Les producteurs de pomme de terre se plaignent de l’intrusion massive de la pomme de terre hollandaise dans le marché tunisien. Son prix bas met la pomme de terre produite localement dans de mauvais draps. Mais que faire quand la production nationale ne suffit pas à répondre aux besoins et que l’équilibre entre l’offre et la demande reste précaire? Véritable casse-tête pour le gouvernement…
Les producteurs de pomme de terre ont du mal à sortir du cercle vicieux. Encouragés à développer leur production dans le but d’en exporter une partie dans différents pays, ils mettent le cœur à l’ouvrage. Résultat: excès de production qui conduit à la baisse des prix, conséquence de la perte d’équilibre entre l’offre et la demande. La saison suivante, ils décident de ne pas replanter. La production baisse considérablement. Or, la pomme de terre est un élément de base de l’alimentation des Tunisiens. Les consommateurs ne supportent pas que ce produit soit absent des étals des marchés ou que son prix flambe. Face à la menace de la pénurie, les autorités sont donc obligées d’importer les quantités nécessaires à la satisfaction de la demande intérieure. Avec les nouvelles importations – en grande partie des Pays-Bas, mais aussi de Turquie et d’Egypte –, les prix chutent brutalement. Un sac de 25 kilos est vendu à près du cinquième de son prix antérieur. Les consommateurs sont satisfaits, puisque le prix du kilo est maintenu entre 600 et 750 millimes selon l’endroit et la qualité du produit (pour des prix à la production situés entre 320 et 450 millimes), mais les agriculteurs ont de bonnes raisons de ne pas être tout à fait contents. Ils affirment même éprouver aujourd’hui de réelles difficultés. Non seulement ils ont du mal à vendre leur production, dont le prix de revient est cher, mais ils doivent aussi mettre de leur poche pour maintenir la production et assurer les coûts de transport.
Le cercle vicieux
On estime aujourd’hui à quelque 10.000 le nombre des agriculteurs affectés par cette baisse des prix. Ce chiffre est avancé par le site en anglais de la radio néerlandaise qui a consacré un article au sujet http://www.rnw.nl/english/article/dutch-potatoes-a-headache-tunisian-farmers. Mais, face à cette situation, qui faut-il blâmer?
La pomme de terre tunisienne a beau être de meilleure qualité que la néerlandaise ou l’égyptienne, encore faut-il qu’elle puisse être concurrentielle sur son propre marché. Ce qui est loin d’être aujourd’hui le cas. Le gouvernement doit-il prendre des mesures pour protéger la production locale au risque de déstabiliser le marché et de mécontenter les consommateurs par d’éventuelles hausses des prix?
Plus de 27.000 hectares, soit près de 17% du total des terres cultivées en Tunisie, sont utilisés pour la pomme de terre, deuxième culture du pays après la tomate. Ces terres sont situées essentiellement au Cap Bon, Bizerte, Jendouba, Gafsa, Kasserine et Sidi Bouzid. Elles produisent bon an mal an entre 120.000 à 200.000 tonnes (10 variétés).
Le gouvernement a pris des mesures urgentes pour apaiser le mécontentement des agriculteurs, notamment en garantissant l’achat et le stockage de milliers de tonnes de pomme de terre locale, à travers le Groupement interprofessionnel des légumes et les promoteurs privés bénéficiaires de subventions. Les stocks régulateurs de 40.000 tonnes sont constitués et libérés selon les besoins du marché. Parallèlement, le ministère de l’Agriculture et des Ressources hydrauliques incite les producteurs à adopter la méthode de stockage traditionnel comme un mécanisme complémentaire de régulation des prix. Un programme spécifique les aide à améliorer les conditions de collecte et de stockage de pommes de terre.
Produire en quantité et en qualité
La stratégie nationale de culture de pommes de terre vise, à la fois, à développer la production, à renforcer les stocks en vue de garantir un approvisionnement régulier du marché, à exporter certaines variétés, à promouvoir la production des semences nationales et à inciter les investisseurs privés à réaliser des projets dans ce domaine.
En ce qui concerne la production, l’action est aussi axée sur la promotion de cette culture sur de nouvelles superficies situées dans les gouvernorats du centre et du sud (Gafsa, Sidi Bouzid, Kasserine et Kairouan).
Le programme national de développement des exportations de la pomme de terre (production de variétés destinées à l’exportation) vise à constituer un noyau de producteurs et d’exportateurs pour garantir des stocks destinés à l’export par le biais des contrats passés entre ces deux maillons de la chaîne.
Le secteur bénéficie, par ailleurs, de la mesure présidentielle relative à l’encouragement de la production de la pomme de terre de la variété Nicola, mesure étendue à d’autres variétés non conventionnelles.
S’agissant des plantations, les efforts sont axés sur la production locale et l’intensification des semences et plants sélectionnés et l’incitation du secteur privé à investir dans cette activité.
Tout cela démontre l’intérêt que les pouvoirs publics accordent au secteur et leur volonté de maintenir une production nationale, en quantité et en qualité, à même de répondre aux besoins du marché intérieur et même pour ouvrir de nouvelles niches à l’exportation. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Les producteurs restent perplexes et sont loin d’être rassurés quant à l’avenir de leur métier, tant que l’équilibre entre l’offre et la demande ne sera pas trouvé et que le recours à l’importation sera considéré comme une panacée par les pouvoirs publics.
Imed Bahri