Séquence ultime de l'instabilité actuelle en Tunisie: le verrouillage de la vie politique au nom de la stabilité et de la lutte contre la violence, que le pouvoir islamiste d'Ennahdha a laissé enfler tant qu'elle le servait.
Par Ali Guidara*
La voie choisie par les courants fanatiques semble suivre toujours la même procédure séquentielle, et ce qui se passe actuellement en Tunisie ne semble malheureusement pas faire exception.
Les événements qui s'enchaînent depuis les élections semblent confirmer de jour en jour ce que plusieurs craignaient et dénonçaient depuis déjà un certain temps.
Séquence 1: prolongation de l'illégitimité
La confiscation larvée du pouvoir par la «Troïka», qui a prolongé son illégitimité dans une absence de réaction quasi générale, constitue une première séquence dans la mise en place de la dictature théocratique. Les contours du complot contre l'État et la population ont alors commencé à se dessiner.
Sa popularité étant en chute libre depuis les premiers mois au pouvoir, à cause notamment de son incapacité à diriger un pays, de surcroît en crise aigüe, le parti islamiste Ennahdha, à la tête de la «Troïka», a décidé de passer à la vitesse supérieure, recourant à ses dernières cartes qui lui permettent de durer en usant de méthodes sans scrupules, dans un jeu très dangereux mais dont seul le peuple paiera le prix de toutes les manières.
Séquence 2 : recrudescence de la violence
La deuxième séquence se caractérise par l'essor de la violence extrême, une violence vraiment meurtrière cette fois, qui provoque des chocs et des dégâts énormes, semant la peur à l'intérieur du pays et la méfiance à l'extérieur.
Les événements récents, tels l'assassinat d'une personnalité politique de l'opposition (Chokri Belaïd, Ndlr), l'exécution barbare d'un agent de l'ordre (Mohamed Sboui, Ndlr), les violences terroristes dans certains endroits du pays et les caches d'armes et de munitions des groupes terroristes dans les montagnes, avec en prime des attaques contre les forces de l'ordre et l'armée, la quasi guérilla urbaine dans certaines localités, tracent la voie vers la dictature et préludent la séquence quasi finale dans le projet diabolique d'instauration de la théocratie totalitaire.
Il faut rappeler que, malgré les mises en garde de plusieurs contre l'implantation de groupes extrémistes en Tunisie et contre l'apologie de la haine et de la violence dans le lieux de culte même, le gouvernement a laissé faire et les membres de la «Troïka» ont continué à affirmer que c'était l'épouvantail de l'islamisme violent que les forces contre-révolutionnaires brandissaient sans raison. Certains ont même osé affirmer, il y a quelque temps, que les groupuscules réfugiés dans les montagnes effectuaient des activités sportives... Il s'agit bien sûr d'une volonté de laisser pourrir la situation dans le pays afin de permettre aux autorités en place de sévir, et d'imposer leur pouvoir.
Séquence 3 : verrouillage du système mis en place
Et la suite est connue d'avance. Le pouvoir commence par sévir contre les groupuscules qu'il a auparavant instrumentalisés et finira sans doute par verrouiller tout le système grâce aux pions qu'il a placés dans les rouages de l'Etat, et tout en laissant les groupuscules attaquer encore plus les symboles de l'Etat, interdire par la suite rassemblements et manifestations au nom de l'ordre public, sans même rencontrer d'opposition de la part d'une population essoufflée, apeurée et épuisée, qui ne demande que le retour de la paix et de la sécurité afin de vaquer à ses occupations primaires.
Ce sera la dernière séquence dans le processus de mise en coupe réglée du pays et de l'instauration d'une nouvelle dictature. Un air de déjà-vu...
Un ministre de la «Troïka», le même qui a innocenté bien rapidement les salafistes des violences terroristes, comme s'il était au courant de qui est en train de commettre ces actes terroristes, a déclaré dernièrement que le pouvoir imposerait bientôt un contrôle policier dans les mosquées. Une décision bien tardive, qui intervient après que le pouvoir a laissé les mosquées devenir des repaires d'extrémistes et de fanatiques de tous bords et des lieux de trafic d'armes.
Il y a fort à parier que certains activistes naïfs feront bientôt les frais de ce contrôle et seront sans doute jetés en prison pour l'exemple, comme une séquence ultime de verrouillage de la vie politique et des libertés au nom de la stabilité et de la lutte contre le terrorisme et la violence, une violence que le pouvoir a laissé enfler tant qu'elle le servait, surtout en soutenant ses propres ligues autoproclamées de défense de la révolution, honorées au palais de Carthage.
Échec et mat
Pour boucler la boucle et après avoir sévi contre les pseudo-salafistes, on verra sans doute le pouvoir se retourner enfin contre l'opposition et les formations politiques qu'il prendra soin d'accuser de troubles à l'ordre public, de menaces contre le pays, de délits divers et malversations inventées ou carrément de collaboration avec des puissances étrangères, et pousser à l'exil ou mettre sous les verrous les représentants de ces formations, voire même en liquider quelques-uns pour faire taire les autres. Ce, en prétextant que dans de pareilles circonstances, il est bien entendu impossible d'organiser des élections libres.
Cela finira éventuellement, et après plusieurs années, une fois que le rodage sera terminé et la situation bien maîtrisée, par l'organisation d'élections truquées à l'avance afin de perpétuer un pouvoir dictatorial semblable sinon pire que celui qui vient de tomber. Et encore une fois, ce seront les mêmes qui feront échouer toute tentative de démocratisation.
Pourvu qu'on se trompe !
* Conseiller scientifique, chercheur en relations internationales.