Il y a tant de choses à changer au niveau de l'institution politique, devenue source de malaise aussi bien pour l'économie réelle que pour les peuples et notamment ceux des pays dans lesquels on maquille bien la dictature pour la faire passer sous l'étiquette démocratie.
Par Abdallah Jamoussi*
Décidément, il y a plus d'un problème de disfonctionnement dans ce prétendu «Printemps-arabe» promu au rang de Nouveau-Moyen-Orient estampillé USA. Je ne crois pas apporter du nouveau à ce sujet, du moment que c'est déclaré officieusement: «Zone de nécessité stratégique». Plan de guerre ou plan de paix? On ne te le dira pas.
Pour le moment islamistes et laïcs des pays en phase avec le rêve atlantique doivent se mouvoir en marionnettes dans un espace ténébreux et sans repères. Ont-ils le choix de ne pas s'entretuer bêtement pour des vétilles ou sous la pulsion des rancœurs – du moment que le contexte est instrumenté pour une interminable soirée macabre, dédiée à la pièce maîtresse d'un large programme, élaboré spécialement pour nous et inauguré en Irak : «le chaos créatif»? Ce serait pour prouver, une fois pour toute, à quel point on s'intéresse à nous et surtout à notre façon de consommer démocratiquement la légitimité, même au cas où la prescription témoigne de sa date périmée. D'autres m'ont chuchoté à l'oreille: «Les sbires du régime déchu veulent usurper le pouvoir et ramener l'aiguille de la pendule à la veille du départ de leur tyran! - Et pourtant, ils prétendent que, de votre côté, vous avez ramené le pays à des siècles immémoriaux. Voilà pourquoi, ils auraient tenté de faire avancer un peu les choses», lui ai-je répondu.
C'est vraiment frappant de savoir à quel point on pouvait être déconnectée de la réalité du monde ; absorbée par ses réminiscences.
Le malaise de l'Etat
A la question de savoir si oui ou non nous encourons le risque d'une autodestruction, la jeunesse, massée sur deux bords, n'a pas de réponse. Avec un peu de chance, on éjectera au comble de l'exaspération: «C'est trop! Le temps, c'est aussi de l'argent!»
Sur la place, qui ne désemplit pas de jour comme de nuit, l'absence de l'optimisme se fait sentir. Cette manière de mener un compte à rebours interminable en plongée vers le fond, rend le processus difficile à contrôler. Car, il est aussi légitime de poser la question: «Par combien de fonds devrions-nous passer pour atteindre le fond?».
Les jeunes et les plus jeunes n'ont pas connu la guerre froide; mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils ne soient pas en mesure de constituer une idée sur les tensions qui condamnaient les deux blocs en rivalité, à être sur le qui-vive pendant de longues années.
Aujourd'hui que tout ayant l'air de rentrer dans l'ordre, voici qu'à travers des séquelles résiduelles frustrées et tronquées, la claustration idéologique est de retour flanquée de ses conséquences tragiques à l'échelle planétaire.
Que reste-t-il du "printemps arabe"? Quelques images exaltantes et beaucoup de regret et de désordre.
Peu importe la version dans laquelle elle se présente ni l'espace où elle se profile avec empressement; l'accoutrement pacifique et velouté n'est que l'apparence qui occulte le leitmotiv. Ce qu'on ne dira que dans le privé est que la métastase d'une altération dans le système central de pilotage n'a cessé de faire tache d'huile allant se répercuter sur ce qu'on appelle communément, chez-nous «la considération de l'Etat».
Il y a bel et bien du sérieux dans cette entreprise, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une entité abstraite, mais plutôt de la colonne centrale qui tient la toiture d'un gigantesque édifice nommé Société. Ce que signifie que sa chute pourrait même brouiller les points cardinaux. Imaginez un instant la portée en effort de cette construction humaine et à quel prix de sacrifices et de contestations réprimées, parfois, dans le sang, afin que se dresse cette colonne symbolique nommée Etat.
