Comment Ennahdha et ses alliés ont-il pu dégoûter les Tunisiens de leur révolution qui a enfanté des monstres avides de pouvoir, incompétents et arrogants ? Le détournement de la révolution tunisienne en 20 leçons...
Par Moez Ben Salem
Au mois de juillet 2012, un précédent article: ''Bilan remarquable d'Ennahdha en 100 points'' paru sur Kapitalis, a dressé le bilan peu honorable de la Troïka au cours des 8 premiers mois d'exercice du pouvoir. Toutefois, on était loin de se douter que la cadence des évènements allait s'accélérer à un rythme infernal, menant la Tunisie vers des abimes aux fonds insondables et faisant évaporer les rêves des Tunisiens d'instaurer une véritable démocratie.
Nous allons cette fois-ci dresser un nouveau bilan, couvrant la période juillet 2012 à avril 2013. Les bourdes de la Troika étant innombrables, il nous est difficile d'en établir une liste exhaustive; aussi, allons-nous nous limiter aux 20 affaires les plus graves, celles qui ont causé de profonds remous au niveau national, voire même à l'échelle internationale, faisant perdre la confiance des autres pays envers le nôtre, pourtant héritier d'une brillante civilisation, trois fois millénaire.
1- La république bananière:
Au début de l'été 2012, l'extradition de l'ancien premier ministre Baghdadi Mahmoudi en catimini vers la Libye, sans informer le président de la république, a été suivie, comme mesure de rétorsion de la part de ce dernier, de l'éviction du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (Bct) et son remplacement par un proche du dictateur déchu.
Le plus grave dans cette affaire, c'est que la nomination antidatée du nouveau gouverneur s'est faite sans l'aval de l'Assemblée nationale constituante (Anc), ce qui a suscité de profonds remous au sein de celle-ci. L'un de ses membres, Mahmoud Baroudi (Bloc démocratique) a même lancé, à juste titre, à propos du nouveau pouvoir, l'expression «république bananière».
2- Les coupures d'eau courante :
Malgré les pluies abondantes lors d'une saison des pluies exceptionnelle, la Tunisie a fait face à une crise de distribution de l'eau potable d'une ampleur inédite, touchant plusieurs gouvernorats et ce, en pleine canicule du mois de juillet et en plein mois de ramadan, signant la faillite de l'Etat et son inaptitude à garantir les minimas d'une vie digne.
Comme si cela ne suffisait pas, les émeutes qui s'en suivirent dans certaines régions furent durement réprimées.
Le ministre de l'Agriculture a imputé la situation à un problème d'électricité, tout en faisant endosser le désastre à l'ancien régime.
Un militant des droits de l'homme sauvagement agressé par des éléments salafistes à Bizerte.
3 - La montée des agressions salafistes :
Le cycle de la violence salafiste, qui avait débuté dès novembre 2011, allait s'accélérer à un rythme effréné durant le mois de ramadan 2012. Profitant d'un sentiment d'impunité, les salafistes allaient se livrer à de nombreuses actions violentes, visant particulièrement les évènements culturels et artistiques, la plus grave étant celle qui s'est produite à Bizerte à l'occasion du festival d'Al-Aqsa, au cours duquel des fanatiques se sont attaqués aux organisateurs, à coups de sabre, entrainant de graves blessures qui auraient pu être fatales. Les images de ces violences, qui ont tourné en boucle sur les chaines de télévision et les réseaux sociaux, étaient insoutenables! La police n'est intervenue qu'une heure après l'agression pour arrêter 4 assaillants qui seront par la suite relâchés par le juge.
Dans le sillage de cette grave agression, toujours à Bizerte, des individus ont pris pour cible un citoyen tuniso-français, élu régional en France, venu passer des jours de vacances avec sa petite famille. Prétextant que sa femme et sa fille étaient habillées de manière indécente, les agresseurs salafistes ont failli le lyncher et il n'a dû son salut qu'à sa fuite effrayée.
4 - Tentative de mainmise sur Dar Assabah
La nomination au poste de Pdg de Dar Assabah d'un ancien agent à la solde du dictateur déchu a suscité une énorme polémique dans les milieux journalistiques tunisiens.
A travers cette nomination, l'exécutif a tenté de mettre la main sur l'un des plus prestigieux groupes de presse en Tunisie; mais il s'est heurté à la vive résistance des agents de Dar Assabah, soutenus par le syndicat des journalistes et par toute la société civile tunisienne. Cette résistance a fini par payer et après un bras de fer qui a duré 3 mois, le Pdg «parachuté» a fini par être muté.
