Nourrir le peuple tunisien en 2014 ne sera pas une mince affaire. Il revient aux autorités publiques, aux agriculteurs et aux banques de comprendre enfin qu'on est en plein «état d'urgence agricole»!
Par Malek Ben Salah*
Si l'Utica parle depuis un certain temps d'un «état d'urgence économique» et si, la présidente de la centrale patronale, Wided Bouchamaoui, a proposé des mesures d'urgence... en pensant notamment à l'industrie et ses lourdes conséquences sur l'emploi, l'exportation, le développement régional, et sur l'ensemble de l'économie nationale qui périclite chaque jour un peu plus sans que les gouvernants ne prennent l'initiative de lever le petit doigt..., qui penserait – dans ce contexte aussi vasouillard – à l'état de notre moribonde agriculture et à «l'Etat d'urgence agricole»... où se trouve l'agriculture qui, même en l'absence d'une Bouchamaoui agricole, est appelée à nourrir plus de 11.000.000 Tunisiens.
Sachant bien que nous sommes au début d'une nouvelle campagne dont la réussite doit nous préoccuper tous, les conséquences de ce laisser-aller pourraient être très lourdes pour la trésorerie de l'Etat, pour l'amplification du chômage de nos jeunes, pour le développement régional et... pour le pouvoir d'achat du citoyen! Sans faire d'analyse poussée, j'aurai seulement deux messages à passer! Le premier aux décideurs et le second aux détenteurs de la finance islamique... et aux agronomes.
Qui penserait – dans un contexte politique aussi vasouillard – à l'état de notre moribonde agriculture?
Sans préparatifs la production attendue risque d'être négligeable
Sans préparatifs très sérieux, il ne peut être envisagé une sécurité alimentaire minimale pour le pays et encore moins une baisse des cours des produits agricoles. Le ministère de l'Agriculture déclarant, le 28 août dernier, à la Tap la faiblesse de la récolte céréalière, le recours à l'importation de 16 millions de quintaux, la hausse du marché international... données qui sont, en fait, du ressort d'un ministre du Commerce!
Alors qu'il était à attendre d'un ministère de l'Agriculture d'annoncer les mesures prises pour bien préparer la nouvelle campagne, pour les céréales mais aussi pour le reste, pour épargner, autant que faire se peut, aux agriculteurs les affres d'autres campagnes déficitaires, et, de nous faire part des mesures qu'il aura prises pour une meilleure maîtrise des coûts à la production !
Ainsi, aujourd'hui, il est à se demander si la production d'engrais sera suffisante, et est-ce que nos amis mineurs à Redeyef, Oum Larayès... ont repris leur travail pour que des quantités suffisantes de phosphates arrivent aux usines de la CPG et GCT pour produire ces engrais?
Est-ce que l'Office des céréales, quant à lui et aux autres fournisseurs, ont placé leurs commandes pour ces engrais et commencé à les stocker sur les lieux avant les pluies? De même pour les semences sélectionnées (et les non sélectionnées) où en sont les traitements et la livraison aux agriculteurs ?
Nos autres agro fournisseurs ont-ils commandé les besoins du pays en semences maraîchères, en désherbants, pesticides..., pour approvisionner nos agricultures? L'état des productions arrivant sur le marché durant ces derniers trimestres montrent une baisse de qualité notoire, probablement due à un approvisionnement en semences et en produits de traitements, au moins, peu approprié!
La fin des grèves dans le bassin minier de Gafsa va-t-elle permettre que des quantités suffisantes de phosphates arrivent aux usines de la CPG et GCT pour produire ces engrais?
Pour le cheptel, qui survit de plus en plus à partir d'importations, ne devrait-on pas prendre des mesures pour augmenter les superficies en cultures fourragères riches, bien conduites... pour tenter de réduire cette importation d'aliments du bétail? Là aussi des quantités respectables de semences sont aussi à mettre à la disposition de l'exploitant. Un plan d'urgence de PRODUCTION NATIONALE en pluvial comme en irrigué s'impose pour assurer au moins la nourriture du citoyen même si on n'arrivera pas à un effondrement de la situation économique.
