Le soulèvement des Tunisiens, entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, était une revendication de justice, de dignité et d'emploi. Il ne s'agissait nullement d'arabité, ni d'islamité. Faudrait-il l'expliquer encore aux membres de l'Assemblée?
Par Moncef Dhambri
Jusqu'à hier, plus d'une quarantaine d'articles du projet de la nouvelle constitution, soit un peu moins du tiers du texte entier, ont été adoptés par nos représentants.
Globalement, la récolte n'a pas été mauvaise: le rythme des travaux a été assez soutenu et le rendement acceptable; les débats se sont déroulés presque normalement.
Une tournure d'esprit est conservatrice
Pour l'essentiel également, il y aurait peu de reproches à faire aux membres de l'Assemblée constituante (ANC) et la date butoir du 14 janvier 2014 sera très probablement respectée – à une, deux ou trois journées près, peu importe. Nous avons déjà attendu plus de deux années.
Sauf qu'à bien lire entre les lignes, ainsi que Yadh Ben Achour l'a fait, hier soir sur Nessma TV, il y a anguille sous roche dans l'article 38: selon l'expert en droit constitutionnel, il y a chez nos constituants un obsessionnel attachement à défendre notre identité arabo-musulmane qui cache mal une déviation idéologique. «Cette tournure d'esprit est conservatrice» et elle pourrait porter préjudice à l'avenir du pays.
Traitant du droit de tout Tunisien à l'éducation et de la garantie que l'Etat doit offrir dans ce domaine, nos constituants ont cru bon, dans cet article 38, revenir sur cette histoire de notre identité arabo-musulmane et sur la vocation de nos institutions éducatives à enraciner cette appartenance.
Pour Yadh Ben Achour, pareille insistance avec laquelle nos membres de l'ANC tentent d'imposer aux écoles de la République tunisienne cette règle identitaire trahit le conservatisme de certains rédacteurs de la nouvelle constitution. Il s'interroge: «Avant la Révolution, nous sommes-nous jamais interrogés sur notre identité, notre arabité ou notre islamité?» De toute évidence, la réponse est non.
De fait, avant la Révolution, notre tunisianité se portait bien. Elle était un riche mélange très équilibré d'arabité, d'islamité, d'africanité, de tolérance, de modernisme, de progressisme et elle comprenait aussi d'autres ouvertures sur toutes les cultures et tous les mondes, proches et lointains. Avant le 14 janvier 2011, nous ne souffrions d'aucun manque, d'aucun malaise ni d'aucun complexe, sur ce plan.
L'article 38 est une grave erreur
Le professeur en droit constitutionnel pousse plus loin son raisonnement en attirant l'attention sur le fait que cet article 38, parce qu'il omet de mentionner la mission cruciale qui doit incomber à l'école républicaine de promouvoir le progrès et la modernité, est rétrograde et dangereux. Il n'hésite pas à qualifier la journée qui a vu l'adoption de cet article 38 de «jour noir» et d'imputer cette grave erreur à «ces gens qui ont été pendant très longtemps absents du pays».
En somme, si Ennahdha – puisqu'il faut appeler le coupable par son nom – a des comptes à régler avec l'Histoire, sa renaissance, sa redécouverte de la Tunisie et sa réintégration ne devront jamais se réaliser aux dépens de notre tunisianité prouvée et approuvée.
Si les Nahdhaouis ont souffert de leur emprisonnement, de leur clandestinité et de leur exil, nous les avons plaints et continuerons de leur exprimer notre sympathie. Dieu, nous le souhaitons sincèrement, les aidera à résoudre leur crise identitaire.
Pour ce qui concerne notre compréhension de la Révolution, nous pensons que le soulèvement de nos jeunes, entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011, était une revendication de justice, de dignité et d'emploi. Il ne s'agissait nullement d'arabité, ni d'islamité.