La Tunisie est aujourd'hui dans une situation ubuesque où une Assemblée constituante, se considérant légitime, rejette toute limitation de mandat dans le temps. Et où un gouvernement «provisoire» croit pouvoir durer jusqu'à 5 ou 10 ans.
Par Faïk Henablia*
Les partisans du statu quo actuel, ou plutôt de l'immobilisme dans lequel est plongé le pays depuis le 23 octobre 2012, invoquent, à l'appui de leur position, l'argument de «légitimité» électorale.
Selon eux, l'Assemblée nationale constituante (ANC) est le seul organe élu de la nation et toute aventure en dehors de cette institution nous ferait courir le risque d'un retour à la dictature.
Une légitimité obsolète et fallacieuse
La date du 22 octobre 2012 n'est pas évoquée au hasard. C'est bien, en effet, la date limite prévue par l'article 6 du décret du 3 août 2011: «L'assemblée nationale constituante se réunit... et se charge d'élaborer une constitution dans un délai maximum d'un an à compter de la date de son élection».
En outre, 11 partis politiques, dont Ennahdha, avaient signé la déclaration du 15 septembre de la même année s'engageant à respecter les dispositions dudit décret. La suite de événements nous a édifiés, ou du moins ceux parmi nous qui se faisaient des illusions, quant à la valeur que certains signataires accordent à un engagement moral. Après tout qu'est-ce qu'une parole donnée?
La statut juridique de l'ANC est par conséquent clair, tant du point de vue du processus de désignation, les élections, que de la durée du mandat, un an à compter de l'élection.
D'où vient donc cette prétention, ahurissante en démocratie, selon laquelle l'ANC peut et doit se maintenir, alors que près de deux ans se sont écoulés depuis l'élection?
Et comment en arrive-t-on à cette aberration d'introduire une notion de «légitimité», là où la loi était parfaitement claire et sa violation manifeste? Car, à la différence du droit, la légitimité est un accord consensuel, tacite, subjectif, se basant sur des critères et fondements éthique et non juridiques. L'élément de contrainte juridique n'y existe pas. La seule obligation est morale, celle de l'engagement ou de la parole donnée.
Poser la question, c'est y répondre. Cette tentative de dissimuler derrière un habillage de «légitimité» ce qui n'est, en réalité, qu'un outrage à la loi, est en outre maladroite car elle se base sur le fait que l'élection a été libre, argument de droit s'il en est, tant il est vrai que le scrutin est une pratique démocratique codifiée et encadrée par des règles juridiques précises et d'ailleurs présentes dans le décret du 3 août 2011, mais nullement de légitimité.
Si le principe juridique de l'élection est ainsi retenu, au nom de la légitimité, celui, non moins primordial en démocratie, de limitation de la durée du mandat, en l'occurrence à un an maximum dans notre texte, est en revanche purement et simplement rejeté car considéré moins légitime !
L'on trie donc ainsi dans les articles, gardant ceux qui plaisent, rejetant ceux qui gênent, au nom d'une prétendue «légitimité» totalement hors de propos puisque le texte est parfaitement bordé juridiquement et que les articles y ont strictement la même valeur.
Habillage parfaitement contestable, ainsi que nous l'avons mais également comique, vu le peu de cas que l'on fait par ailleurs du fondement véritable de la légitimité, à savoir l'engagement, moral celui-ci et non juridique, de la parole donnée.
Et l'on en arrive à cette situation ubuesque d'une assemblée se considérant légitime et rejetant toute limitation de mandat dans le temps. Nous en sommes purement et simplement réduits à attendre le bon vouloir de la coalition majoritaire. Au rythme où vont les choses, nous y serions encore dans 10 ans, au nom de la légitimité, car contrairement au droit, il n'y a ni limitation ni contrainte en la matière. C'est selon la sensibilité de chacun. Pourquoi donc devrait-elle cesser au bout de deux ans plutôt que six ou dix? La démocratie est fondée sur l'Etat de droit et non sur la légitimité qui se transforme souvent en légitimité à vie.
Un gouvernement «provisoire» fait pour durer
Face à une situation ainsi bloquée, la sortie dépend du degré de bonne ou de mauvaise foi des acteurs politiques. La mauvaise foi de la coalition majoritaire à l'ANC est manifeste depuis le premier jour. Son intention est, à l'évidence, de s'installer dans la durée. Dans son esprit, l'ANC est un parlement destiné à voter des lois et la rédaction d'une constitution est le cadet de ses soucis. Idem pour le gouvernement «provisoire» dont la particularité est de durer.
Petit élément, cependant, dont ce beau monde n'a pas tenu compte: la majorité silencieuse, de plus en plus excédée et impatiente. Elle n'en a que faire de ces slogans de «légitimité» et ne s'en laissera pas compter le moment venu. Elle saura rétablir le cours détourné de la démocratie.
Et l'on pourra continuer de disserter sur le «Printemps arabe» et les révolutions «bénies».
* Gérant de portefeuille associé.