Retour sur la tragédie d'Eya, collégienne de 13 ans, brûlée vive hier par son père à la Cité Ibn Khaldoun, dans la banlieue ouest de Tunis.
Par Zohra Abid
Le tort de cette gamine, actuellement entre la vie et la mort, c'est d'avoir fait le chemin entre le collège et son domicile familial en compagnie de son camarade de classe.
Eya était un ange
Nous sommes entre la rue El Fahs et celle de Ben Guerdane de la Cité Ibn Khaldoun. Ici, les maisons sont comme entassées les unes sur les autres dominant une allée aux pavés dans un état qui laisse à désirer et, tout au fond, il y a du monde. Une foule de collégiennes, touchées par ce qui est arrivé à leur camarade, et sont venues prendre des nouvelles sur la santé de la brûlée.
«Quand il a vu notre état, le surveillant général du collège a préféré reporter la date des devoirs prévus aujourd'hui. Car, nous étions en pleurs et en état de choc. Eya est une brave fille. Je vous jure, c'est un ange. Elle jouit d'une bonne réputation. Très calme et aimable, tout le monde la respecte. Elle n'a jamais fait du mal, même pas à une mouche», raconte l'une des filles, les yeux pleins de larmes.
Maherzia, la tante paternelle d'Eya, est apparue au seuil de la maison. Quand elle a appris que nous étions des journalistes, elle est devenue toute pâle. D'autres femmes, des voisines ou des proches de la famille, ont rejoint le cercle. L'ambiance est lourde : il régnait comme une atmosphère de deuil.
Une tante peu loquace
«Nous sommes désolés, il faut comprendre notre état. La fille est très fatiguée et nous n'avons aucune nouvelle d'elle depuis hier», a dit la tante, à la fois réservée, triste et parlant au compte goutte.
«J'ai appris que votre frère est à la maison, j'aimerai bien lui parler si c'est possible», demande un voisin à Mahrezia. «Non, il est fatigué et ne pourra parler à personne. Il a des brûlures partout. C'était à cause d'une cigarette qu'il fumait à côté d'un bidon d'essence. Lorsque le feu s'est déclenché, il a tout fait pour sauver sa fille en l'enveloppant d'une couverture», raconte la tante d'Eya, avant de balbutier des excuser et de s'éclipser. Elle voulait, visiblement, éviter d'autres questions.
La porte est restée grande ouverte : des femmes, assises sur des nattes, se consolent les unes les autres.
Une autre version des faits
L'une des voisines raconte: «J'ai été devant la porte de ma maison par hasard. Eya était traînée comme un torchon par son père qui l'insultait et la tabassait. Quelques minutes après, nous avons entendu des cris étouffés: ''Papa, Papa !'' La petite était dehors, tout en flammes. La protection civile n'a pas tardé à débarquer et l'a vite transportée au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous. Le père a été arrêté tout de suite par la police, mais, on l'a ramené à la maison vers la fin de l'après-midi. Lui aussi est partiellement brûlé et la police a préféré qu'il reste chez lui, en attendant d'entendre la version de la fille lorsqu'elle sera en mesure de parler. Pauvre gamine, elle est si aimable et ne mérite pas cela. Comment va-t-elle vivre défigurée, encore faut-il qu'elle s'en sorte».
Eya a une sœur et un frère. Leur maman travaille comme femme de ménage au foyer universitaire du quartier. Le père est gardien d'école. Selon ses voisins, il n'est pas du genre extrémiste religieux. «Mais, depuis quelques mois, il a changé et nous avons entendu qu'il a des problèmes avec sa femme. Nous ignorons les raisons, mais arriver à se défouler sur sa fille et l'asperger d'essence, c'est inadmissible», enchaine un autre voisin, qui ajoute que «la petite ne mérite pas ce châtiment et qu'elle n'a commis aucun délit pour qu'on la brûle. C'est horrible, où va la Tunisie?».
Au Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous, c'est le blackout total. Le surveillant général du bloc où Eya est hospitalisée refuse de nous donner la moindre information sur l'état de santé de la patiente. Nous lui souhaitons prompt rétablissement.
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Illustration: Photo ''Tunisien de luxe''
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