Le peuple tunisien s’est révolté, entre autres, contre des taux de chômage record, véritable casse-tête pour le gouvernement provisoire. Pourtant, une partie du secteur économique et du tissu associatif font tout pour… nous importer davantage de chômage.Par Mourad Teyeb
Les professionnels tunisiens opérant dans plusieurs domaines et notamment dans celui des services sont aujourd’hui très inquiets du fait que des personnes, dont la plupart étrangères, procèdent au dépôt de déclarations d’investissement auprès de l’Agence de promotion de l’industrie (Api) sous des dénominations vagues et ambiguës pour exercer ensuite des activités réglementées (conseil fiscal, conseil à l’exportation, avocat, comptable, commissionnaire en douane, agent de publicité, agent immobilier, recouvrement de créances…). Des pratiques synonymes de violation des lois régissant ces activités.
Détournement frauduleux des dispositions légales
Dans la majorité des cas, les sociétés créées par ces personnes ont pour objet social ce qui suit: audit économique, social, juridique administratif et technique; études et conseils; services administratifs; assistance et conseil; accompagnement des entreprises; audit juridique; audit gestion et conseil; études techniques; conseil social etc.
Ces sociétés, dont l’objet social est indéfini, ont pourtant pu avoir leur immatriculation fiscale et au registre du commerce, violant ainsi d’une manière flagrante la législation en vigueur.
D’autres étrangers profitent de la situation de marginalisation et de non réglementation de la majorité des activités de services à caractère intellectuel pour exercer, au détriment de nos entreprises, des activités de service et sans respect, au moins, de la règle de réciprocité. Il s’agit notamment de ces activités: architecte d’intérieur, maintenance, montage d’équipements, bureau d’études, marketing, expertise quantitative et qualitative, urbaniste, paysagiste, services informatiques, sondage et études statistiques, études de marché, nettoyage et services d’environnement, formation, intérim et placement de la main d’œuvre, tickets restaurants, conseil en gestion, et autres services non réglementés.
Pour détourner d’une manière frauduleuse les dispositions du décret-loi n° 60-14 régissant l’exercice du commerce ou avoir la résidence par les étrangers, certains étrangers choisissent comme activités celles prévues par le décret n° 94-492 relatif aux activités régies par le code d’incitation aux investissements (du type: audit économique, social, administratif, juridique, technique).
L’absence d’une nomenclature nationale pour les activités de service, le blocage de la mise à niveau de la majorité des activités non réglementées, l’absence de contrôle et de suivi à postériori et la privation des professions lésées d’un droit de regard ainsi que l’absence totale du Conseil national des services (Cns), qui n’a rien produit depuis sa création en 2006, ont contribué à la prolifération de ces abus qui font l’objet d’une publicité au journal officiel en toute impunité depuis 1994 et, par conséquent, à la promotion du phénomène d’importation du chômage malgré les requêtes déposées à ce titre par les structures professionnelles qui sont généralement marginalisées et appelées, paradoxalement, à envahir les marchés extérieurs!
Et les retraités dans tout ça?!
A ceci, s’ajoute les associations étrangères de retraités (Ecti, Pncm, Agir et autres) exerçant d’une manière illicite plusieurs activités de service en toute impunité jusqu’à ce jour, sans toutefois oublier le travail de nos retraités.
Ceci est un détournement de la loi n° 87-8 relative au travail des retraités au détriment des chômeurs.
Les structures précitées prétendent travailler gratuitement (moyennant le paiement de tous les frais touristiques y compris l’assurance), ne payent aucun impôt et pratiquent une concurrence illicite capable de mettre en péril les cabinets tunisiens appelés à participer à l’effort de lutte contre le chômage.
Un phénomène national aussi
Les étrangers, personnes et sociétés, ne sont pas les seuls auteurs de fraude et de magouille.
Plusieurs associations nationales exercent en toute impunité des activités économiques concurrentielles sans supporter les obligations mises à la charge des entreprises. Une association ne doit exercer une activité économique que dans le cadre d’une société commerciale, et ce afin de ne pas fausser la concurrence.
