altLe système Ben Ali semble renaitre de ses cendres depuis les élections d’octobre 2011, grâce aux cadres d’Ennahdha, qui misent sur l’autisme politique du peuple tunisien, mais ignorent sa capacité de rebond et de révolte.

Par Habib Boussaâdia*


Ben Ali est parti, ses héritiers ont surgi et notre révolution est finie: c’est ainsi que la tristesse a fini par envahir nos esprits! Lorsque j’ai vu les anciens caciques du système Ben Ali invités par le nouveau maître de la Tunisie pour le festin de la rupture du jeûne, j’ai réalisé avec beaucoup de peine que le Rcd, ex-parti au pouvoir, vient d’être ressuscité et qu’il va s’intégrer dans le moule d’Ennahdha!

Un Rassemblement constitutionnel islamique

Certes ce n’est pas le Rcd de Ben Ali tel qu’il était au moment de sa dissolution en mars 2011, mais c’est  un beau reste qui va être greffé au parti Ennahdha. Auréolé de sa victoire lors des élections d’octobre 2011, ce parti  découvre, avec l’exercice du pouvoir, que les orientations politiques du Rcd peuvent être dupliquées et appliquées, mais enveloppées dans un emballage de religiosité en plus. Ce panachage entre le parti Ennahdha et les restes du Rcd peut s’appeler «Rassemblement constitutionnel islamique» ou «Ennahdha pour la constitution et la démocratie».

En politique tout est possible depuis les alliances de partis de même tendance  jusqu’aux coalitions contre-nature; de même toutes les promesses peuvent être formulées sans caution, mais qu’un parti prône la morale religieuse comme ligne de gouvernance et puis s’égare de sa foi en adoptant une politique sans éthique, cela dépasse l’entendement!

Il faut dire que Ben Ali ne nous a pas laissé le temps pour connaitre nos islamistes et leurs rêves insensés! Tous ont été persécutés ou emprisonnés pendant deux décennies; et c’est après la révolution que les expatriés sont rentrés et les emprisonnés libérés. Les candidats d’Ennahdha ont logiquement gagné les élections d’octobre 2011 pour 2 raisons principales :

1- le peuple était amer et consterné par le système pourri imposé par les Ben Ali et Trabelsi: corruption de l’administration, opacités financières, acquisitions illégales des biens de l’Etat, etc.;

2- le peuple était persuadé que ceux qui se sont élevés contre Ben Ali se garderaient bien de tomber dans la dépravation, la perversion et la débauche des structures étatiques, comme ce fut le cas des 23 années de Ben Ali !

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Jebali au Congrès Ennahdha; la confusion parti-Etat est en marche.

Une gestion calamiteuse des affaires de l’Etat

Eh bien c’est raté, depuis leur prise de fonction, les élus d’Ennahdha et leurs alliés nous ont choqués, offusqués et rebutés par la similitude et la ressemblance de leur politique socioéconomique avec celle du Rcd. Le mince budget de l’Etat a été dilapidé entre émoluments astronomiques des élus de la constituante, un gouvernement pléthorique en ministres, conseillers et attachés et enfin un projet de loi destiné à compenser financièrement les ex-détenus d’Ennahdha sous l’ère Ben Ali! Face à la stupéfaction du peuple, l’argumentation des cadres d’Ennahdha pour justifier de telles bévues politiques est scandaleuse car la référence redondante à leur légitimité est irrecevable, eu égard leur gestion calamiteuse des affaires de l’Etat. En termes simples, et pour contrer cette légitimité, posons-nous deux questions:

1- le bien-être des Tunisiens a-t-il progressé avec la «troïka», la coalition tripartite au pouvoir? Assurément non: entre inflation non maitrisée, sécurité non garantie et relance économique qui tarde à s’amorcer, le bonheur promis par Ennahdha est une arnaque annoncée qui se concrétise avec le temps;

2- la fracture sociale, absente de nos mémoires, est-elle une réalité aujourd’hui? Oui, malheureusement pour la Tunisie : initiée et professée par Ennahdha depuis qu’elle est au pouvoir, la cassure de la société tunisienne est en train de s’étendre avec l’imposition de vocables nouveaux: niqab, barbe, hijab, athée, laïc, etc. Mieux (ou pis) encore: la terreur imposée à la population par les salafistes est devenue une plaie ouverte dans le pays tant que les ministères de l’Intérieur et de la Justice continueront de montrer de l’indulgence envers des gens qui ont décidé de partir en guerre en cassant tout ce qui déplait à leurs convictions : ces «barbus» au-dessus de la loi sont en fait une tête de pont d’un plan sournois visant à transformer au forceps le mode de vie des Tunisiens ! Alors n’avons-nous pas le droit de d’interpeler Ennahdha et ses alliés  pour leur signifier que leur gouvernance du pays est plutôt calamiteuse!

Une «légitimité» au mépris des lois de la république

Sinon comment peut-on permettre que les «salafistes» décrètent la légalité de leurs agressions au mépris de nos lois républicaines?

Comment expliquer les rémunérations mirobolantes des élus de la Constituante, rémunérations prodiguées dans l’opacité totale. Une vice-présidente qui dément, conteste puis finit par reconnaitre son gros salaire en euros! C’est indécent, et la Tunisie n’a ni le gaz du Qatar, ni le pétrole du Koweït pour se permettre des appointements colossaux!

