Déçus et frustrés par les résultats de leur propre équipe nationale, de nombreux supporters français ont porté leur dévolu sur l’Equipe d’Algérie, dont la majorité des joueurs sont nés en France, jouent dans des clubs français ou ont commencé leur carrière en France avant de rejoindre de prestigieuses équipes européennes.

 

Les supporters de l’équipe de France, dans l’Hexagone autant qu’au Maghreb, ont sans doute remarqué qu’en laissant à la maison des joueurs comme le Franco-Tunisien Hatem Ben Arfa et les Franco-Algériens Samir Nasri et Karim Benzema, Raymond Domenech, le très controversé coach des bleus, a dérogé à la tradition qui veut que l’équipe de France soit constituée de blancs, de blacks et de beurs. Il fut même un temps, pas très lointain, où le capitaine (à la fois patron, cœur battant et emblème des Bleus) était de souche maghrébine: Zineddine Zidane pour ne pas le nommer, la personnalité la plus aimée des Français.

Sauvés du naufrage
Finalement, et n’en déplaise à leurs détracteurs, l’imprévisible attaquant de l’Olympique de Marseille, le n° 8 d’Arsenal et l’avant-centre du Real de Madrid n’ont rien perdu au change. Ils devraient même remercier Raymond Domenech qui, en omettant de les convoquer, les a sauvés du naufrage de l’Equipe de France à la Coupe du Monde d’Afrique du Sud.
«Sauvés», et c’est le cas de le dire, les trois «Maghrébins» peuvent voir l’avenir avec plus de sérénité. Eux, au moins, n’ont pas contribué à la débâcle française et personne, aujourd’hui, ne peut affirmer qu’ils ne seraient d’aucun apport au jeu stéréotypé et infructueux des Bleus. Et pour cause: ceux que Raymond Domenech leur a préférés ont démontré, s’il était encore besoin, l’étendue de leur insuffisance technique et de leur irresponsabilité morale, en errant sur le terrain comme des âmes mortes. En évitant, par ailleurs, de commenter la décision, pourtant injuste à leur égard, du coach français, acceptant même leur mise à l’écart avec beaucoup de dignité, ces joueurs beurs ont démontré leur qualité d’âme et gagné, au passage, la sympathie des supporters des Bleus.
Ironie de l’histoire, après la défaite de son équipe face au Mexique (0-2), le sélectionneur français a cité en exemple le jeu de l’équipe d'Algérie dans une chronique vidéo diffusée sur le site de la  Fédération française de football (FFF). «J’ai vu jouer l’équipe d’Algérie et je dis: ‘‘Ben voila, le don il est là’’, c'est à une touche, deux touches, s’engager, jouer, défendre, attaquer et rêver le plus longtemps possible. Une Coupe du monde, c’est ça, il faut aller au bout du rêve. Il y a eu un nuage, il faut ramener autre chose», a expliqué Domenech.
Sans ironie aucune, et sans transition, on remarquera, au passage, avec Pascal Boniface, dans un article joliment intitulé ‘‘Algérie française ?’’, qu’«une grande partie de la France a vibré pour l’équipe d’Algérie qui d’ailleurs a fait un super match plein de talent et d’envie contre l’Angleterre». Le match, diffusé vendredi, en direct à 20h30, sur TF1, s’est d’ailleurs placé en tête des audiences en France (autant qu’en Algérie, en Tunisie et dans tous les pays maghrébins et arabes), en réunissant 5,8 millions de téléspectateurs, soit 26% de part de marché. 40 % des téléspectateurs français âgés de 15 à 49 ans et 22% de téléspectatrices de moins de 50 ans l’ont vu. Mieux, en fin de match, près de 7,4 millions de téléspectateurs français étaient présents devant leurs écrans.
Ces audiences ne trompent pas. Après les résultats mitigés de l’Equipe de France et, surtout, le manque évident de panache dont elle a fait preuve au cours des deux premiers matchs, un transfert s’est opéré dans la conscience de nombreux Français. Et là, on ne parle pas seulement des jeunes Français d’origine algérienne ou maghrébine qui ont bruyamment fêté la qualification à l’arraché de l’Algérie, le 18 novembre (le même jour que la France), mais des Français d’une façon générale.

Un ‘‘supportérisme’’ de solidarité
Déçus et frustrés par les leurs, ces derniers n’ont pas tardé à porter leur dévolu sur les joueurs africains, maghrébins et autres qui sont nés en France ou jouent dans des clubs français chers à leurs cœurs. Et c’est tout naturellement qu’une bonne partie de ces Français «pur jus» se sont mis à soutenir l’Equipe d’Algérie, d’autant qu’ils connaissent la majorité des joueurs. Et pour cause: 17 des 23 Fennecs sont nés en France, certains y jouent encore et d’autres y ont commencé leur carrière avant de rejoindre de prestigieuses équipes européennes.
Ce «transfert», ce mot est le nôtre, est souligné par Pascal Boniface qui affirme, dans l’article déjà cité, qu’«avant même l’excellente démonstration de football des Fennecs, il n’y avait pas que des jeunes d’origine algérienne qui les soutenaient. Partout dans les villes des Gaulois pure souche, sans doute même d’authentiques Auvergnats en faisaient de même.» Et le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), par ailleurs grand spécialiste de football, d’ajouter: «tous ces Gaulois ne sont pas devenus apatrides mais tout simplement ils soutiennent, outre le faible contre le fort supposé, l’équipe de leurs potes. Dans nos collèges, nos lycées, nos facs, chacun a au moins un copain d’origine algérienne. Et ils pratiquent un ‘‘supportérisme’’ de solidarité, ils soutiennent l’équipe de leurs copains. J’ai vu des Français d’origine algérienne abattus par la défaite de la France, réconfortés par le bon match de l’Algérie. Et de nombreux Français ‘‘de souche’’ (la proportion étant plus grande chez les jeunes) exactement dans le même état d’esprit.»
Comme quoi le football a sa propre logique, qui dépasse les limites étriquées des orgueils nationaux, des drapeaux et des contingences de l’Histoire.

Imed B.