Les juges tunisiens proclament des verdicts très sévères à l'encontre de jeunes, tels Amina Sboui et Jabeur Mejri, dont le seul délit est d'avoir affirmé de manière tapageuse leur liberté.
Par Jamila Ben Mustapha*
Je pense que les cas d'emprisonnement de la militante féministe Amina Sboui et du blogueur Jabeur Mejri sont très significatifs de ce qui se passe en Tunisie. C'est là où le bât blesse et pourtant, l'opposition – à part un communiqué d'Al-Massar du 21 juillet dernier – n'en parle pas et les médias le font peu.
Nous constatons que, périodiquement, des jeunes – comme le rappeur Weld El 15, mais, avant lui, Meriem, la jeune fille violée par trois policiers, accusée d'attentat à la pudeur!, Sofiane Chourabi, et Ghazi Béji, devenu exilé politique – , ont maille à partir avec la justice.
Pourtant, l'adolescence, partout dans le monde, est un moment de rébellion légitime, de prise de conscience aiguë de l'injustice, et, briser la personnalité des jeunes, par une incarcération sévère, souvent injustifiée, déterminante pour leur avenir, serait un geste lourd de responsabilité, de la part de la justice.
Ne doit-on pas cependant établir une comparaison entre l'acte de dénudement de sa poitrine, par Amina – affirmation tapageuse (inadaptée au contexte?) de liberté d'une gamine de 18 ans, il ne faut pas l'oublier –, jugé comme transgressif, choquant, dans notre société, et le jihad nikah, autrement plus lourd de conséquences, sur le corps, admis, presque comme moral par une frange de Tunisiens, alors qu'il s'agit là, clairement, de prostitution et d'avilissement des femmes?
Ne réduisons pas cette jeune fille à la photo qu'elle a publiée sur les réseaux sociaux car son militantisme a évolué; il s'est diversifié et enrichi. Son féminisme a pris des aspects politiques, nationaux.
Elle s'est, d'abord, rebellée contre la politique du gouvernement, sur l'avenue Habib Bourguiba, lors d'une manifestation de représentants du CPR.
Son refus du voile traditionnel ou sefsari, lors de sa comparution, devant le juge, est un mouvement de révolte contre une pratique révolue et contraignante, sous prétexte d'abriter l'accusée du regard des autres, et elle l'a compris. Une militante doit être fière de comparaître dans un procès et avoir la tête haute et non, être noyée dans la culpabilité.
Ne voilà-t-il pas, ensuite, qu'elle se solidarise avec sa codétenue parce que cette dernière a subi la violence des gardiennes et qu'Amina soulève, ainsi, le problème des conditions carcérales des femmes, dans son pays?
L'image de Yasser Arafat tatouée sur son bras, lors de son procès, montre, confusément, aussi, qu'elle veut s'inscrire dans son ère politico-culturelle et qu'on ne peut plus la restreindre, seulement, à être la représentante du mouvement étranger Femen, en Tunisie.
Elle ressemblerait, dans son combat solitaire à David luttant contre Goliath ou mieux, à Don Quichotte? Or, n'y a-t-il rien de plus beau et de plus grandiose que le combat solitaire, tragique, souvent perdu, d'avance, des grands utopistes et idéalistes, mais exprimant un courage extraordinaire, mâtiné de beaucoup d'inconscience? Et la valeur de ce genre de lutte n'est-elle pas d'être symbolique, de faire réfléchir, et de réveiller les consciences?
Pour le cas de Jabeur Mejri, condamné à 7 ans de prison pour une caricature jugée blasphématoire, une peine sans commune mesure avec le «délit», on peut se demander pourquoi est-ce que ses «juges» veulent être plus royalistes que le roi et ne tiennent pas compte de tous les aspects du Coran qui poussent à la méthode de la douceur, dans le prosélytisme, et à l'acceptation de la différence de l'autre? Pourquoi cet aspect de l'islam est-il, actuellement, complètement étouffé par beaucoup de ses représentants qui lui font la pire des publicités?
* Universitaire.