Dans la tragédie actuelle de la Tunisie, il y a une lueur d’espoir, c’est que le peuple retrouve la raison lors du prochain scrutin en mettant fin à un cauchemar qui aura trop duré et en délivrant le pays d’une solitude qu’elle n’a pas choisie.

Par Rachid Merdassi


Si Mohamed Bouazizi savait que, par son acte désespéré il allait précipiter la Tunisie dans l’inconnu et bouleverser toute l’architecture géo-stratégique régionale et internationale, il aurait peut être réfléchi par deux fois!

Des dirigeants doctrinaires, anachroniques et incompétents

Le destin ou plutôt la volonté néfaste des hommes aura voulu que la Tunisie, pionnière des révolutions arabes et initiatrice du printemps arabe, en soit aujourd’hui leur première victime au vu des défis insurmontables auxquels elle est confrontée par la grâce d’une classe dirigeante doctrinaire, anachronique et dépourvue de toute compétence, vision et sens des réalités, vertus ô combien nécessaires pour donner de l’espoir à un peuple meurtri et exsangue.

L'ambiance délétère et confuse qui caractérise l’action du gouvernement tant sur les plans économique que politique, social et culturel, ajoute au désarroi et à l’opacité d’une situation déjà volatile et qui fait craindre le pire aux Tunisiens, toutes catégories sociales et tendances confondues.

On est loin des grands principes et promesses de ce projet sociétal idyllique, porté par le document de présentation de la nouvelle Tunisie, distribué au G8.

Aujourd’hui, ce sont les images d’une précarité qui rappellent certaines périodes sombres de notre histoire, la corruption qui reprend de plus belle avec ses ravages sur une jeunesse fragilisée, marginalisée et qui ne dispose d’aucune résistance face à la tentation du roi dinar.

L’allégeance médiocre aux nouveaux maîtres

Les intrigues de palais et décisions intempestives, sur fond d’arrières pensées électoralistes, sont en train de mettre en péril des équilibres financiers déjà fragiles, faisant planer le spectre d’une inflation qui précipiterait à coup sûr le pays vers la banqueroute, voire dans une spirale aux conséquences incalculables.

Jamais je n’ai senti la Tunisie aussi malmenée, aussi brutalisée, aussi martyrisée, aussi bafouée dans son honneur, aussi drapée dans une sorte de médiocrité institutionnelle qui n’a épargné aucun aspect de la vie politique, intellectuelle et culturelle de la société et relayée par des médias complices, à court de créativité et cachant mal leur allégeance à leurs nouveaux maitres.

Cette situation intérieure alarmante ne doit pas faire perdre de vue la menace extérieure, encore plus pesante sur la stabilité et la sécurité de notre pays, dans un contexte régional en pleine effervescence et international où seules les arrières pensées économiques et intérêts géopolitiques déterminent et font ou défont les alliances.

Une dictature théologique aux conséquences incertaines

Le constat, suite à bientôt deux ans d’une «révolution» devenue l’otage d’ultra-conservateurs islamistes d’un autre temps, ne laisse plus aucun doute sur son issue fatale pour un pays pris par le doute et dont les nouveaux maitres ont réussi, en si  peu de temps, la prouesse de venir à bout du crédit relationnel et capital de sympathie engrangés par les Tunisiens au prix de décennies de lobbying.

Aujourd’hui et pour la première fois de son histoire, la Tunisie est regardée avec suspicion par ses voisins, inquiétude et incompréhension par ses amis européens qui la voient, impuissants, glisser doucement vers une dictature théologique aux conséquences incertaines.

Le paradoxe des révolutions arabes a été le fait que la vague islamiste qu’elles ont engendrée n’a en réalité pris corps totalement qu’en Tunisie (qui l’aurait cru?), pays qui était perçu à la pointe de la modernité dans un monde arabo-musulman jugé rétrograde et rétif à la démocratie.

- En Algérie, et à la grande déception de Ghannouchi et d’Ennahdha, les islamistes n’ont pas gagné aux législatives par la volonté farouchement nationaliste des Algériens qui leurs reprochent leur manipulation par le Qatar, Israël, les USA et l’Arabie Saoudite.

- En Egypte, la victoire à la Pyrrhus des islamistes est sous l’étroite surveillance de la junte militaire qui s’est octroyée un droit de veto sur toute loi, toute mesure budgétaire et sur la rédaction de la future constitution. Deuxième camouflet pour les islamistes tunisiens.

