Malgré les efforts de la Tunisie pour diversifier ses partenariats économiques, en essayant de cibler de nouveaux marchés en Afrique, en Asie et en Amérique, son économie reste très fortement dépendante de l’Europe, son partenaire traditionnel. Ce n’est pas là un signe de fragilité, estiment les experts qui plaident, au contraire, pour davantage d’ancrage dans l’Europe. Par Ridha Kéfi
Selon ‘‘La Lettre de Tunisie’’, diffusée par la Mission économique-Ubifrance (16 juin), les pays de l’Union européenne (UE) sont toujours les principaux partenaires commerciaux de la Tunisie. Ainsi, au cours des 5 premiers mois de 2010, ces pays ont absorbé 73,3 des exportations et assuré 63,4% des importations du pays. Selon la même source, la France a conforté sa position de premier fournisseur de la Tunisie avec une part de marché de 20,3%, loin devant l’Italie (17,1%), l’Allemagne (7,4%) et l’Espagne (4,3%).
Ce fort ancrage de la Tunisie dans l’Europe a constitué jusque là un levier de croissance pour son économie pré-émergente. Mais avec l’entrée de l’Europe dans une phase de crise dont elle ne voit pas encore la sortie, cette dépendance risque de provoquer des effets inverses, estiment certains analystes économiques. Ces derniers mettent en avant les impacts négatifs de la dévalorisation de l’euro sur les exportations tunisiennes, essentiellement destinées à l’Europe.
Maintenir le cap des réformes
Cette crainte, pour justifiée qu’elle puisse être, ne saurait cependant justifier un relâchement dans les engagements internationaux de la Tunisie. Car, comme l’a expliqué le Premier ministre Mohamed Ghannouchi dans son discours d’ouverture du Forum Carthage 2010, le 3 juin, la réponse de la Tunisie à la crise consiste à maintenir le cap des réformes et de l’ouverture économique, notamment avec son premier partenaire, l’UE.
En d’autres termes, malgré la crise, l’Europe reste pour la Tunisie un partenaire crédible et sûr et une locomotive capable de tirer son économie vers de nouveaux paliers de croissance et, surtout, de modernisation et d’innovation technologique.
Les autorités tunisiennes ont d’ailleurs toujours souligné la relation de cause à effet entre les bonnes performances du pays et les réformes macroéconomiques graduelles qu’il a développés depuis une vingtaine d’années dans le cadre de ses engagements internationaux, et notamment vis-à-vis de l’UE, avec laquelle il est lié, depuis juillet 1995, par un accord d’association portant sur la création d’une zone de libre échange.
«Avec un taux de croissance supérieur à la moyenne des pays méditerranéens (de l’ordre de 5% entre 1995 et 2008) et une hausse des investissements directs étrangers (Ide), la Tunisie affiché, en 2008, malgré la crise, une balance des paiements en excédent de 2,053 milliards de dinars tunisien MDT (1,08 md€) et un déficit courant de 2,109 mdDT (1,11 md€), soit 4,2% du PIB», souligne à ce propos une étude bientôt publiée par le réseau Femise (Forum euro-méditerranéen des instituts de sciences économiques), coordonnée par Sami Mouley de l’Université de Tunis et Rafik Baccouche de l’Université de Tunis El Manar. «La bonne résilience de l’économie tunisienne à la crise récente tend à valider la stratégie retenue jusqu’à présent par les autorités», font remarquer les auteurs, cités par Brigitte Challiol d’‘‘Econostrum.
Les Ide plutôt que les mouvements de capitaux
Selon les deux économistes tunisiens, le démantèlement tarifaire de ces dernières années, entrepris dans le cadre de l’accord d’association avec l’UE, a nettement profité aux industries manufacturières et aux services, permettant de promouvoir les investissements, la modernisation de ces activités et l’accroissement de leur compétitivité. «Pour l’avenir, la Tunisie devra donc veiller à poursuivre la simplification de l’environnement administratif des entreprises, développer ses infrastructures, mais aussi accroître la taille de ses marchés via des accords inter régionaux», préviennent-ils cependant. En soulignant l’intérêt du pays à favoriser les Ide productifs plutôt que des mouvements de capitaux à court terme «afin d’accroître son ouverture et les flux financiers sans exposer l’économie à des risques incontrôlables». «Les Ide représentent en outre un bon moyen d’accroître les créations d’emplois, qui restent très insuffisantes», ajoutent-ils.
La poursuite du mouvement d’ouverture économique, notamment en direction de l’Europe, doit donc se poursuivre, mais de manière graduelle, afin de préserver les équilibres macroéconomiques et la stabilité socio-économique. En d’autres termes, la diversification économique et l’ouverture à d’autres marchés ne devraient pas se faire au détriment de l’ancrage stratégique du pays dans l’ensemble euro-méditerranéen. Et pour cause: l’UE représente 68% des importations de la Tunisie et 73,5% de ses exportations.
Un groupe de travail formé le 11 mai à Bruxelles planchera sur les modalités d’octroi du «statut avancé» à la Tunisie. Vivement sollicité par la Tunisie, qui aspire à approfondir son ancrage européen, ce «statut avancé» permettra un dialogue politique renforcé, un rapprochement législatif ainsi qu’un accord ample et détaillé en matière commerciale. Il ouvrira ainsi une nouvelle étape dans les relations entre Tunis et Bruxelles.