Selon Tom Pfeiffer, analyste de l’agence Reuters, la reprise hésitante dans la zone euro risque de compliquer les efforts déployés par les gouvernements nord-africains pour créer davantage d’emplois dans les industries exportatrices. La Tunisie, qui dépend de l’Union européenne (Ue) pour près de 90% de ses revenus extérieurs (exportations, envois de fonds de l’étranger, tourisme et investissements étrangers) risque d’être la plus vulnérable à un ralentissement de l’activité européenne au cours des prochains trimestres.



Pour les économistes, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye pourraient réaliser une croissance d’au moins 4% au cours de cette année et de l’année suivante, en raison de l’amélioration des infrastructures, des réductions d’impôts, des augmentations des salaires et de la croissance des revenus de l’énergie pour les pays membres de l’Opep (Algérie et Libye).

La forte dépendance de l’Europe
Pourtant, malgré une croissance plus solide que dans les pays développés, les économies de la région ne sont pas à même de créer suffisamment d’emplois pour faire face à une augmentation de la population en âge de travailler.
Selon les données des Nations Unies, le nombre de personnes âgées de 15 à 24 ans a grimpé à 66% de la population totale en Algérie et à 46% au Maroc entre 1985 et 2005. Parmi les 12% d’Algériens en âge de travailler et officiellement considérés au chômage, 70% ont moins de 30 ans. Le taux de chômage en Tunisie est de 14% tandis qu’au Maroc  18% des nouveaux diplômés sont sans emploi. Ce chômage endémique rend des millions de jeunes, frustrés et sans perspectives, plus sensibles à l’influence des extrémistes religieux, estiment des analystes.
Le Maroc et la Tunisie, qui ont les économies les plus ouvertes de la région, ont dépensé beaucoup d’effort et de moyens financiers dans des programmes d’infrastructures et de formation. Ils ont aussi œuvré à réduire les obstacles au commerce, de manière à devenir des sites industriels à faible coût et des plates-formes pour les services internationaux. Cependant, leurs économies sont essentiellement tournées vers l’Europe, où le Fonds monétaire international (Fmi) prévoit une croissance de seulement 1% cette année.
L’an dernier, les exportations tunisiennes et marocaines ont chuté de, respectivement, 18% et 28%. Malgré des signes timides de reprise, le Haut commissariat au plan (Hcp) marocain prévoit une poursuite de la baisse des exportations en raison de la crise en Europe. «Les mesures d’austérité mises en place en Italie, en France et en Espagne – nos principaux partenaires économiques – ne peuvent qu’aggraver les retombées négatives de la crise de 2008», déclare à ce propos Mehdi Lahlou, professeur à l’Institut national marocain d’économie appliquée et de la statistique.
70% des textiles marocains sont exportés vers la France, l’Espagne et le Royaume-Uni. Or, selon les données officielles, les exportations marocaines de textile ont chuté de 25% en avril par rapport à la même période de l’année précédente.
«Avec ou sans la crise grecque, nous avons toujours cru que l’économie de l’Union européenne serait beaucoup plus lente à récupérer que celles des États-Unis ou de l’Asie, et que les économies de l’Afrique du Nord auraient à souffrir de cela», souligne, pour sa part, Luca Del Conte, directeur exécutif des Marchés des capitaux à MediCapital Bank.

Un talon d’Achille : le chômage de masse
Ces difficultés ne semblent pas avoir affecté les marchés boursiers nord-africains, qui réalisent les meilleures performances cette année, soutenue par une vigoureuse demande intérieure et une croissance des prêts bancaires.
Les bourses de Casablanca et de Tunis se sont en effet accrues de, respectivement, 14 et 15%, contre une baisse des principaux indicateurs boursiers mondiaux.
Au Maroc, le tourisme et les transferts des résidents à l’étranger ont enregistré une reprise depuis la fin de 2009, mais les investissements directs étrangers ont marqué une chute de 33% en glissement annuel en mai.
Le Maroc et la Tunisie ont essayé de réduire leur dépendance vis-à-vis de l’Europe et d’améliorer leurs liaisons routières et maritimes avec le reste du monde, mais la création d’emplois reste le talon d’Achille des deux pays.
Selon un rapport officiel publié en 2006, le Maroc doit créer 400.000 emplois par an d’ici à 2016 pour prévenir le chômage de masse, surtout chez les diplômés. L’année dernière, le Royaume a créé 95.100 emplois seulement, contre 133.000 en 2008 et de 300.000 en 2006, selon le Hcp.
Les économistes affirment que l’Afrique du Nord ne dispose pas encore d’un environnement des affaires suffisamment transparent pour attirer l’investissement étranger dont la région a besoin. L’Algérie a annoncé récemment des mesures visant à accorder un traitement préférentiel aux entreprises nationales et à renforcer sa tendance vers le nationalisme économique.
Selon la Banque mondiale, le Maroc se classe 165e sur 183 pays en matière de protection des investisseurs et 176e pour la facilité des entreprises à embaucher et à licencier des travailleurs. Dans les villes du nord, la pauvreté et le désespoir poussent les jeunes chômeurs à tenter d'émigrer clandestinement vers l’Europe ou à rejoindre des groupes islamistes radicaux. Depuis 2003, le gouvernement a arrêté des milliers de présumés militants religieux et fermé des dizaines de mosquées informelles, après qu’un groupe de jeunes hommes des quartiers pauvres aient commis un attentat-suicide à Casablanca, tuant 45 personnes.

Le chômage est également un problème en Algérie et en Libye, parce que ces deux pays ont peu d’industries destinées à l’exportation en dehors du pétrole et du gaz, leurs principales richesses.
En Tunisie, des plans de réformes ont été mis en route pour tenter d’accélérer la croissance et de créer des emplois au cours des prochaines années, notamment en améliorant l’environnement des entreprises et en accélérant les privatisations. Le pays ambitionne aussi de réaliser la convertibilité totale de sa monnaie, le dinar, afin de supprimer ce que les entreprises étrangères considèrent comme l’un des obstacles majeurs aux affaires dans le pays, mais l’échéance a dû être retardée jusqu’à 2014.
La Tunisie dépend de l’Union européenne pour près de 90% de ses revenus extérieurs (exportations, envois de fonds de l’étranger, tourisme et investissements étrangers). Le FMI a averti, en mai, que le pays risque d’être vulnérable à un ralentissement de l’activité en Europe au cours des prochains trimestres.

Traduit de l’anglais par I. B.