C’est M. Souhail Ftouh qui l’affirme. Ce Tunisien, avocat de formation, exerce ses talents de journalistes sur ‘‘jssnews’’, un «webzine d’opinion israélien» modéré par Jonathan-Simon Sellem, ancien journaliste basé à Jérusalem. Une mise au point s’impose… Par Ridha Kéfi
Nous n’avons rien contre le fait qu’un Tunisien collabore – ce n’est là qu’un lapsus lingue – à un média israélien. Quoique cela mériterait quelques éclaircissements. Ce qui nous interpelle et nous dérange, c’est la manière dont M. Ftouh traite de l’actualité arabe et musulmane, et surtout tunisienne.
Dans sa propension à défendre la cause d’Israël – droit que je ne lui renie pas, car il est libre de ses choix et responsable de ses positions –, il recourt souvent à des moyens peu orthodoxes, grossissant des faits, les interprétant de manière outrancière, et orientant les informations qu’il rapporte (et commente abondamment) vers une seule finalité : démontrer, derrière la moindre critique des abus commis par Israël, la montée de l’antisémitisme et de la haine des Juifs dans la région, y compris bien sûr, et surtout, dans son propre pays, la Tunisie.
Cette verve propagandiste lui vaut ce portrait fort élogieux (et plein de mystérieux sous-entendus) de Jonathan-Simon Sellem: «Les lecteurs réguliers de JSSNews connaissent tous Ftouh Souhail. Ce brillant musulman tunisien est la preuve même que, quand on reçoit une éducation propre et normale, tout devient possible. Ftouh écrit plusieurs articles par semaine pour JSSNews et pour d’autres médias francophones et, au nom de tous, je tiens à le remercier. Je lui souhaite également “une bonne sortie d’Egypte” (il me comprendra). Jonathan-Simon Sellem».
Des interprétations outrancières
Ce qui suscite aujourd’hui ma réaction, alors que M. Ftouh sévit dans la toile depuis au moins deux ans, c’est l’interprétation outrancière que ce dernier a fait des critiques adressées au réalisateur tunisien Mohamed Zran, à propos de son long métrage documentaire ‘‘Zarzis’’ ou ‘‘Vivre ici’’, sorti en mars dernier sur les écrans tunisiens.
Certes, certains cinéphiles ont reproché au réalisateur d’avoir fait du personnage de Simon, le vieil épicier et droguiste juif, l’un des protagonistes principaux de son film voire l’âme et la mémoire vivante de sa ville natale, Zarzis (située sur le littoral sud-est de la Tunisie). M. Ftouh cite, à ce propos, un article publié par le site d’information ‘‘tekiano.com’’. Le problème c’est qu’il n’en cite que les passages qui servent sa démonstration : les Tunisiens «prennent encore un prétexte du conflit israélo-palestinien, s’escriment à diaboliser les Juifs et à les présenter comme des entités diaboliques et perverses.» Et quoi encore : «Ils s’inspirent encore de ce que l’on trouve de pire: les Protocoles des Sages de Sion, les caricatures obscènes dans la presse arabe [ndlr : présentant des responsables israéliens], les émissions enflammées de la télévision du Hezbollah libanais, ou les commentaires va-t-en guerre de prêcheurs hystériques et racistes.»
Qui aime bien, châtie bien, dit l’adage. Et M. Ftouh n’y va pas de main morte: «Certains intellectuels tunisiens ont montré encore une fois combien ils sont intoxiqués par cette propagande moyenâgeuse, digne d’un autre temps et qui puise au plus profond de la détestation de l’Homme. C’est vraiment triste pour toute la Tunisie, parce que rien ne doit excuser que l’on prêche la haine, l’aversion, le mépris, le dédain, l’irrespect.»
Vous ne rêvez pas, chers lecteurs : vous avez bien lu ce que vous avez lu. Et cela se passe près de chez vous : en Tunisie. Si ça trouve, vous êtes vous-mêmes, comme la plupart des Tunisiens, d’incorrigibles antisémites.
Une volonté évidente de manipulation
L’article de Tekiano, qui rapporte la controverse autour du film de Zran, souligne certes les critiques qui ont été adressées à ce dernier à propos du personnage de Simon : «Pourquoi un juif ? Pourquoi montrer une image positive du Juif alors qu’eux, les Juifs, ne cessent de nuire à notre image, celle de nos peuples arabo-musulmans ?»
Dans un débat de cinéphiles, ces questions sont légitimes. Et le cinéaste doit y répondre pour expliquer les partis-pris ou les intentions qui ont présidé à ses choix dramaturgiques. C’est tout à fait dans l’ordre des choses. Il n’y a pas de quoi jurer tous ses dieux que l’antisémitisme est en hausse en Tunisie, parce que les Tunisiens regardent la chaîne du Hezbollah ou qu’ils sont sensibles aux imprécations antisémites du président Mahmoud Ahmadinejad.
M. Ftouh aurait sans doute été plus crédible s’il avait repris les passages du même article de Tekiano qui contredisent sa démonstration et qui soulignent que, contrairement à ce que colportent M. Ftouh et ses employeurs, les Tunisiens, tout arabes et musulmans qu’ils sont et parce qu’ils sont arabes et musulmans, sont des gens épris de tolérance, de paix et de justice. Cette même justice qu’Israël piétine, chaque jour que le Dieu des Juifs et des Musulmans fait, sous ses pieds.
«Si j’avais à guider les gens dans une sorte de lecture du film, je dirais que le message de ‘‘Zarzis’’ est adressé, entre autres, aux Juifs et à tous ceux qui nuisent à l’image des Arabes et des Musulmans. Je veux leur dire voici la réalité! Je cherche à faire comprendre à l’Occident qui attaque notre image et notre réputation qu’ici, à Zarzis, on fait confiance», a expliqué le cinéaste tunisien. Et d’ajouter: «Simon, ce Juif, est un confident à qui on prête notre corps pour être soigné et même nos fils pour qu’ils soient examinés. L’idée véhiculée à notre sujet ? Des criminels, des tarés. Et bien, non, c’est le contraire. Cette lecture nous révèle que notre film est hyper-important aujourd’hui pour notre image, en tant qu’Arabes et Musulmans».
Pourquoi M. Ftouh a-t-il zappé ces passages de l’article de Tekiano ? Pourquoi n’a-t-il pas indiqué le lien URL de cet article alors qu’il a tenu à indiquer celui de la salle Ciném-AfricArt où le film de Zran est projeté ?
Sa volonté de manipuler l’information n’en est que plus évidente. Et c’est ce qui nous choque… Plus que le fait qu’il ait choisi, en toute conscience, non pas le camp des victimes palestiniennes, mais celui de leur agresseur : l’Etat d’Israël.