L'émirat pétrolier dévoile son vrai visage : chantre du wahhabisme rampant, hostile aux droits de l'homme, sponsor des mouvements jihadistes, anti-occidental, etc.
Par Michel Roche*
L'image du Qatar est durablement ternie. Il y a quelques années à peine l'Emirat passait pour un Etat déterminé à entrer dans la modernité, sous la conduite d'un chef d'Etat éclairé et ami de la France. Il apparaît aujourd'hui comme un Etat autoritaire et rétrograde, utilisant ses immenses richesses pour imposer des objectifs qui sont loin d'être en phase avec les nôtres. La multiplication de ses achats, notamment en France, commence à inquiéter, au point que la possibilité de constituer une commission d'enquête parlementaire pour examiner leur impact est même envisagée.
L'Emirat contre l'opération française au Mali
Francois Hollande et l'émir du Qatar à l'Elysée.
M. Sarkozy avait réservé à Doha sa première visite à un chef d'Etat arabe; lors de sa tournée dans le Golfe, M. Hollande ne s'est pas arrêté au Qatar et c'est l'Emir qui a dû venir à Paris. Compte tenu de l'attitude de l'Emirat qui a pris publiquement position contre l'opération française au Mali, ceci n'est pas surprenant. Mais les temps ont changé.
C'est que le Qatar ne s'est pas contenté de multiplier les investissements destinés à garantir la période de l'après-pétrole qui viendra obligatoirement un jour, il a aussi a cherché à s'imposer sur la scène internationale en poursuivant une politique décomplexée. Ce faisant, il s'est progressivement affranchi de ses parrains occidentaux, quitte à leur envoyer à l'occasion des signaux pour marquer son indépendance. Le lycée français de Doha s'intitule toujours Lycée Voltaire, mais la Mission Laïque qui présidait à ses destinées a été priée de faire ses bagages.
Le cas d'Al-Jazira est également révélateur de l'évolution de l'Emirat. Créée pour concurrencer les grandes chaines occidentales, elle a certes un fort rayonnement dans le monde arabe, mais il est clair qu'elle sert directement les intérêts du pays, quand elle n'est pas simplement aux ordres. Ainsi elle n'aborde pratiquement jamais la situation dans l'Emirat. Le temps où elle était l'une des mieux informée sur l'évolution des printemps arabes est passé; aujourd'hui ses reportages en Syrie ont pour but d'illustrer le point de vue de l'Emirat. L'orientation donnée aux bureaux régionaux à partir de Doha fait que la chaîne est perçue comme anti-américaine par de nombreux journalistes anglais et américains.
L'émir du Qatar avec Tzippi Livni, ex-ministre israélienne des Affaires étrangères, en avril 2008.
La volonté de se protéger contre l'influence des révoltes arabes a fait tomber l'illusion d'un Etat éclairé. L'épouse du chef de l'Etat constituait l'emblème de l'ouverture; désormais son rôle est plus effacé et on la voit moins dans les médias. Sa dernière prestation internationale a quelque chose de pathétique: devant le Conseil des droits de l'Homme à Genève, Cheikha Moza a vanté les mérites de l'éducation dans les progrès pour les libertés. Dans le même temps, un malheureux poète était condamné à 15 ans de prison pour des vers qui avaient eu le malheur de déplaire, tandis que les grandes organisations de droits de l'homme dénonçaient les conditions de travail des immigrés dans le secteur du bâtiment qui sont responsables de 300 accidents mortels chaque année.
La coupe du monde de football a mis en évidences les plus que vraisemblables corruptions au plus haut niveau, qui ont permis l'attribution de cette manifestation à Qatar. On est d'ailleurs un peu surpris d'apprendre que les épreuves auront lieu par 45° ce qui imposera que les sols sur lesquels les joueurs évolueront devront être refroidis. Manifestement la protection de l'environnement n'est pas la préoccupation majeure de l'Emirat qui peut sans sourciller être à la fois l'organisateur du sommet sur l'environnement et l'un des pays les plus pollueurs au monde par habitant.
L'appui inconditionnel aux Frères Musulmans
Le Qatar et Ennahda s'opposent à la lutte antiterroriste au Mali.
Ses interventions en Syrie, en Tunisie, en Libye et au Mali ont montré un aspect inattendu: la priorité dans le monde arabe semble désormais être l'appui inconditionnel aux Frères Musulmans et à la propagation de l'islam wahhabite, quitte à soutenir sans ciller salafistes et djihadistes. Avec de telles options, l'Emirat n'hésite plus à jouer contre les Occidentaux.
On ne peut que se poser la question: Qatar est-il bien conscient qu'il est en train de provoquer une réaction de rejet, ou bien se sent-il au dessus de ce que son immense pouvoir financier peut lui faire tenir pour négligeable?
L'Emirat peut probablement faire l'impasse sur ce que pense l'opinion. Il est vrai que l'opinion est une notion qui n'existe pas chez lui; il peut donc être fondé à estimer qu'il en est de même ailleurs. C'est pour cette raison que la relation que Washington entretient avec l'Arabie saoudite depuis 2001 s'est dégradée au point d'être devenue un mélange d'intérêt et de méfiance radicale. Peut-être notre relation avec le Qatar va t-elle s'orienter dans le même sens pour devenir une relation aussi normale que possible mais dont on ne se vante pas? Les divergences sur le Mali n'ont d'ailleurs pas empêché l'organisation de manœuvres militaires conjointes dans le Golfe.
Cheikh Hamad le 14 janvier 2012 à Tunis pour la célébration du 1er anniversaire de la révolution.
En Afrique sub-saharienne l'Emirat pourra bien essayer de se rendre plus présentable à travers sa participation à la Francophonie, participation qu'il doit à l'intervention de la France, et au financement d'écoles sportives qui lui permettront de présenter à Doha de jeunes espoirs africains du sport. Mais il lui faudra beaucoup d'efforts pour faire oublier sa tentative d'imposer avec des combattants jihadistes un Islam hostile aux traditions africaines.
Dans les pays du sud de la Méditerranée, son pari diplomatique repose sur le succès des Frères musulmans. Si l'expérience devait échouer comme cela semble vraisemblable, il devra probablement s'attendre à des conséquences. Les opinions pourraient bien alors se rendre compte que l'amitié affichée ne va pas jusqu'à apporter suffisamment d'aide pour permettre d'éviter les conséquences économiques des politiques engagées par les Frères. Les Emirats pétroliers qui ne se sont jamais pressés d'aider les Palestiniens n'ont d'ailleurs aucune raison pour s'engager davantage en faveur des autres pays de la région.
Sur le dossier syrien, l'avenir dira si Doha a les moyens de peser aussi fortement qu'il le prétend. Pour l'heure, la Russie lui rappelle avec la brutalité qui lui est coutumière qu'il n'est pas un intervenant de premier plan. En cherchant à prendre ses distances par rapport aux Occidentaux, il pourrait un jour se rendre compte qu'il a la puissance financière, mais qu'il n'a que cela.
''Dégage Qatar'', lancent des manifestants à Tunis.
Notre engagement vis-à-vis de l'Emirat ne porte que sur nos intérêts économiques. En méprisant la force des opinions Doha nous rend le service de nous rappeler à cette réalité. Ceci incitera probablement aussi ceux qui souhaitent faire le voyage de Qatar à se montrer plus discrets.
* Consultant indépendant, associé au groupe d'analyse de JFC Conseil.