On pourrait croire à tort que la stabilité résulte de la crainte qu'inspire l'institution politique au peuple par le biais de la coercition, sauf que l'expérience prouve qu'en l'absence du respect envers le symbole de la toute puissance protectrice, l'Etat perd sa notoriété et se fragilise, annonçant sa fin fatidique. Il va, donc, sans dire qu'étant donné l'avilissement du système actuel dans le monde, on ne devrait pas s'étonner des déchéances désolantes de certains politiciens et hommes d'Etat mouillés dans des affaires de corruption et de malversation.
On me dira, mais quel rapport pouvait avoir la vieillesse de l'institution politique avec le magouillage ou les détournements de fonds illicites? En effet, le lien est imperceptible. La crise morale ne serait, dans ce cas de figure, que l'alarme qui avertit du risque. Avec d'autres expressions: un indicateur de défaillance dans le système, qui pourrait être lié à des facteurs endogènes, tels que la sclérose conceptuelle, ou extérieurs en rapport – comme chez-nous, avec la géopolitique.
Il appartient donc, à ceux qui gouvernent, de vérifier la fiabilité de leurs méthodes par le biais d'observatoires chargés de mesurer indirectement dans certains cas le degré de confiance qu'éprouvent les citoyens. Souvent, il suffit de regarder les gens défiler dans la rue. L'ancienne notion qu'on avait de l'Etat répressif ne pouvait plus tenir pour longtemps, dans sa version caduque. On pouvait, néanmoins, tenter de restaurer provisoirement les vieilles manières. Mais, généralement, rien ne résiste à la conjoncture. Lorsque le changement affecte l'ordre dans le monde, la marge de manœuvre politicienne se rétrécit au fur et à mesure que le processus de l'action transformatrice avance. On pourrait continuer à retaper ou à pallier, mais aussi longtemps que l'origine du mal continue à s'activer, la situation ne peut que se précipiter vers le déclin.
Le changement catégorique
Au stade de son déclenchement, le changement catégorique génère une sensation d'impuissance exprimée sous forme de rejet non justifié et de susceptibilité vite traduite en frénésie. On peut aussi remarquer l'apparition et la disparition de nouveaux modes d'improvisation sous forme de balbutiements éphémères. Un tableau qui dépeint une conjoncture désaxée joignant à tout bout les contradictions de la culture universelle dans sa diversité latente ou perceptible – souvent à travers les âges –, sans pour autant parvenir à établir un ordre en cohérence avec la réalité, d'une part, et d'autre part avec sa construction interne en tant que système. Pour tester l'efficacité d'un système, on l'applique, tout simplement. L'application d'un système rend possible la détection de ses anomalies.
Dans le contexte actuel, nous serions encore au stade de l'infantilisme caractérisé par des tracasseries immorales : on ment et on dément. On triche doublement, car on a hâte à condamner toute sorte de supercherie de spéculation ou de magouille, que même le droit à l'erreur est banni. C'est alors qu'on use de népotisme, qu'on s'active le plus à parler d'équité et de cohésion sociale. Le plus important est de constater que les déclarations ne riment pas avec les faits. Et ce n'est fait, toujours, exprès! Un tel désastre n'aurait jamais été permis, si les piliers de soutènement de la texture sociétale n'avaient commencé à céder, laissant apparaître des signes annonciateurs de troubles imminents. La Tunisie exténuée, avait su tenir, le plus longtemps possible, sans aucun appui.
On peut toujours promettre d'assainir le climat de la cohabitation, sauf que l'insuffisance des moyens adoptés vis-à-vis de la complexité de la conjoncture empêchera l'amorce de solutions concernant des contentieux indicibles et ambiants sur fond d'enchevêtrement d'intérêts et de vacuité culturelle sublimée en discours moralisateurs criard et en dévouement truqué pour la sainte vérité perdue dans les méandres.
Ainsi, survient la nécessité d'une base de données aussi raisonnable que rationnelle et convaincante, non dans le but d'esquisser un modèle de société prototypé, mais dans le but de dégager la voie à la concertation et à l'échange des produits intellectuels permettant une reconstruction systémique saine et fondée d'une Tunisie nouvelle.
Je pense qu'une telle démarche dans le sens d'un arrangement, n'est ni exhaustive ni définitive; c'est tout juste pour dégager les obstructions et échafauder de nouvelles passerelles.
