Pour laisser la place aux plus jeunes leaders, une loi doit limiter l'âge de candidature aux élections municipales, législatives et présidentielles à 70 ans maximum.
Par Mahmoud Ayadi
Faut-il fixer un âge limite aux candidats? La réponse est OUI. Sans donner une leçon sur les fondements du droit, il importe de savoir qu'un droit n'est pas absolu. Je rappelle que la Déclaration de la Révolution française de 1789, pour ne citer que celle-ci, précise dans son article 4 : «La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui: ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi». Ce qui constitue une autre formulation de l'adage disant que la liberté de chacun s'arrête où finit celle des autres.
Le problème du leadership
Les fondements juridiques de la liberté sous Ben Ali fondés sur la théorie de l'abus de droit et sur ses illustrations pratiques: «Tout citoyen tunisien étant présumé coupable jusqu'à ce qu'il ait été déclaré innocent». Cette ancienne devise répressive doit être nécessairement inversée pour devenir: «Tout citoyen tunisien étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable», s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.
La présomption du doute a été toujours la règle pour terroriser les citoyens tunisiens. Dans ce cas, il ne faut pas espérer que la machine économique va repartir tant et aussi longtemps que les hommes de Ben Ali continueront à diriger les institutions de l'État. La transition démocratique sera très difficile, voire impossible si l'actuel gouvernement ne s'engage pas à éradiquer les délinquants corrompus de l'ancien régime de la première république bananière.
Les inconditionnels dévoués des deux anciens régimes de la première république qui, de père en fils, détenaient tous les ficelles du pouvoir pendant plus de cinquante ans se trouvent du jour au lendemain exclus de la vie politique du pays, ils ne vont pas accepter facilement le fait accompli. Celui qui est corrompu et habitué à exproprier les biens des autres et à donner des ordres ne pourra jamais vivre normalement comme un citoyen ordinaire. Il faut dire aussi qu'il n'est pas facile de combler le vide politique en seulement une année ou deux.
Aussi, le problème du leadership dans notre pays et dans tous les pays arabes tient également au manque de contributions critiques à l'intérieur de la communauté intellectuelle et scientifique et surtout à l'apathie du plus grand nombre d'individus basée sur l'admiration de tel ou tel leader politique.
Il faut donc le bâton et la carotte pour gérer un pays comme le nôtre. C'est dans nos gènes, on ne respecte que les gens médiocres qui savent garder le silence et frapper sournoisement d'une main de fer. Les gens honnêtes et modérés qui savent partager leurs opinions avec leurs concitoyens sont sujets à la moquerie et aux vives critiques.
Le médiocre sergent Ben Ali est un exemple de la brutalité et de la répression préventive durant 23 longues années où les citoyens tunisiens envahis par le doute et la méfiance s'ignorent eux-mêmes et s'ignorent entre eux. C'est très amer et j'ai honte de le dire, mais c'était ça notre quotidien dans notre pays!
Un changement de mentalité
Pour oublier ces années sombres, il faut que tous les citoyens tunisiens changent de mentalité en apprenant à vivre dans leurs propres familles d'abord puis avec les voisins et le monde extérieur. La bonne éducation de la Seconde République doit commencer dans la maternelle.
Sincèrement, en rentrant définitivement au pays, après plus de trois décennies passé à l'étranger, je me suis aperçu que les familles de Ben Ali et sa femme ont corrompu nos mœurs, ruiné l'autorité des parents, provoqué une congestion générale, écrasé les intellectuels et les religieux, méprisé tous les citoyens tunisiens et enfin, pour tout dire : elles ont tout gâché.
Partout c'est la minorité politique qui a délibérément confisqué la liberté de la majorité des citoyens qui sont devenus des sujets esclaves et non des individus libres. Le Tunisien était toujours obligé d'accepter les contraintes du pouvoir pour survivre.
Les experts de la psychologie de l'influence l'affirment : on peut influencer quelqu'un au point de l'amener à modifier en toute liberté, sans avoir à exercer sur lui de pressions, ni même sans avoir à le convaincre.