5 - Le procès d'une femme violée par 3 policiers :
Voici une affaire qui a dû donner des nausées à des dizaines de millions d'habitants de la planète et qui a même fait la une des journaux australiens et néo-zélandais!
Alors qu'elle se trouvait en compagnie de son fiancé, une jeune femme a été abordée par 3 policiers qui étaient censés veiller à la quiétude des citoyens. Pendant que l'un des policiers extorquait, sous la menace, de l'argent au fiancé, les 2 autres agents ont violé à plusieurs reprises la jeune femme. Le comble c'est que, pour étouffer l'affaire, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a tenté de faire endosser la responsabilité du scandale à la jeune femme qui s'est retrouvée au banc des accusés au motif d'atteinte à la pudeur public; incroyable mais vrai!
Il a fallu une énorme mobilisation de la société civile tunisienne et des médias internationaux pour que la jeune femme soit acquittée et que les violeurs se retrouvent sous les verrous.
6- Vingt mariages et quatre vingt enterrements :
Dans la nuit du 6 au 7 septembre 2012, une embarcation à bord de laquelle ont pris place 136 Tunisiens et Tunisiennes, candidat(e)s à l'immigration clandestine, a sombré au large des côtes de l'île de Lampedusa. Malgré les efforts des autorités italiennes, aidées par les avions de l'Otan, seules 56 personnes ont pu être sauvées, ce qui laisse supposer qu'environ 80 personnes ont péri noyées.
Pendant ce temps, que faisaient les responsables tunisiens? La réponse est incroyable : ils festoyaient allègrement! En effet, Ennahdha a organisé une méga-fête de mariage unissant, dans un hippodrome, 20 couples de condition modeste, sous les caméras de la chaine Al-Jazira. L'annonce du décès de 80 personnes n'a pas dissuadé les membres du gouvernement, qui ont tenu à «honorer» de leur présence la grande fête.
Des groupes salafistes attaquent l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, étrangement livrée aux assaillants.
7 - L'attaque contre l'ambassade américaine :
Un certain vendredi 14 septembre, à la suite à la diffusion d'un film blasphématoire portant atteinte à l'islam et à l'image du prophète, des groupes d'extrémistes violents se sont regroupés après la prière du vendredi, pour se diriger ensuite vers l'ambassade américaine à Tunis qu'ils vont attaquer, au même titre que l'école américaine, profitant de l'étrange passivité des forces de l'ordre.
Le bilan de cette attaque, 5 morts parmi les assaillants et des dizaines de blessés, aurait pu être encore plus lourd s'il n'y a pas eu intervention de la Garde présidentielle.
Le ministre de l'Intérieur nous a gratifié d'une phrase incroyable : «Nous les attendions à l'avant, ils nous ont surpris par derrière».
Cette affaire a gravement écorné l'image de la Tunisie à travers le monde et a fait que le nom de notre pays se retrouve sur une liste noire!
8 - La vidéo fuitée du chef d'Ennahdha :
Une vidéo fuitée sur les réseaux sociaux, enregistrée à son insu, a montré le chef du parti Ennahdha en train de discuter avec certains jeunes salafistes qui voulaient imposer au plus vite un islam rigoureux copié sur le modèle wahhabite, leur recommandant de patienter, le temps de mettre la main sur la police, l'armée, l'administration, les médias...
Le masque dont s'affublait le vieux leader pour tromper ses compatriotes, ainsi que les Occidentaux, était définitivement tombé; son vrai visage et ses vrais desseins étaient enfin révélés au grand jour
Les groupes salafistes imposent leur loi à la Faculté des lettres de Manouba, et c'est le doyen Kazdaghli qui est traduit en justice.
9- L'affaire Kazdaghli ou le procès de la honte :
Lors des graves troubles qui se sont produits l'an dernier à la Faculté des lettres de la Manouba et dans un climat d'extrême tension lié au refus légitime de la part du doyen et du corps enseignant de ladite faculté d'autoriser des étudiantes de passer des examens en étant couverte d'un niqab, deux parmi ces étudiantes sont entrées de force dans le bureau du doyen pour se livrer à un véritable saccage, détériorant le mobilier, éparpillant les dossiers et se permettant même de bousculer le professeur Kazdaghli. L'une d'elle s'est permise ensuite de porter plainte contre ce dernier, prétendant qu'il l'aurait violentée!
Les rôles sont donc inversés et c'est un honorable doyen qui se retrouve au banc des accusés, risquant une lourde peine de 5 années de prison, pour une prétendue gifle!