Cependant, l'inquiétude à ce sujet est justifiée par la teneur en incrédibilité dans la culture de l'institution politique, depuis ses origines chamaniques; lorsque pour apaiser les tensions, le chamane devait prétendre avoir eu des contacts avec les forces de l'au-delà et qu'on lui avait promis le déluge...
On ne peut que les plaindre, ces gens contraints de faire passer l'illusion pour de la réalité. Toutefois, le combat historique entre le chaman et le politicien serait à son ultime round.
C'est inquiétant de constater que l'effort a porté sur le lucratif, pendant les dernières décennies. Et ce, à l'échelle internationale. Ce terrible complot anti-culturel, ne pouvait pas réussir sans engendrer un phénomène de société caractérisé par l'absence de communication et la rigidité des positions. Et comme le lot culturel suffisait à peine, alors, on pouvait tricher, mentir, extrapoler..., et au même moment exiger un respect de la part de tous.
On sait peu sur la conscience, presque rien au-delà de Freud, Lacan et Young, cependant, ce dont on doit tenir compte c'est qu'on ne doit pas jouer à cache-cache avec sa conscience, si on veut réellement éviter les files d'attente dans les pharmacies. Savoir, au moins, que plus on falsifie la réalité, plus on s'éloigne d'elle et on sombre ou dans la débilité ou dans la délinquance. Le problème est qu'on a beaucoup à perdre en faisant recours au bluff – au lieu de faire face à sa propre faiblesse.
Bien entendu, on pourrait se défaire de tout engagement et de toute éthique, sauf qu'il y aurait toujours une quelconque surprise au bout du rouleau: la revanche de sa propre conscience; tantôt en déboires physiques, tantôt en symptômes démentiels.
A quel prix et pour combien de temps, l'Homme demeurera-t-il incapable d'avouer sa déficience et son imperfection? Pour l'heure, le désarroi tend même à se modéliser, prenant une forme violente d'expression désolante. J'écrirais davantage sur les changements catégoriques, ainsi que sur l'origine du malaise qui les nourrit... Ostensiblement, il y a de quoi comparer ce changement catégorique, qui marque notre époque, à un volcan génocidaire et imparable! Nous sommes donc, dans l'œil du cyclone.
La lueur d'espoir truffée de mensonges
Après cet état de lieux concis et plus ou moins stéréotypé, je pourrais, hélas, considérer, qu'ils ne sont pas fortunés, ces jeunes de vingt à trente ans, d'être nés dans un vivier infernal à la fin d'un siècle hanté par les spectres d'une civilisation sidérurgique aux brasiers crachant sans relâche les laves du fer et du soufre – et de surcroît en déclin. Pour les accorder avec à leur milieu ingrat de la production en masse, on leur a dessiné un visage angélique et on les a dorlotés sur le giron de la perversion opportuniste; celle de la ruée vers le pouvoir; celle de la brillance de l'or et celle du mirage de la chance pour chacun. Tôt leurs cœurs, à l'image de leurs yeux rivés sur la vacuité de l'horizon qui les tient en captivité, se sont endurcis. Mais, quand, au lever du jour, leur champ visuel vient se déterminer sur les contours rognés des valeurs réifiées qu'on leur a inculquées à coup d'émulation et de concurrence aveugle, ces générations ont pris leur désespoir pour une raison d'être. Auront-ils le courage de vivre avec une conscience hantée par la déception, stigmatisée par la conspiration et meurtrie sous l'effet le cadavérique d'un rêve saigné à blanc par le vampire d'un mode de vie rude et raide; encore qu'il soit fastidieusement pompeux.
Voilà pourquoi une fois la dernière lueur d'espoir truffée de mensonges, éclipsée, le frère n'épargnera pas son frère, dans la lutte pour la survie. Le désespoir avait toujours été le combustible de l'instabilité. D'ailleurs, n'est-on pas allé partout et nulle part, en quête d'une chance fallacieuse pour être ramené à une mer au fond de laquelle on pouvait s'engloutir, sans se poser d'autres questions?