Par ailleurs, après les milliards investis en hydraulique et en périmètres irrigués durant 50 ans, un encadrement et une vulgarisation suffisants pour diffuser les bonnes techniques, nourrir l'homme et le cheptel et réduire nos importations de tous genres... ont-ils été mis en place sur ces périmètres? La réparation des causes de pannes répétées sur ces périmètres devant être sérieuse et l'eau devant arriver aux irrigants sans retard et sans risques pour les cultures?
Les sources de crédit et d'investissement à mobiliser
Les campagnes céréalières, fourragères, maraîchères, fruitières, oléicoles... ont besoin, pour démarrer, d'investissements pour acheter du matériel, du cheptel..., construire ateliers, étables..., introduire l'électricité, creuser un puits...; et de crédits de campagne pour acquérir engrais, semences, carburant, pesticides...; le tout étant nécessaire pour produire et nourrir le citoyen.
C'est donc l'occasion rêvée, pour des banques dites islamiques comme la Best ou la Zitouna, de lancer une large publicité aux solutions qu'elles préconisent pour l'agriculture et pour quelques 550.000 exploitants, clients potentiels à allécher dès cette campagne! Les comités des théologiens constitués par ces banques pour vérifier si les projets et crédits demandés ne comportent pas d'interdits devraient être invités à imaginer une gamme de solutions adaptées à ce pays essentiellement agricole où le champ des actions à mener devra être très large, et la recherche pour ces crédits d'un impact économique certain.
L'importation massive d'ovins ou de bovins va-t-elle améliorer la situation de l'élevage?
N'oublions pas par exemple, ce que disait le 2e Calife Omar Ibn El Khattab, pour la zakat(1) quand il disait «إِذَا أَعْطَيْـتُـمْ فَأَغْـنُـوا » recommandant ainsi de joindre, au devoir religieux de la zakat, l’efficacité économique d’un emploi rationnel de cet argent dans le but de faire passer... ainsi annuellement un nombre de bénéficiaires de la classe des démunis à une classe économiquement plus performante, et qui peut, à son tour, contribuer à ce que nous appelons aujourd'hui «le développement».
De même pour les agronomes du ministère de l'Agriculture – dont on ne peut que déplorer l'absence au niveau de la réflexion, de l'initiative... et de la recherche de solutions qui permettent de sortir l'agriculture de la léthargie où elle se trouve –, ils ont le devoir de contribuer, avec un peu plus de sens nationaliste, à la relève de ce secteur.
La tâche première d'un ingénieur étant la prévision, qu'ont-ils prévus pour ces campagnes 2014 qui se profilent les unes derrière les autres... avec la disparition de ces plans bidons (12e plan, plan mobile qui l'a suivi)... qui ne nous avançaient en rien, le champ leur est ouvert aujourd'hui pour prendre toute initiative compatible avec les besoins du moment; et le besoin du moment est justement d'«être très actif et innovant dans la préparation de ces campagnes».
Quant aux problèmes que posent aujourd'hui les agriculteurs (cherté des intrants agricoles, faiblesse de la rentabilité de certaines cultures, inadaptation de la presque totalité des textes aux réalités de notre agriculture...), ils méritent que l'on s'y arrête pleinement. De même, pour les problèmes qu'ils posent à propos de certaines initiatives du ministère du Commerce comme l'importation de lait ou de moutons pour l'Aïd dont l'abattage n'est obligatoire – religieusement et économiquement parlant – que pour celui qui en a les moyens; l'agronome doit bien les soutenir car ils sont de nature à détruire en définitive l'économie agricole. Nourrir le peuple tunisien en 2014 ne sera pas une mince affaire, il revient à tous de comprendre enfin qu'on est en plein «état d'urgence agricole»! Que Dieu aide nos agriculteurs dans leur noble tâche !
* Ancien DG de la Production Végétale, spécialiste d'agriculture/élevage de l'ENSSAA de Paris.
Note :
1- La zakat est formée par un pourcentage sur le revenu annuel à donner obligatoirement aux démunies.