Comment justifier la pléthore de ministres, secrétaires d’Etat et conseillers pour un petit pays, pauvre de surcroit? Faut-il rappeler que les membres du gouvernement français ont décidé de réduire leurs salaires de 30%, et que les nôtres roulent en voitures luxueuses!

Comment expliquer la démission du ministre des Finances qui a préféré jeter l’éponge, de guerre lasse devant le projet de compensation financière rétroactive, qui va amputer le plan de redressement économique!

Comment traduire le cri de détresse d’un président de la république, happé lui et son parti le CpR par l’ogre Ennahdha!

Comment justifier l’octroi d’un passeport diplomatique au leader du parti au pouvoir: ça ressemble à s’y méprendre à une histoire de famille !

Comment interpréter la nouvelle alliance des cadres corrompus du Rcd avec Ennahdha, alors qu’en même temps, on accuse systématiquement les anciens du Rcd d’être derrière tout mouvement de protestation sociale !

Comment  tolérer et accepter ces accusations gratuites lancés par la «troïka» aux opposants, qualifiés d’adversaires de l’islam: est-ce qu’on perd notre identité musulmane dès qu’on proteste contre le gouvernement? N’est-on pas en train de diviser, de déchirer et de fragmenter la société tunisienne.

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La terreur imposée à la population par les salafistes.

D’ailleurs, désormais, nous ne sommes plus simplement des musulmans; il faut spécifier à quelle secte ou schisme on appartient exactement et la liste de ces sectes et schismes s’allonge avec le temps et la pseudo-spiritualité de ces démagogues: sunnite, chiite, salafiste djihadiste ou prédicateur, tahririste, habachi ou que sait-on encore?

Finalement les tensions entre Tunisiens et leurs tendances ethniques ou religieuses, absentes depuis l’indépendance, s’accroitront irréversiblement et l’«irakisation» de la Tunisie ne sera plus un vain mot !

Comment oser proposer cette formule magique: la femme est complémentaire de l’homme dans la famille! Et si elle est célibataire ou divorcée, son  statut devient nul et non avenu? Pour ces gens-là, l’islam c’est «le niqab pour la femme et la barbe pour l’homme»; et mieux encore l’agression ou la destruction de tout ce qui n’est pas en orthodoxie avec leurs croyances!

Malheureusement pour eux, le triomphe de l’islam ne passe pas par cette voie mais en privilégiant les valeurs symboles de notre islam: clémence, pardon , bonté, générosité, hygiène, propreté, respect d’autrui au sein de la société (inculquer aux gens que la morale de l’islam stipule de penser aux autres comme garer sa voiture sans nuire à la circulation, ne pas jeter les déchets par terre dans un lieu public, ne pas insulter les autres au nom de l’islam simplement par ce qu’on a une aversion personnelle envers eux…).

N’avez-vous pas remarqué qu’aucun cadre d’Ennahdha n’a essayé de transmettre dans son discours un message noble de l’islam, et dieu sait combien ils occupent l’espace audiovisuel auquel ils ont imposé déjà leur vision très rétrécie de l’indépendance des médias?

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L’islam est devenu «le niqab pour la femme et la barbe pour l’homme».

Un discours stéréotypé, redondant et haineux

N’avez-vous pas remarqué qu’ils combinent arrogance et mensonge avec un discours stéréotypé: «Nous avons combattu Ben Ali pendant 20 ans!» A partir de votre résidence dorée à l’étranger peut être? «Vous étiez quelqu’un de bien M. Chebbi Néjib, lorsque vous nous défendiez comme activistes d’Ennahdha dans les années 90», mais maintenant vous êtes déloyal parce que vous êtes dans l’opposition (suprême ingratitude)! «Si on ne réalise pas notre objectif, c’est à cause des adversaires de l’islam qui manifestent contre le gouvernement»! «Nous sommes là pour longtemps»! Ah bon, et alors comment Ben Ali a-t-il fini par abdiquer? Simplement par ce qu’aucun pouvoir n’est éternel: Dieu, qui l’a fait roi, l’a délogé de son trône et est à même de le faire avec vous messieurs les nouveaux maîtres de la Tunisie!

En résumé, le système Ben Ali semble renaitre de ses cendres depuis les élections d’octobre 2011, grâce aux cadres d’Ennahdha, qui misent sur l’autisme politique du peuple tunisien, mais ignorent sa capacité de rebond et de révolte!  Pire encore, ils ne semblent pas embarrassés par les scandales politico-financiers qui émaillent leur règne, alors que le discours haineux de certains extrémistes  semble être leur seule réponse aux attentes d’une jeunesse désespérée. Alors, il y a 3 voies pour sortir de ce guêpier: prier dieu pour qu’ils partent sans trop de dégâts, former une coalition politique aux prochaines législatures pour ne pas disperser les voix et, enfin, et surtout, nos journalistes ne doivent pas trop tendre le micro aux fanatiques d’Ennahdha – comme ils le faisaient avec Ben Ali et ses sbires – car on a ras-le-bol de ces excités qui sèment les graines d’une guerre civile!

* Médecin de pratique libre, musulman pratiquant, ayant accompli son pèlerinage.