La crise politique actuelle devrait permettre au parti islamiste Ennahdha de démontrer qu'il est capable d'avouer ses erreurs, de transcender ses petits calculs partisans et de se mettre au diapason des attentes des Tunisiens. En est-il vraiment capable?
Par Mohamed Chawki Abid*
L'option d'un «gouvernement de salut national» est maintenant admise auprès de l'ensemble des acteurs de la scène politique, y compris par le CPR, connu pour être le partenaire inconditionnel d'Ennahdha.
En fait, le président provisoire de la république, Moncef Marzouki, fondateur et président d'honneur du CPR, pris de panique après les récents événements, s'est vu obligé de faire une tête-à-queue et de dicter sa nouvelle stratégie à son jeune secrétaire général du parti, Imed Daïmi, de peur d'être unanimement pris pour premier responsable des récents massacres des 8 soldats, pris en embuscade par des salafistes jihadistes, au Jebel Chaambi, le 29 juillet.
Mais, Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste Ennahdha (au pouvoir) et les plus durs de ses lieutenants persistent et campent sur leur position, tout en privilégiant l'envoi sur les plateaux télévisés de représentants modérés et non-arrogants dans un souci de tenter de désamorcer la crise sans toutefois perdre sa «suprématie».
Pour la première fois, les islamistes sont devenus seuls contre tous.
Souvenons-nous qu'au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaid, Montplaisir (quartier où se trouve le siège d'Ennahdha, NDLR) avait dépêché sur les plateaux télévisés et les ondes de radios, les personnes les moins contestées par le public, à savoir Samir Dilou, le ministre des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle, et le député Zied Ladhari, qui étaient d'ailleurs parmi les rares dirigeants nahdhaouis favorables à la solution de sortie de crise prônée par Hamadi Jebali, axée sur la formation d'un gouvernement restreint de technocrates ou de compétences nationales.
Hier soir, Zied Ladhari a de nouveau été chargé d'exposer sur Nesma TV la position d'Ennahdha et de justifier «démagogiquement» son refus de la dissolution du gouvernement Ali Larayedh et de son remplacement par un gouvernement de salut national.
Visiblement, et en insistant sur l'unique argument de la prétendue légitimité électorale périmée, il n'a pas réussi à convaincre ni les participants au débat télévisé, ni les téléspectateurs.
A présent, et de l'avis de tous les acteurs politiques, des organisations syndicale et patronales, et des principales composantes de la société civile, Ali Larayedh a commis moult erreurs intolérables lors de son double exercice (à la tête du ministère de l'Intérieur et du gouvernement provisoire) et endosse la plus grande partie de la responsabilité dans l'échec cuisant du gouvernement, et, par conséquent, il ne peut en aucun cas participer au soi-disant «gouvernement d'union nationale», dont la perspective est miroitée par Ennahdha.
Dans quelques heures, Ali Larayedh ira rejoindre Hamadi Jebali, son prédécesseur au poste, sur le banc des réformés.
Ceci étant, les feux resteront braqués sur Montplaisir pour surveiller la cheminée de la chapelle du Majlis Choura en vue d'apprécier la couleur de la fumée qui s'en échappera.
A vrai dire, l'ultime voie de secours pour Ghannouchi consisterait en l'acceptation inconditionnelle de:
1) régler convenablement les préalables sécuritaires, par notamment:
- la dissolution des LPR, milices & assimilées;
- la désinfection de l'appareil sécuritaire contre les infiltrations;
- la dé-salafisation des mosquées et la réinstallation des imams zeitouniens;
- la poursuite judiciaire des personnes ayant fait l'apologie de la violence;
- l'accélération des procédures judiciaires relatives aux 3 meurtres (Nagdh, Belaid, Brahmi);
- l'expulsion des salafistes et l'enquête sur l'argent islamiste alimentant les caisses de leurs sectes...
- la révision des postes de responsabilité sécuritaire dans un souci de neutralité;
- la réincarcération des ex-prisonniers dangereux, maladroitement graciés;
- la validation des enquêtes en souffrance : 9 Avril, 14 Septembre, 4 Décembre, Siliana...
- le traitement structurel du dossier des jihadistes en Syrie pouvant incessamment retourner.
2) désigner un Conseil supérieur constitutionnaliste pour la reprise et la révision du projet de constitution, avant de le soumettre à l'approbation de l'Assemblée nationale constituante (ANC, fin août 2013);
3) charger une personnalité indépendante de former un gouvernement restreint de compétences;
4) opérer un remaniement au sein du corps des gouverneurs et des délégués, en privilégiant des administratifs neutres voire des retraités de l'administration nationale;
5) limiter les travaux de l'ANC à l'élection de l'Instance supérieure indépendant pour les élections (ISIE), l'approbation de la loi électorale & autres textes annexes (antiviolence, antiterrorisme...), tout en écartant irrévocablement le projet de loi d'exclusion politique;
6) organiser les élections présidentielles et législatives fin 2013 sous le contrôle d'observateurs internationaux.
Dans quelques jours (voire quelques heures), Rached Ghannouchi devrait pouvoir confirmer ou infirmer les soupçons à propos de son honnêteté nationale.
* Ancien conseiller économique de la présidence provisoire de la république démissionnaire.