Samir Abdelhafidh, universitaire, docteur en sciences économiques, interpelle ici les deux leaders et leur rappelle que la Tunisie a aujourd’hui besoin d’eux et de leurs partis, dans la rue et non au gouvernement.
Nous avons assisté à la démission de Mohamed Ghannouchi et à la désignation de Béji Caïd Essebsi en tant que Premier ministre du gouvernement provisoire. Certains ont vu dans ce changement une porte de sortie de l’impasse politique, économique, sociale et sécuritaire dans laquelle la Tunisie se trouve depuis la chute du dictateur déchu. D’autres continuent de marteler que ce changement à la tête du gouvernement ne répond pas aux aspirations du «peuple» au nom duquel ils se sont donnés le droit de parler au lendemain du 14 janvier 2011. Ils évoquent des raisons allant de l’absence de négociations les impliquant et conduisant à un consensus sur le nom du nouveau Premier ministre, à la nécessité de décréter immédiatement une convocation à des élections d’une assemblée constituante, à l’urgence d’une dissolution du parlement, de la chambre des conseillers, et du Rcd, à la reconnaissance du Conseil de protection de la révolution et à la dissolution pure et simple du gouvernement.
Une bonne présence médiatique
Sur ce dernier point, un argument souvent évoqué porte sur la présence du mouvement Ettajdid et du Parti démocratique progressiste (Pdp) dans le gouvernement, ce qui confèrerait à leurs leaders respectifs, Ahmed Ibrahim et Ahmed Néjib Chebbi, une avance confortable en matière de présence médiatique notamment.
Messieurs,
Vos détracteurs oublient que cette même présence est de nature à vous nuire ainsi qu’à vos partis puisqu’elle vous rend responsables, au même titre que tous les autres ministres, de toutes les erreurs qu’on a fait supporter au gouvernement de Ghannouchi et qu’on fera supporter à celui de Caïd Essebsi si vous en feriez un jour partie.
Vos détracteurs oublient aussi que, avec les moyens de bord et malgré votre manque d’expérience dans la gestion courante des affaires de l’Etat, vous avez initié des actions ambitieuses pour marquer un changement par rapport au passé. En tant qu’économiste, je constate que c’est dans l’actif de Ahmed Néjib Chebbi d’avoir cherché tout d’abord à faire face à l’urgence sociale par l’octroi d’aides financières directes qui ont ciblé en premier lieu les régions les plus défavorisées, les familles des martyrs et des blessées de la révolution, ainsi qu’aux catégories sociales les plus marginalisées. En tant qu’universitaire, je ne peux que reconnaitre que les premières initiatives prises par Ahmed Ibrahim ont répondu à des revendications très anciennes dans le secteur de l’enseignement supérieur (suppression de la police universitaire, élections prévues des doyens et directeurs dans tous les établissements universitaires, nouvelles élections à organiser pour les jurys des concours, nouvelles orientations pour le déblocage de la situation des enseignants contractuels...).
Contrecarrer les extrémistes de tous bords
Vos détracteurs oublient enfin que dans l’échiquier politique de l’ère du dictateur déchu, vous étiez parmi les rares à avoir eu l’intelligence et le courage de résister sur place pour manifester une opposition organisée et publique. Ils insistent à ne pas reconnaitre que cette attitude vous confère autant de légitimité, voire plus, que celle que l’on veut mesurer par les années passées en prison, en exil ou en silence.
Messieurs,
Aujourd’hui, la scène politique est plutôt occupée par des partis, de droite comme de gauche, dont le seul point commun est d’avoir été des opposants aux deux gouvernements de M. Ghannouchi, et qui semblent être d’accord (et d’avance!) à continuer dans la même position avec le gouvernement qui serait constitué par M. Caïd Essebsi. Ces partis n’ont pas un véritable contrepoids dans la rue, en dehors, peut être, de ce qui a été qualifié par l’ex- Premier ministre de «la majorité silencieuse». Ils ne partagent pas toutefois nécessairement l’objectif d’une Tunisie ouverte, démocratique et tolérante et ne semblent pas avoir tous conscience de la gravité de la situation dans laquelle se trouve notre pays.
Aujourd’hui, la Tunisie a besoin de vous et de vos partis dans la rue et non au gouvernement. Il est de votre devoir comme de celui de tous ceux qui aspirent à une Tunisie vraie républicaine de contrecarrer les extrémistes de tous bords, les anarchistes, les bénalistes, et autres Rcdéistes. La réussite d’un tel objectif nécessite votre liberté de parole et d’action politiques qui ne sera totale qu’en dehors du gouvernement.