Les promoteurs touristiques se doivent de respecter le milieu dans lequel ils s'installent. C'est-à-dire tenir compte des populations, de leurs modes de vie et des répercussions des projets sur leur territoire.
Par Dr Salem Sahli*
On a souvent évoqué les méfaits du tourisme de masse et particulièrement ses impacts socioculturels et environnementaux. Ces impacts sont aujourd'hui trop visibles pour être ignorés. Ils dérangent désormais beaucoup de monde, y compris les promoteurs du tourisme eux-mêmes. Nous proposons ici quelques solutions susceptibles d'apporter les corrections requises afin d'engager notre pays dans la voie du tourisme durable.
Toujours au stade des bonnes intentions
Avec l'avènement du concept de «développement durable» sur la scène internationale, les grands voyagistes ont mené des campagnes fort coûteuses de récupération de la «touche éthique» du nouveau concept pour ensuite lui donner un contenu cosmétique. Ce fut le cas pour de nombreuses destinations touristiques dont la Tunisie.
En effet, en matière de tourisme durable dans notre pays, nous sommes forcés de constater qu'on en reste encore au stade des intentions sans aborder la mise au point d'une véritable politique planifiée intégrant l'environnement comme l'une des grandes priorités d'un tourisme durable. Et au-delà des effets d'annonce, il faut bien reconnaître la lenteur, pour ne pas dire l'inaction de la majorité des responsables du secteur à s'engager dans des plans d'action touristiques plus écologiques.
Village berbère à Medenine.
Pourtant, depuis des années, de nombreux spécialistes ne cachent plus leurs inquiétudes quant à l'avenir de notre tourisme. Depuis des années, les autorités multiplient les initiatives afin d'encourager et de soutenir l'adoption d'une démarche qualité dans ce secteur. Mais en vain.
Il est quand même étonnant de constater que presque tous les responsables en charge du tourisme ne semblent envisager l'avenir que sous la forme d'une croissance sans limites. Or, nous savons que la plupart des zones touristiques sont déjà saturées ou proches du seuil de saturation, du moins sur une large partie du littoral. De nombreuses associations, réseaux internationaux et mouvements locaux partagent cette conclusion et en font la raison de leur mobilisation pour la promotion d'un tourisme respectueux des gens et de l'environnement.
Faire du tourisme autrement
Tourisme durable, équitable, solidaire, responsable, éthique... les appellations pullulent mais toutes renvoient à un concept de tourisme alternatif (porté vers d'autres solutions possibles) qui s'oppose au concept de tourisme industriel, un concept qui renoue avec le sens des limites.
Chambre berbère, Dar Zaghouan.
Oui, nous pouvons faire du tourisme autrement. Pour cela, il nous faut repenser la programmation touristique nationale et l'inscrire dans une démarche de développement durable visant à concilier nécessités économiques et contraintes environnementales.
Nous livrons ci-dessous, à titre d'exemples, un ensemble de mesures concrètes qui peuvent être entreprises dans ce sens :
1) envisager dès à présent la stabilisation de la fréquentation touristique en tenant compte des capacités de charge propres à chacune des régions touristiques à l'aide d'indicateurs environnementaux;
2) procéder à la récupération de sites paysagers au besoin par la destruction de structures touristiques anciennes ou inadaptées à la durabilité de l'écosystème;
3) démolir les «verrues immobilières» qui ont surgi ici et là comme l'un des effets les plus spectaculaires de la reconquête paysagère et environnementale du littoral;
4) réhabiliter les centres historiques des villes touristiques (les médinas) afin d'éviter que ces ensembles ne deviennent des lieux indifférenciés dépourvus de leur mémoire et de leur puissance symbolique, bref des non-lieux;
5) faire évoluer les centre villes vers plus de qualité en aménageant des voies piétonnières propices à la convivialité entre les touristes et les habitant;
6) promouvoir un tourisme « doux» plus proche de l'environnement, un tourisme à visage humain, plus curieux et respectueux des traditions locales et pour lequel seraient privilégiés des établissements hôteliers intégrés au milieu naturel et non des forteresses fussent-elles cinq étoiles;
Des sites naturelles non encore découverts.
7) veiller à l'implication des habitants et des partenaires concernés dans la définition d'un programme d'action pour redonner une meilleure qualité au territoire sur lequel ils vivent et qu'ils connaissent mieux que quiconque;
8) encourager et soutenir les communes littorales qui se sont engagées dans une démarche «Agenda 21 local»;
9) et veiller à ce que les espaces de démocratie participative qui y ont été créés demeurent vivaces afin de maintenir une forte implication des citoyens et des acteurs locaux.
Vers une ingénierie touristique de l'environnement
On ne peut certes pas nier les quelques progrès accomplis en terme de qualité dans les établissements hôteliers, par exemple au niveau de la gestion de l'eau et des déchets, de la propreté, de l'économie d'énergie... Mais toutes ces mesures restent encore ponctuelles et trop dispersées.
Quant aux écolabels, comme le pavillon bleu ou les éco-certifications, ils renvoient plutôt à des normes techniques de gestion hôtelière, alors qu'incontestablement, l'objectif escompté est l'élaboration d'indicateurs fiables et de modèles qui serviraient de «boites à outils» et permettraient de créer une véritable ingénierie touristique de l'environnement.
Ainsi, il apparaît clairement que faire du tourisme autrement n'est pas une entreprise aisée. Elle exige en effet de dépasser les actions ponctuelles pour s'engager dans une politique vraiment planifiée. Et la première des difficultés est d'accepter de remettre en cause nos certitudes et de passer par-dessus l'efficacité apparente des choix en cours.
Une fois ce problème résolu, les promoteurs touristiques se doivent impérativement de respecter le milieu dans lequel ils s'installent. C'est-à-dire tenir compte des populations, de leurs modes de vie et des répercussions des projets sur leur territoire. Et à ce propos, Claude Villeneuve** a récemment écrit: «la ligne droite n'est pas toujours le meilleur chemin entre deux points lorsque l'on se soucie des impacts à long terme d'un projet. C'est qu'il faut, en effet, aussi se mettre à l'écoute des populations directement concernées. On s'évitera ainsi des problèmes. On se fera même parfois souffler des solutions si l'on prend le temps de consulter ceux qui auront à vivre avec les conséquences de nos décisions et qui, à défaut d'avoir le titre d'experts, ont une connaissance intime des gens et des lieux où l'on s'apprête à intervenir.»
Une nature intacte qui ne demande qu'à être admirée et respectée.
Suis-je utopiste? Certainement, et je revendique même le droit de rêver. «L'utopie d'aujourd'hui est la réalité de demain», disait Victor Hugo.
* Association d'Education Relative à l'Environnement (Aere), Hammamet.
** Biologiste québécois, spécialiste des questions environnementales.