L’ineffectivité de la loi sur la concurrence et les prix, de la loi sur la protection du consommateur, des textes fiscaux, de la loi sur le travail des retraités, de la loi sur les associations, du code du travail, du décret loi n° 61-14, le refus de refonte du décret n° 94-492 et le non accomplissement par le Cns de son rôle consistant essentiellement à proposer les réformes en vue de promouvoir les activités de service par référence aux standards internationaux généralement admis pour chaque activité et à suivre la situation du secteur des services et les mutations internes et externes (sans prendre en considération la Directive européenne du 12 décembre 2006 relative aux services) ont contribué à cette situation dramatique qui a des conséquences très graves sur l’avenir des entreprises opérant dans le domaine des services intellectuels.
Impunité aux magouilleurs
Nous constatons que l’Etat et les entreprises publiques continuent de traiter avec ces entreprises qui sont passibles de sanctions pénales.
A ce titre, certaines entreprises étrangères ont été autorisées à exercer des activités commerciales au sens du décret-loi sus indiqué dans des conditions douteuses et corrompues au détriment des entreprises tunisiennes.
Les corrompus, qui continuent à gérer l’administration comme une propriété privée, dont les salaires et les avantages sont financés par le contribuable, ont été toujours au service des entreprises étrangères qui s’enrichissent au détriment des entreprises tunisiennes et du marché de l’emploi.
D’autres sont en train d’aider les entreprises étrangères opérant notamment dans les domaine pétrolier et touristique à piller les ressources de notre pays par le biais des prix de transfert et de la facturation fictive sans tenir compte des pertes colossales occasionnées par les concessions Bot (investissement et durée d’exploitation largement surestimés) surtout que les dispositifs de contrôle et d’audit sont paralysés.
Pour piller les ressources d’un pays, il faut des complices. Et les pertes occasionnées chaque année par ce phénomène se chiffrent à plusieurs milliers de milliards, selon des experts.
Mais au moment où les voix des Tunisiens s’élèvent pour incriminer les corruptions administrative et financière afin de minimiser les pertes du trésor, les caméléons continuent à apparaitre dans les médias pour nous donner des leçons sur l’importance des mesures prises pour stimuler l’emploi et l’investissement! Ils ont tendance à, ou font semblant d’oublier que ces mesures ne peuvent aboutir qu’au gaspillage des ressources publiques tant que les corrompus de l’administration sont immunisés et en place jusqu’à ce jour. En effet, des centaines de mesures similaires ont été prises auparavant par les services du régime déchu sans aboutir ni au développement ni au plein emploi.
Fraude «réglementée»
Des structures professionnelles, que nous avons approchées, appellent d’urgence à «prendre une position sur cette situation dramatique» au moment, disent-ils, où certaines parties «continuent à nous réunir pour nous demander nos propositions quant aux négociations portant sur la libéralisation des activités de service à Bruxelles et à Genève et au moment où la libéralisation sauvage occasionnée par la mauvaise rédaction du décret n° 94-492 a causé des dégâts sans précédents à nos professions et au marché de l’emploi et nos requêtes relatives à la mise à niveau de nos professions par référence aux standards internationaux et à la réalisation de certains préalables pour sauvegarder nos intérêts nationaux sont totalement ignorées».
Les professions «sinistrées» par ces pratiques aussi corrompues que cupides voient en le discours officiel relatif à l’emploi «un pur mensonge» et avancent qu’aucune mesure n’a été prise jusqu’à ce jour «pour modifier les instruments juridiques d’importation du chômage» notamment, selon les intéressés, l’article 2 du Code d’incitation aux investissements et son décret d’application n° 94-492. Ils ajoutent qu’en plus de tout ça et malgré les chiffres (officiels) alarmants sur le chômage, aucune mesure n’a été prise contre les entreprises étrangères qui ont détourné frauduleusement le décret-loi n° 61-14 pour exercer le commerce.