Rached Ghannouchi par-ci, Rached Ghannouchi par là… La chaîne Al-Jazira ne refuse rien à «son» candidat pour les élections en Tunisie.
Par Rachid Barnat


Durant le mois de Ramadan, Al Jazira, chaîne de télévision qatarie, passe une série de documentaires sur la ‘‘Hij’ra’’ (Migration) du prophète Mohamed de la Mecque à Médine. Cette émission conçue comme un documentaire «scientifique» faisant appel à des archéologues, donne la parole aussi à des oulémas pour corroborer les découvertes des chercheurs avec ce que la tradition orale a rapporté à propos de cette migration qui marquera le début du calendrier musulman «l’hégire».

La part belle au leader d’Ennahdha
Parmi les intervenants, elle fait la part belle à un certain Ghannouchi! On peut se demander à quel titre? En tant qu’historien ou en tant qu’homme politique en lice pour des élections dans son pays après la révolution du jasmin? Il n’est à ce que je sache ni historien ni archéologue pour venir commenter les découvertes de chercheur dans un documentaire qui se veut «scientifique» et sérieux.
Dans tout le monde arabe, cette chaîne n’a rien trouvé de mieux et de plus compétant qu’un simple professeur de lycée, elle qui nous a habitués à faire appel aux personnalités les plus compétentes dans leur domaine?
D’ailleurs depuis le retour de Ghannouchi de son exil londonien, la chaîne lui accorde une place de choix à chaque fois qu’elle veut traiter de la révolution tunisienne. Certain même l’accuse de devenir le porte-drapeau de l’islamisme!
Voici ce qu’en dit le journaliste Taoufik Ben Brik: «Certains lui reprochent son discours religieux et un parti-pris islamiste. Lors des derniers évènements, la chaîne a organisé une véritable manœuvre de parachutage, qui a laissé plus d’un téléspectateur pantois. On y voyait passer tout au long des émissions et des journaux télévisés des militants islamistes ou d’obédience islamiste. Dans l’émission ‘‘Sans frontières’’, la part du lion a été réservée à Rached Ghannouchi, le leader islamiste du mouvement Ennahdha. «Cette émission a été spécialement confectionnée pour habiller le retour tant attendu du Cheikh sur le devant de la scène. Les autres intervenants, Sihem Ben Sedrine (journaliste et militante des droits de l’homme) ou Abdelbari Atwan, font figure de garniture. Une mise en valeur de la pièce maîtresse», dit Jalel Zoghlami, l’unique avocat du barreau, interdit d’exercer par Ben Ali. (Voir ‘‘Slate.fr’’)

Les intérêts de ses financeurs
Est-ce çà la neutralité de ce média? Ou n’est-ce pas tout simplement la preuve que la chaîne obéit aux intérêts de ses financeurs en l’occurrence celles des princes du Golfe et d’Arabie Saoudite qui veulent installer leur poulain pour s’assurer leur main mise sur la Tunisie!!



D’ailleurs, depuis le début des révoltes dans le monde dit «arabo-musulman», le parti-pris des journalistes d'Al Jazira d’enfoncer les dictateurs «républicains» et de ménager les dictateurs «monarchiques», est flagrant! «Quelques voix s’inquiètent déjà du fait que la chaîne ait couvert à minima les émeutes au Bahreïn, la monarchie voisine. Son tout-puissant mécène, le cheikh Al-Thani, redouterait-il une propagation de la révolution dans le golfe Persique, le paradis de la pétro-finance?» (Voir ‘‘Arrêt sur Image’’)
Autrement, comment se fait-il que les journalistes d’Al Jazira nous inondent du moindre détail et des tenants et des aboutissants à propos de chaque événement dans les «républiques» en révolte, alors qu’ils distillent l’information sur Bahreïn dont ils ne nous ont jamais détaillé l’intervention militaire de l’Arabie Saoudite sur son territoire! Curieux, non?
Voilà une chaîne pour laquelle le Qatar n’existe pas. C’est l’omerta totale sur ce pays dont le prince la finance. Cet émirat comme d’autres pays de la région sont «intouchables», vu les informations qu’elle en donne au compte-goutte alors qu’elle développe jusqu’à l’écœurement les informations concernant les républiques dite arabo musulmanes. Curieux, non ?

La révolution à géométrie variable
Voici ce qu’en dit Fadi Al-Assaad de Reuters: «A mesure que le ‘‘printemps arabe’’ se rapproche du Golfe, Al-Jazira se fait de plus en plus prudente. La Syrie a été évoquée, mais beaucoup moins que le reste de la région.» (voir ‘‘L’Express’’); preuve que la chaîne pratique la règle de deux poids deux mesures !
Alors que pour le Bahrein pourtant tout proche, l’effet magique d’Al-Jazira, accélérateur du processus révolutionnaire, se serait dissipé aux frontières de l’île, au grand dam de l’opposition bahreïnie qui se déclare trahie par la chaîne. (voir ‘‘Rue 89’’).
Sous couvert de neutralité et derrière une façade «occidentalisée» de ses présentateurs inspirant la confiance, le professionnalisme et donc la neutralité; en réalité ce n’est que pour donner le change car cette chaîne fait du prosélytisme islamiste, notamment au niveau des vêtements de ses présentatrices ( voir ‘‘Elle.fr’’).
Cinq d’entre elles viennent de démissionner parce qu’on leur demandait de s’habiller de manière plus «convenable»! (voir ‘‘Arrêt sur Image’’).
Voilà une chaîne qui se veut neutre, qui prétend respecter une déontologie, mais qui accorde une émission d’une heure à Youssouf Al-Qardawi, grand théologien sunnite intitulée, on ne peut plus clairement prosélyte, ‘‘La sharia et la vie’’! (Voir ‘‘Le Monde des Religions’’).
Ce média n'est qu'un outil de propagande qui veut influer sur le cours des événements dans les pays en question, en imposant la vision géopolitique de ses financeurs, plus particulièrement l'hégémonie de l'Arabie Saoudite sur tous ces pays en mal de démocratie pour les faire rentrer dans les rangs sous la houlette du Grand Calife Ibn Séoud!
Ce média outrepasse son rôle de média d’information, car en réalité il agit politiquement dans un sens: celui de son patron! Ce qui est intolérable, parce qu’il perturbe gravement le véritable jeu démocratique en Tunisie.
Si l’on ajoute que, par ailleurs, la chaîne Hannibal, a cru devoir confier une émission régulière pendant tout le mois de Ramadan à Mourou, bras droit de Ghannouchi, on ne peut que constater que le mécanisme électoral en Tunisie n’est pas sain, et que sur ce terrain ni la Haute instance, ni le gouvernement n’ont agit. Est-ce raisonnable?