10- Le meurtre de Lotfi Nagdh :
Afin de contrecarrer l'ascension fulgurante du parti Nida Tounes, principal concurrent d'Ennahdha, ce dernier a envoyé ses milices, dénommées Ligues de protection de la révolution, pour s'attaquer au siège de l'Union régionale de l'agriculture et de la pêche (Urap), dirigé par un membre de Nida Tounes, Lotfi Nagdh. Ce dernier, effroyablement lynché par les hordes excitées, est décédé, laissant 5 orphelins en bas âge.
Tentant maladroitement de camoufler l'affaire, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a assuré que la victime avait été terrassée par «une crise cardiaque», ce qui a été, bien entendu, infirmé par l'expertise médicale.
11 - L'affaire Siliana :
Excédés par l'attitude méprisante du gouverneur de la région et las de patienter dans l'attente de la réalisation de promesses creuses, les habitants de Siliana se sont révoltés et ont réclamé le départ du gouverneur. Mais le gouvernement tunisien leur a opposé une fin de non recevoir et en guise de réponse, il les a «canardés» à la chevrotine, comme un vulgaire gibier, causant de sérieuses blessures chez les manifestants, dont certains ont perdu l'œil. Mais encore une fois, les Tunisiens ne se sont pas laissés faire et ont déserté la ville, obligeant le gouverneur à déguerpir et mettant dans de mauvais draps l'ancien Premier ministre qui avait commis la maladresse de soutenir le gouverneur de la ville, très contesté par la population.
12- La séquestration d'un citoyen tunisien :
Un célèbre producteur de télévision a été mis en examen au mois d'août 2012 pour une présumée affaire de malversation financière et ce dans les jours qui ont suivi la diffusion d'une émission satirique caricaturant certaines personnalités politiques.
Mais à la date du 28 novembre, la Cour de Cassation, la plus haute instance juridique, a cassé la mise en examen et réclamé la libération immédiate du producteur. Mais, à la surprise générale, un contre-ordre venu de l'on ne sait où a fait que ce citoyen tunisien soit maintenu en détention, ce qui constitue en quelque sorte une séquestration par l'Etat tunisien !
13- Agression contre la centrale syndicale Ugtt:
Le 4 décembre 2012, à la veille de la commémoration du décès du grand leader syndicaliste Farhat Hached, un groupe d'individus armés appartenant aux sinistres Ligues de protection de la révolution (LPR), bras armé de deux des partis au pouvoir, ont attaqué le siège de la grande centrale syndicale Ugtt dans le but de faire «un coup d'Etat», d'écarter les responsables syndicaux élus et de placer des responsables plus «dociles». Cette agression a provoqué une vive émotion dans le pays et a failli conduire à une grève générale, qui a été évitée de justesse.
La commission mixte, gouvernementale et syndicale, chargée d'enquêter sur cette grave affaire traine le pas et, à ce jour, les assaillants circulent en toute liberté et continuent leurs agressions en toute impunité.
14 - Le Sheratongate :
A la fin de l'année 2012, une jeune blogueuse a révélé une grave affaire de malversation impliquant l'ancien ministre des Affaires étrangères, qui aurait séjourné à plusieurs reprises dans un luxueux hôtel, sis à quelques centaines de mètres de son ministère et ce au frais du contribuable tunisien. Bien plus, elle a révélé qu'un don d'un million de dollars a été fait par un pays étranger, versé directement dans un compte spécial géré par le ministre en question, sans passer par le trésor public.
Ironie du sort, c'est l'ancien ministre qui porte plainte contre la jeune femme qui se retrouve auditionnée par le juge d'instruction et privée un bon moment de son passeport, alors que l'ancien ministre n'est nullement inquiété.
15- Attaque contre un meeting d'un parti d'opposition à Djerba:
Le parti de l'opposition Nida Tounes a tenté d'organiser un grand meeting à Djerba ; mais la réunion a été sérieusement perturbée par des éléments des fameuses Ligues de protection de la révolution (LPR), qui ont agressé verbalement et physiquement les personnes présentes, donnant ainsi un avant-goût de ce qui pourrait se passer dans une éventuelle campagne électorale future.
Pour tenter de justifier l'injustifiable, un secrétaire d'Etat a affirmé que ce meeting était une «provocation», puisqu'il s'est déroulé dans un hôtel appartenant un juif tunisien!