Après d'interminables attentes inutiles, d'autres s'étaient, enfin, décidés de prendre le pouvoir pour cible. Seuls les protestataires en courroux continueraient à illuminer le spectacle insoutenable de leurs corps immolés, en guise de harangues. Que cherche-t-on au juste, dans les fonds-marins? La Mère? Le retour au sein de la Mère, autrement que par l'inhumation (dans le ventre de la terre/mère)? Ce langage ludique ressemble beaucoup aux signaux rassembleurs qu'émettent les cigognes, avant d'effectuer leur transhumance.
Même la révolution arrosée des larmes chaudes des mères ayant perdu leurs enfants chéris, par une nuit d'hiver de l'année, celle «du Jasmin», ne saura éteindre ce feu qui consume de l'intérieur et qui empêche d'étreindre de nouveau la vie. Révolution du Jasmin embaumé de sang jeune coulé généreusement pour que l'espoir renaisse dans notre pays et partout ailleurs. C'est pour cela, qu'il fallait remettre en question, ce qui s'est passé, en aval.
Eu égard à la tournure que les évènements ont du prendre, on pouvait considérer que la procédure engagée par certaines forces politiques fut plus forte que le processus; c'est à cela que tient la conjecture établie en fait accompli; celle à qui on confèrera l'allure d'une conjoncture. Et qu'y a-t-il d'étonnant en cela? Je ne juge personne, dans ce monde incertain et à court de repères et dans lequel l'esprit est à court de moyens face à la vitesse du déroulement! Alors, on admet, on suppose, on devine la moitié invisible de l'iceberg, on parie et on joue au malin, à l'intelligent et plus intelligemment au plus idiot.
La logique aurait trouvé un coin d'ombre au musée. Après tout, mis à part, le secteur technologique, toutes les autres disciplines dites scientifiques sont fondées sur des postulats. C'est pour dire, à quel point nous sommes dans l'hypothétique des fluctuations. Notre économie, aussi bien que nos valeurs boursières ou éthiques sont hypothétiques. Il suffisait, donc de rien pour que les vents s'inversent et ce serait la sacrée sélection économique, par excellence, et selon la théorie démographique de Thomas Malthus.
Ce n'est pas pour plaisanter que je le dis, mais inutile d'en faire une polémique, du moment que la guerre pour la conquête des ressources ne s'avère un secret pour personne. Ne peut-on que s'inquiéter pour les larges couches sociales des pays à la traine, une fois leur sol érodé et leur place dans le trafic devenue encombrante.
Pour ceux qui sont faits pour anesthésier de discours optimistes à faire dormir debout, je rappelle qu'on s'attendait à ce qu'une politique plus judicieuse tienne compte des objectifs pour lesquels des Tunisiens ont du braver la mort...
Changer la politique politicienne
Dans ce cas, plutôt que d'attendre une solution venue des politiciens, il incombe aux jeunes de changer la politique politicienne. Sans cela, il y aura toujours des politiciens de l'époque révolue obsédés par le pouvoir et prisonniers de leur culture obsolète.
Ce grand chantier n'est pas du ressort des artisans, d'autrefois. Il lui faut des artistes. Sans cela, les travaux stagnent. La preuve qu'on est dans l'ornière jusqu'aux essieux c'est la perversion qui a fait qu'au lieu de coordonner les efforts, afin de lutter contre la spéculation, l'évasion fiscale, le népotisme et le favoritisme, on emboîte le pas. Et ce n'est point une tâche facile, étant donné que s'il y a un fléau qui frappe, actuellement, le monde, c'est bien la corruption des politiciens, parmi lesquels ceux qui sont à la solde d'une tutelle étrangère.
Je ne voudrais pas trop m'attarder dans ces marécages où les tentacules des cartels s'entrelacent avec les centres de pouvoir décisionnel d'un pays vivant sous un régime totalitaire, de telle façon qu'on n'arrive plus à connaître le rôle de la haute hiérarchie politique.
Il y a tant de choses à changer au niveau de l'institution, devenue source de malaise aussi bien pour l'économie réelle que pour les peuples et notamment ceux des pays dans lesquels on maquille bien la dictature pour la faire passer sous l'étiquette démocratie. Or la pseudo-démocratie est pire que le despotisme déclaré. Toutefois, pour de pareils cas de figure, aussi bien que pour le terrorisme, l'important à faire serait de combattre les sources illicites qui génèrent le désespoir.
* Universitaire.