La ministre des Affaires de la femme et de la famille fait inaugurer au président de la république provisoire un vrai faux centre pour femmes battues... en faisant fermer un centre pour enfants déshérités!
Par Moufida Ben Amor*
Le président de la république provisoire a inauguré, le 10 décembre, avec Sihem Badi, ministre des Affaires de la femme et de la famille, le Centre d'assistance pour les femmes victimes de violence.
A cette occasion, il a levé le voile sur une plaque signalétique en marbre pour immortaliser l'événement et il s'est affiché encore une fois comme le défenseur des droits de l'Homme et de la femme, en particulier. Il a, d'ailleurs, affirmé qu'il considère, à juste titre, que les violences contre les femmes sont un crime contre l'humanité. Mais connait-il les dessous de l'événement et les innombrables zones d'ombres qui entachent cette inauguration, car le chemin vers l'enfer est souvent pavé des bonnes intentions.
Moncef Marzouki inaugure le Centre des femmes battues à Sidi Thabet.
Une compétition fratricide
Créer un centre pilote pour femmes violentés était un objectif majeur de la ministre de la Femme, et ce depuis mai 2012. Il s'en est suivi l'annonce de plusieurs dates d'inauguration, avec des reports successifs, avant de coïncider avec la journée symbolique du 10 décembre, Journée internationale des droits de l'homme, qui marque aussi la clôture de la campagne – assez discrète pour ne pas dire invisible – de sensibilisation lancée par ledit ministère au profit des femmes victimes de violence.
Marzouki discute avec les cadres du Centre des femmes battues à Sidi Thabet.
En parallèle, le ministère de la Santé publique, à travers l'Office nationale de la famille et de la population (Onfp) a œuvré, séparément et en silence, pour la création, avec l'appui de la coopération espagnole, d'un centre pilote pour l'assistance psychologique aux femmes violentées et Abdellatif Mekki, ministre de la Santé publique, va même voler la vedette a Mme Badi en inaugurant le Centre pilote de Ben Arous, le 26 novembre, en l'absence – inattendue – de celle-ci, pourtant sensée être le chef de file de ladite campagne.
Un centre qui en cache un autre
Le choix de l'emplacement du centre créé par le ministère de la Femme, à Sidi Thabet, au nord de Tunis, est plus que malheureux car difficile d'accès pour éloignement des grands centres urbains et, surtout, du grand Tunis. Sa portée et son rayonnement ne peuvent qu'en être réduits.
Ce n'est pas le cas pour l'emplacement du centre créé par l'Onfp, ouvert à Ben Arous, une banlieue populaire au sud de Tunis, un lieu judicieux s'il en est.
Marzouki se laisse berner par la ministre de la Femme.
Un autre point en faveur de l'Onfp mérite d'être signalé: la qualité du personnel affecté au projet, à commencer par la directrice, un médecin de carrière spécialiste de la santé mentale, assistée par une pléiade de personnels hautement qualifiés.
Quant au personnel affecté à Sidi Thabet, il provient du personnel – essentiellement composé d'éducateurs d'enfants – appartenant au Centre pour enfants définitivement fermé à l'occasion!
Ce qui va suivre va sans doute surprendre davantage.
En inaugurant le Centre pour femme battue, la ministre a pris la décision de fermer en même temps – substitution – le Centre intégré de l'enfance créé depuis plus de huit ans par loi et qui disposait des ressources humaines et financières nécessaires pour répondre aux besoins de dizaines d'enfants (déshérités et menacés) en matière d'hébergement, d'animation, de scolarisation et de prise en charge psychologique et socio-éducatif. Conséquence: des dizaines d'enfants ont dus être renvoyés chez eux moyennant des incitations matérielles et des promesses diverses.
Sihem Badi fière des équipements du Centre des femmes battues de Sidi Thabet.
Problème de gouvernance et de savoir faire
Si sur le plan légal, le Centre pour femme battues de Sidi Thabet n'existe toujours pas, car aucun texte juridique portant sur sa création n'a été publié. Par ailleurs, le centre n'a ni l'expérience ni le savoir-faire pour assister efficacement les femmes violentées. Ainsi le ministère va-t-il priver de son assistance les enfants dont il avait la charge, sans être à même de bien servir sa nouvelle clientèle : les femmes battues.
En voulant marquer des points, Mme Badi risque d'asséner un coup de poing aussi bien aux femmes qu'aux enfants. Ces craintes sont d'autant plus fondées qu'une bonne partie du personnel de son ministère s'est opposée à la fermeture du centre pour enfant, et que le nouveau centre pour femmes n'a toujours pas réellement démarré.
On se demande alors si Mme Badi n'a pas privilégié l'effet d'annonce à l'impératif d'efficacité et de bonne gouvernance.
Pour M. Marzouki, sans doute une nouvelle visite au Centre de Sidi Thabet s'impose! Et sans doute le travail en réseau, main dans la main: ministère à vocation sociale, société civile (Atfd, Afturd...) et coopération internationale permettrait-il de sauver la (très mauvaise) mise de Mme Badi.
* - Sage femme.