Dans cette seconde partie, l'auteur souligne la nécessaire recherche de l'équilibre des pouvoirs et mise en place de vraies institutions dans la Tunisie post révolution.
Par Ahmed Ben Mustapha*
Depuis les élections de la constituante, la Tunisie a entamé une nouvelle phase transitoire caractérisée par l'existence d'un pouvoir légitime élu issu des urnes; toutefois les résultats des élections n'ont pas permis l'émergence d'un nouveau système de gouvernement basé sur l'équilibre des pouvoirs mais d'une nouvelle force politique dominante d'inspiration réligieuse. Ceci s'est traduit dans la miniconstitution qui n'a fait qu'entériner un nouveau rapport des forces politiques au bénéfice du parti largement vainqueur, Ennahdha, favorable à la mise en place d'un régime parlementaire.
Conflit de compétences entre le président et le chef du gouvernement
Ce choix a suscité un débat polémique entre l'opposition et au sein même des partis de la «troïka» qui assument depuis une année l'exercice du pouvoir. Les principales forces de l'opposition ont milité pour une organisation des pouvoirs durant la nouvelle période transitoire basée sur une répartition plus équilibrée des pouvoirs entre la présidence du gouvernement et l'institution présidentielle dont les attributions ont été sensiblement réduites en faveur du pouvoir exécutif confié essentiellement au chef du gouvernement.
A l'épreuve des fait le système provisoire de gouvernement mis en place après les élections du 23 octobre fortement inspiré du régime parlementaire se caractérise par un déséquilibre des pouvoirs en faveur du chef du gouvernement issu lui-même d'un parti dominant lequel assume l'essentiel du pouvoir en occupant tous les ministères de souveraineté. En outre, les prérogatives du président de la république ont été sciemment limitées ouvrant la voie à une polémique stérile et à un conflit de compétences entre la présidence du gouvernement et la présidence de la république qui en définitive a été nuisible à la bonne marche des rouages de l'Etat .
Le principal enseignement à tirer de cette expérience est l'impérative nécessité pour la Tunisie d'instaurer avec la nouvelle constitution un système de gouvernement doté d'institutions solides, d'une justice indépendante et basé sur l'équilibre entre les pouvoirs présidentiel exécutif et parlementaire avec pour finalité l'édification d'une vraie démocratie respectueuse des libertés, fondée sur les valeurs de la république et l'alternance au pouvoir.
Des pouvoirs équilibrées et des institutions légitimes
En effet, l'ampleur des défis et des problèmes auxquels est confronté le pays nécessitent un pouvoir stable et des institutions pourvues de la légitimité constitutionnelle seule susceptible d'assurer la mise en œuvre des objectifs de la révolution.
A la lumière des deux périodes transitoires vécues par la Tunisie après la révolution, il est possible de faire quelques observations et de tirer certains enseignement de cette expérience unique dans l'histoire de notre pays et du monde arabe.
Force est de constater que la Tunisie ne peut plus se permettre d'éterniser davantage un mode de gouvernement transitoire caractérisé par le déséquilibre entre des institutions «provisoires» et notamment un gouvernement dominé par un parti majoritaire détenant l'essentiel des pouvoirs et une institution présidentielle affaiblie et fragilisée en raison des excès et des dérives commis sous la dictature.
L'intérêt de la Tunisie réside incontestablement dans l'élaboration rapide de la constitution et la réhabilitation de l'institution présidentielle en la dotant des prérogatives et de pouvoirs susceptibles de hisser le président au rang de symbole de l'Etat, et de garant de la constitution, des libertés, des droits fondamentaux et des valeurs de la république.
Dans son interview télévisée du 19 octobre, le président Moncef Marzouki développe une vision de l'institution présidentielle tirée de sa propre expérience de chef d'Etat estimant que le système semi-présidentiel de gouvernement proposé par la «troïka» rétablit la fonction présidentielle dans ses droits en lui octroyant le rôle de contre-pouvoir efficace tel celui de dissoudre le parlement mais elle limite également de facon stricte les pouvoirs présidentiels et la durée de son mandat tout en prévoyant la possibilité de lui demander des comptes en cas d'abus éventuels et même de le démettre de ses fonctions par la justice.
M. Marzouki a aussi évoqué la prise de conscience des membres de la «troïka» de la nécessité de parvenir au rétablissement de la confiance afin d'aboutir au consensus et d'accélérer la mise en place d'institutions judiciaires et d'un pouvoir législatif démocratiquement élu ayant un pouvoir régulateur et de contrôle sur le pouvoir exécutif et le pouvoir présidentiel.
Un paysage politique totalement métamorphosé
Toutefois, il importe de constater que la mise en place des institutions de la république et d'un système de gouvernement basé sur l'équilibre des pouvoirs n'est pas susceptible de garantir à elle seule l'édification d'une démocratie institutionnelle en Tunisie, garantissant l'efficacité de l'action gouvernementale, l'alternance au pouvoir dans un cadre de paix et de stabilité conditions nécessaires au développement économique et social.
En effet, il convient de tenir compte du fait que le pouvoir qui sera mis en place en Tunisie, à l'issue de l'élaboration de la nouvelle constitution et l'organisation des élections, aura à faire face à de nouveaux défis et contre-pouvoirs générant une nouvelle réalité post-révolutionnaire caractérisée par l'existence de nombreux lobbies politiques et économiques, sans compter les groupes de pression et hommes d'affaires influents.
De même, le nouveau pouvoir qui sera issu des prochaines élections sera confronté durant les prochaines années à un paysage politique totalement métamorphosé marqué notamment par l'existence d'une société civile forte et influente, d'une presse libre, de forces syndicales influentes et d'une opposition critique déterminées à défendre et à préserver les grands choix de la Tunisie notamment dans les domaines des libertés, des acquis de la femme et de la modernité, ainsi que la préservation du modèle de société qui caractérise la Tunisie depuis son indépendance.
En effet, les courants modernistes redoutent la remise en cause de ces acquis par les courants conservateurs religieux et notamment la frange salafiste qui n'hésite pas à recourir à la violence.
En somme, la transition démocratique dans des délais raisonnables est non seulement tributaire de la mise en place d'institutions basées sur la légitimité constitutionnelle et l'équilibre constructif au sommet de l'Etat mais elle requiert également un dialogue entre les différentes composantes politiques afin de parvenir à un consensus et un pacte national sur les choix fondamentaux de la seconde république.
*Ancien ambassadeur.
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