Ce problème de psychologie sociale et plus précisément de la psychologie de l'influence a été mis en évidence par plusieurs auteurs dont J. L. Beauvois et R. V. Joule qu'ils ont nommé la «soumission librement consentie». Ils se sont intéressés aux problèmes de manipulations et d'influences auxquelles nous étions quotidiennement confrontés.
Enfin, je peux dire, et c'est à vous de juger l'enchaînement des événements, que le plus grand mal serait que les auteurs de l'injustice ne payent pas leurs fautes. Or, le fruit le plus agréable et le plus utile au monde est la reconnaissance. Mais dans notre pays cette reconnaissance n'a pas atteint encore sa maturité.
Le dinosaure octogénaire Béji Caïd Essebsi s'est toujours référé à son ancien «combattant suprême» et aux anciens martyrs de la colonisation française. Pour cet ancien compagnon de Bourguiba, les enfants de la Révolution Citoyenne du 14 janvier 2011 ayant sacrifié leur vie sont des personnes ordinaires, victimes de tirs de balles d'une police en état de légitime défense. D'ailleurs, ils vont les étudier, cas-par-cas, pour indemniser leurs parents comme de vulgaires mercenaires. Ce n'est pas une priorité pour l'ancien gouvernement. Cette indifférence qui fait mal au cœur et nous tue à petit feu.
Il ne faut pas, non plus, en vouloir aux citoyens de la Tunisie profonde qui ont manifesté dans toutes nos villes et villages et qui étaient venus dans la capitale pour dénoncer la manière dont nos dirigeants politiques se sont comportés à l'égard des prisonniers grévistes.
Réconciliation impossible et transition menacée
Ces derniers savent que l'identité de chacun d'entre nous dépend de l'enchaînement des reconnaissances et de sa stabilité dans le temps. D'ailleurs plusieurs mères dont les fils et les filles ont été tués par les services spéciaux de Ben Ali ne demandent ni argent ni compensation ni être décorées; elles demandent tout simplement de prendre leur revanche en voyant les assassins de leurs enfants devant la cour de justice. Mais tant que le silence de notre institution judiciaire n'a pas été rompu dans notre pays la réconciliation est impossible et la transition démocratique sera toujours menacée.
Les parents des martyrs, des blessés et des prisonniers politiques ont contenu leur colère trop longtemps et je ne souhaite pas que cette colère finisse par exploser. Le laxisme de notre justice est injustifiable pour juger les assassins et ceux qui sont en garde-à-vue. Cette lenteur des procédures est injustifiable car elle fait souffrir nos compatriotes. N'est-il pas le moment d'avoir la volonté politique pour clore les dossiers des martyrs, des blessés et des militants en garde-à-vue à Mornaguia.
Ceux qui ne voient pas d'intérêt à «éplucher les vieux dossiers» et appellent à «se concentrer sur la résolution des problèmes politiques et sociaux» ont vraiment tort. Car on ne peut pas parler de la transition démocratique saine sans punir les abus politiques et économiques du passé. Parler pour parler c'est de la pure démagogie qui ne rend pas service au pays.
Par conséquent, le mot d'ordre de la Révolution Citoyenne de la dignité restera toujours: indignez-vous contre l'arbitraire, la violence et la misère et n'ayez pas peur! Il n'existe pas d'autres voies vers la liberté que la recherche et le respect de la dignité humaine. «Deviens qui tu es» disait le philosophe allemand Friedrich Nietzsche... est à la source de la recherche de l'épanouissement de soi, et apparaît comme une exigence fondatrice. C'est à cette humanité là que nous aspirons tous. Et c'est au cœur de cette affirmation que jaillit le concept de la dignité, car vivre bien, c'est la meilleure des vengeances. Je ne peux pas mieux dire. Il suffit de se reporter à ce qui est connu sous le nom de la règle d'or : «Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu'ils te fassent».
(A suivre).