureur ou juge pouvait délivrer un mandat un dimanche alors que les seules arrestations en jours de repos se font pour le flagrant délit? Toute la procédure était vide de sens. En plus j’ai été accusé alors que j’étais encore chez moi. Normalement, je devais passer devant un juge d’instruction et être mis en examen pour que l’accusation me soit signifiée. Bref, une fois dans les locaux de la sureté de l’état, Ils m’ont posé des questions à dormir debout. Comment tu t’appelles, comment s’appelle ta femme, le nom de tes enfants, ils sont mariés ou pas, ou encore: où avez-vous caché les munitions... Je tombais des nues, déjà on m’accusait de complot et je ne savais pas qui étaient mes supposés complices, ils ne le savaient pas eux-mêmes; c’en était ridicule. Les agents ne savaient pas réellement pourquoi ils étaient là; ça se ressentait par leurs questions ridicules et leur attitude. Ils ont de l’expérience et ils ont compris qu’il n’y avait aucun fondement,
«On ne m’a jamais parlé [de complot avec l’ancien président]. Et puis, la sûreté de l’Etat savait mieux que quiconque quelle était la nature de mes rapports avec Ben Ali; ils font des dossiers sur tout le monde. En fait, il n’y avait que moi au centre de tout; on ne m’a pas mentionné de complices. Et par dieu! Comment serait-il possible que je complote avec lui alors que j’étais en conflit avec le régime depuis des années, que je le contestais ouvertement sur ma chaîne le 13 janvier alors qu’il était encore président et que j’ai montré ses frasques par la suite? C’était vide de sens, et à propos du président déchu, je me demande, pourquoi ne lui a-t-on pas adressé ne serait ce que la moitié de l’accusation qu’ils m’ont collée, lui, il avait mal agi et on le sait. Et on lui reproche quoi? De la sortie illégale de devise!!! On vient m’accuser avec des prétextes bidon et des comploteurs inconnus alors que les vrais criminels courent toujours.
«On me propose de l’eau, mais n’ayant pas confiance, je refuse»
«[L’interrogatoire] a duré un peu moins d’une heure. Je ne suis pas sûr d’avoir reconnu des gens, mais ce qui est certain c’est que c’était la police politique, (Amn Eddaoula). J’arrive donc cagoulé. On me propose de l’eau, mais n’ayant pas confiance, je refuse. J’avais très mal à la tête, on me tend alors des comprimés, je les sens puisque je ne peux pas les voir. Je sais que le comprimé doliprane 500 est rond et que le 1000 est cylindrique avec une coupe au milieu, ne reconnaissant pas les comprimés qu’on me tend, je fais mine de les mettre dans ma poche pour ne pas les vexer en disant encore non. On me lance alors ; « t’as pas confiance ? » je réponds que ce n’est pas la confiance qui règne puisque eux mêmes refusent que je les voie... Ils s’irritent et tournent en rond, ensuite on me transfère chez la criminelle à Elgorjani
«Durant le trajet, [on m’a laissé la cagoule], mais une fois sur place la donne a changé, on me l’a enlevée, on m’a proposé à manger, mais j’ai encore décliné. Ils ont apporté du café, mais je n’en ai bu qu’après les avoir vu boire du même thermos. Puis ils ont posé leurs questions. Des questions sur mon curriculum vitae, ma femme et mes enfants.
«Nous agissions dans l’urgence et essayions de jouer notre rôle»
«[Puis l’accusation] a changé; il ne s’agissait plus d’un complot armé. J’ai encore le PV, c’est à en rire. Une page et demi dont les ¾ parlent de ma femme et de ma famille, et le quart restant énonce une incitation à la haine et la diffusion de fausses informations.
«Je ne sais pas exactement [de quoi ils parlent], mais par exemple durant les nuits de terreur, quand des citoyens effrayés signalaient dans le direct des snipers ou des agressions armées, nous appelions l’armée. On nous reproche de les avoir écoutés et passés à l’antenne parce que certains appels seraient des faux, mais ça c’est entre les citoyens et l’antenne. Nous, durant ces directs de 24h/24, nous prenions les appels au secours au sérieux et sollicitions l’armée pour sauver des vies. Nous agissions dans l’urgence et essayions de jouer notre rôle. Parfois nous entendions les détonations à l’antenne, donc pour nous c’était du sérieux.
«A ce moment là, ils avaient pris conscience qu’ils avaient fait une grosse erreur et ils me sortaient un peu n’importe quoi pour justifier leur procédure, alors c’était tout et n’importe quoi. Fausses informations, excès de zèle... Ils étaient de plus en plus gênés et j’ai compris que mon arrestation n’allait pas durer.
«La procédure ne reposait sur rien. Je ne vais pas me taire!»
«[Par la suite à El Gorjani], j’ai retrouvé mon fils et on a dormi dans un bureau en attendant que l’administration judiciaire rouvre le lendemain. On nous a dit le jour suivant à 9 heures du matin qu’on allait rencontrer le Procureur de la République, mais à 11h30 au lieu d’aller au palais de justice, on m’a raccompagné chez moi !
«C’était une mise en scène. D’ailleurs le procureur quand il a consulté le dossier a émis un non lieu pour absence de preuves. Deux jours après, le ministre de la Justice a qualifié l’affaire de dénonciation calomnieuse. La procédure ne reposait sur rien. Je ne vais pas me taire!
«Comme je ne sais pas exactement qui a manigancé cette mise en scène, j’ai dit que je n’allais poursuivre personne. Pourquoi? Parce que je n’ai pas de noms précis, je suis quelqu’un de réfléchi et je ne fais rien dans la précipitation. J’ai convoqué des avocats spécialisés et on a déposé deux plaintes contre des institutions, l’une en dédommagement contre l’Office national de télédiffusion (Ont) pour interruption abusive de transmission alors que nous avions un contrat tout à fait respecté. L’autre plainte est contre la Tap, l’agence Tunis Afrique presse. De cette façon, je saurai qui est à l’origine du télex ou du télégramme qu’ils ont diffusé. Je pourrai ainsi poursuivre en justice la totalité des conspirateurs.»
Source : ‘‘Afrik.com’’.
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