Des prédicateurs du Moyen-Orient viennent pour imposer le voile aux petites filles tunisiennes. Ils sont accueillis à bras ouverts par le gouvernement Ennahdha.
16- La parade des prédicateurs ignobles :
Depuis la mise en place du gouvernement provisoire, notre pays a connu un véritable «ballet» de prédicateurs des pays du golfe, venant diffuser de dangereuses idées rétrogrades; certains d'entre eux se permettant d'insulter les Tunisiens sur leur propre terre !
Début 2013, un prédicateur koweïtien, accueilli en grandes pompes par des officiels à l'aéroport Tunis Carthage, n'a pas trouvé mieux que de faire voiler des fillettes, dont certaines avaient à peine 3 ans, se permettant même de leur demander de narguer les Tunisiens opposés à cette pratique étrangère à leurs traditions.
La ministre des Affaires de la femme et de la famille a maladroitement tenté de justifier ces agissements en prétendant que «c'était mieux que de s'adonner à la drogue»!!
Les Tunisiens manifestent tous les mercredis pour exiger la vérité sur l'assassinat du leader Chokri Belaïd, commis par des éléments islamistes proches d'Ennahdha.
17 - Assassinat de Chokri Belaid :
Un triste mercredi 6 février 2013, des millions de Tunisiens se sont réveillés sous le choc : une des figures les plus marquantes de l'opposition, Chokri Belaid, venait d'être assassiné devant son domicile, par un individu qui lui a tiré 4 balles à bout portant.
L'émotion a été tellement vive que plus d'un million de citoyens ont assisté à son enterrement, en l'absence bien entendu de tout représentant des partis au pouvoir. Le parti islamiste s'est même permis d'appeler à une contre-manifestation, moyennant la distribution de billets de 20 dinars et de paquets de biscuit aux manifestants!
A ce jour, l'enquête sur cet horrible assassinat piétine et les assassins courent librement comme le vent.
18 - Le viol d'une fillette de 3 ans dans un jardin d'enfants:
C'est une affaire qui a exercé un effet émétisant sur les Tunisiens, qui ont appris que dans une crèche, une fillette a été violée par un individu (plutôt un monstre) travaillant dans la même crèche. Pire, la directrice de l'établissement a couvert cette gravissime affaire et se serait même permis de narguer les parents de la fillette violée.
La ministre des Affaires de la femme et de la famille a tenté maladroitement de couvrir cette affaire, en imputant dans un premier temps cet horrible viol au cercle familial; ce qui a provoqué un tollé général et poussé un certains nombre d'élus à l'Assemblée nationale constituante (Anc) à réclamer la démission de ladite ministre, qui a dû son maintien au soutien de ses collègues du groupe islamiste
19- Tunisie, le premier pays exportateur de jihadistes :
Depuis quelques mois, la Tunisie détient un triste record, dont il est difficile de s'enorgueillir, celui d'être le premier pays exportateur de jihadistes au monde !
D'abord, suite à l'attaque française contre les éléments d'Al-Qaïda au Mali, un groupe de terroristes s'est lancé contre le site Ain Amenas, en Algérie pour prendre en otage plusieurs centaines de personnes. L'attaque des forces algériennes pour libérer le site a révélé que plus d'un tiers (11) des assaillants étaient Tunisiens!
Pire, suite un endoctrinement orchestré par des mercenaires wahhabites, des milliers de Tunisiens sont partis en Syrie, croyant combattre pour la bonne cause et se retrouvant en fait mêlés aux terroristes d'Al-Qaïda. Bien plus, certaines femmes ont rejoint ces combattants pour se livrer à un autre jihad, encore plus dégradant, celui du sexe!
20 - Police, garde nationale et armée à la merci des jihadistes :
Depuis la mise en place de la Troika, de nombreux accrochages ont lieu entre groupes terroristes, financés de l'étranger et des éléments de la police, de la Garde Nationale et de l'armée dont certains ont perdu la vie, à la fleur de l'âge, en exerçant leur métier avec bravoure. Mais le plus grave est qu'il semblerait que certains ordres, venus de l'on ne sait où, empêcheraient nos vaillants policiers et militaires de faire correctement leur métier; faisant courir de graves dangers au pays tout entier !
Signalons enfin que ces diverses affaires, aussi graves les unes que les autres, se déroulent sur fond de blocages et de scandales au sein de l'Anc, retardant la rédaction de la Constitution et risquant de renvoyer les élections aux calendes grecques!
Les Tunisiens qui aspirent à vivre dans un pays démocratique, risquent malheureusement de patienter encore longtemps !