- En Libye, et alors que tout le monde, Ennahdha en tête, pronostiquait une victoire écrasante des islamistes, l’issue des élections législatives a été, à la surprise générale, un plébiscite sans appel en faveur des libéraux. Une grosse déception pour nos islamistes qui voyaient en la Libye un eldorado salvateur et comptaient sur la solidarité de leurs «frères» libyens pour régler les maux économiques de la Tunisie et les transformer en dividendes électoraux.

- Au Maroc, les islamistes, bien que vainqueurs des législatives, n’ont pu former un gouvernement de coalition qu’à l’arraché, un gouvernement constellé de ministres représentant les partis traditionnellement contrôlés par la monarchie, qui a aussitôt procédé au peaufinage d’un «shadow cabinet», véritable siège du pouvoir et fait pression pour que des postes stratégiques, comme celui de l’économie, soient confiés à des ministres non islamistes.

Nouveau foyer de l’extrémisme islamiste et des mouvances jihadistes

Les limites de la solidarité de façade entre les islamistes marocains et tunisiens a été manifeste à travers la série d’accords de consolation et en trompe-l’œil paraphés à Rabat lors de la visite officielle du président Marzouki et qui correspondent davantage à un échange d’amabilités plutôt qu’autre chose.

Sur le plan extérieur, le nouveau virage à l’Est de la politique étrangère de la Tunisie, opéré par Ennahdha, a eu pour corollaire non seulement un effondrement de notre capital sympathie acquis au fil des ans grâce à des hommes et des femmes à la stature internationale et sans aucune commune mesure avec la médiocrité affligeante qui s’est abattue sur notre diplomatie avec ce gouvernement mais également un changement de perception par l’Occident de l’enjeu même que représenterait désormais notre pays sur l’échiquier des relations internationales, à la lumière du printemps arabe.

La Tunisie, petit pays dépourvu de richesses naturelles et ne présentant pas un intérêt stratégique d’importance dans la nouvelle architecture géopolitique régionale et internationale post guerre froide, était néanmoins hautement considérée pour la grandeur de son histoire et le génie de ses hommes et à leur tête Bourguiba pour avoir été les premiers dans le monde arabe à adopter avec courage et lucidité un islam post moderne sans pour autant dénaturer l’identité arabo musulmane et qu’Ennahdha cherche par tous les moyens à effacer de la mémoire collective au profit d’un projet rétrograde et qui ne ressemble en rien à notre spécificité historique et culturelle.

Décrochage de l’Occident, rapprochement avec l’Iran et le Hamas

Pour la première fois de son histoire, la Tunisie, sous Ennahdha, est en passe de devenir une source d’inquiétude non seulement pour ses voisins immédiats mais également pour les Occidentaux, Europe en tête, qui voient d’un mauvais œil son décrochage du giron occidental, son rapprochement avec l’Iran et le Hamas et sa vocation croissante de sanctuaire et foyer de l’extrémisme islamiste et des mouvances jihadistes.

Le ballet incessant d’émissaires occidentaux constaté depuis un temps, et dont en particulier le secrétaire d’Etar à la défense américain Leon Panetta, n’est que la confirmation de ce malaise même si les raisons officielles s’efforcent de prouver le contraire.

On est bien loin des promesses émises lors du G8 quand la révolution tunisienne était à l’honneur et que les responsables du monde, Obama en tête, rivalisaient pour rendre hommage à nos héros et abonder dans l’effusion de sentiments d’affection pour ce petit peuple au génie millénaire.

La rétivité de l’Europe en matière d’aides et financements, sous prétexte de la récession économique, la régression des Ide et la vague de fermeture et relocalisation des entreprises étrangères n’en sont qu’un autre signe prémonitoire de ce qui va suivre.

Aujourd’hui, l’euphorie a cédé la place à la désillusion et la realpolitik a repris ses droits dans la nouvelle esquisse de l’architecture géostratégique régionale post printemps arabe où la Tunisie ne représentera désormais plus aucun intérêt sauf celui sécuritaire, dans l’attente de la stabilisation de la Libye et de l’Egypte qui, avec l’Algérie, constitueront les véritables enjeux d’avenir et eldorados pour les entreprises occidentales.

Et comme dans toute tragédie il y a une lueur d’espoir, prions pour que le peuple retrouve la raison lors du prochain scrutin en mettant fin à un cauchemar qui aura trop duré et en délivrant la Tunisie d’une solitude qu’elle n’a pas choisie.

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