Un couple vivant en union libre, ou en «concubinage», risque d'être condamné par la société autant que par la loi, alors que chez les salafistes, le «jihad nikah» (mariage de jihad), une forme de prostitution sacrée, est valorisé d'un point de vue religieux.
Par Jamila Ben Mustapha*
Avec l'émergence de sociétés gouvernées par les islamistes, on assiste à l'apparition d'une nouvelle terminologie pour la désignation de réalités anciennes et connues. C'est une occasion supplémentaire, pour nous, de constater que tout est dans la façon de nommer les choses et que c'est l'appellation différente d'un même fait qui a le pouvoir de le rendre répréhensible ou acceptable.
Si on aborde le domaine si délicat des mœurs et de la sexualité, on a l'impression qu'à peu près, la plupart des actes possibles, dans une société permissive, le sont, aussi, dans une société conservatrice, à condition que ses théologiens leur donnent une interprétation en accord avec les paradigmes et le système de référence religieux des êtres qui y vivent.
Prenons, tout d'abord, un exemple tiré de notre société traditionnelle et qui «poussait», en toute légalité, une épouse vers un autre homme: l'institution du «tayyes» qu'on choisissait, généralement, inapte à consommer le mariage; grâce à cette solution trouvée par des ulémas judicieux, une femme se voyait accorder le droit, avec la bénédiction de son mari, soucieux de ne pas la perdre et qui avait prononcé à trois reprises la formule fatidique de répudiation, de contracter un mariage formel, avec un «terras», avant de pouvoir reprendre sa vie conjugale avec lui.
En ce qui concerne notre société actuelle, nous constatons que certains étudiants continuent à avoir des pratiques sexuelles, en dehors du mariage, mais tout dépend du contexte culturel dans lequel ils se situent: si les deux membres du couple vivent ensemble, à l'occidentale, sans s'être souciés d'une quelconque cérémonie préalable, on affirmera qu'il s'agit de «concubinage». Dans un milieu salafiste, on parlera de mariage «ôrfi» ou coutumier, si certaines conditions sont réalisées, comme la présence de deux témoins; or, si le premier terme désigne un fait condamné par la société autant que par la loi – un couple vivant en union libre vient d'être arrêté, ce 19 juin, à Bizerte –, le second est là pour intégrer cette réalité dans un langage acceptable par un grand nombre, déculpabiliser la femme et lui octroyer une approbation sociale, sinon, légale.
Un acte jugé comme beaucoup plus choquant – la relation physique de la femme avec des partenaires successifs qu'elle peut, même, ne pas connaître – et qui fait penser, tout naturellement, à la prostitution, s'appelle, en Syrie, dans les milieux des combattants rebelles, «jihad nikah» (mariage de jihad). Par cette appellation, il s'agissait de convaincre les jeunes filles de se mettre à la disposition de ces combattants pour leur permettre d'assouvir leurs besoins physiques. Y a-t-il, en effet, d'un point de vue religieux, un terme plus élogieux, plus valorisé que celui de «jihad»?
Rendons grâce à la puissance du langage qui, en nommant le réel, le crée, par là même, et peut imprégner le même fait de positivité ou de négativité.
* Universitaire.